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Des Notions de « terreur » et de « violence » en politique

picasso-guernicaPar Nicolas Lebourg

Lors du début de la guerre en Irak de 2002, à la première conférence de presse, le porte-parole de l'armée américaine évoquait les troupes irakiennes en usant constamment du vocable « les terroristes ». Il s'agissait bien, outre l'amalgame produit avec Al-Qaêda, de nier l'existence d'un Etat irakien. D'ailleurs ce mot n'apparaissait jamais : on parlait du « régime » (donc de quelque chose de dévalorisé, de négatif et archaïque qu'il faut abattre) et le mot « Etat » n'apparaissait que dans l'expression « appareil d'Etat », c'est-à-dire les instruments de la dictature en tant que telle : le parti unique, l'armée, etc.

Comment mieux rendre compte des implications et ambiguïtés du terme « terroriste », de leur usage polémique – alors même qu’effectivement l’Irak était stricto sensu un Etat terroriste ? En fait, le terme « terrorisme » naît avec l’Etat révolutionnaire et la politique contemporaine. Il a dès son origine, en 1794, un sens péjoratif : il est utilisé après l’exécution de Robespierre pour désigner la méthode de gouvernement de celui-ci.

Robespierre rejetait intégralement l’idée de Machiavel qu’il puisse exister une morale politique qui soit différente de la morale coutumière : l’Etat doit être placé sous le signe de la vertu, la morale doit diriger la politique. La conséquence en est aussi cette Terreur chargée de démasquer les immoraux, tous ceux qui veulent détourner ou empêcher la Révolution. Le mot évolue ensuite de l’imposition d’un Etat au phénomène de contestation violente de cet Etat, au fait de contester à cet Etat son monopole de la violence physique légitime en un territoire donné. Dans son acceptation courante le terme recouvre l’utilisation de moyens criminels par des organisations qui sont certes clandestines mais qui usent de ce moyen pour faire connaître leur positions politiques et, en terrorisant les populations, obligent l’Etat a repensé sa politique, cherchent à détruire l’Etat pour le remplacer, etc.

 Le Terrorisme : un outil politique

Le terrorisme vise par nature l’Etat mais il est aussi parfois un moyen de l’Etat qui peut lui même vouloir terroriser sa population. On vit même des Etats liés à des organisations terroristes censément dirigées contre lui mais qui lui permettaient d’imposer son durcissement et d’empêcher qu’on le conteste.

 En 1881, l’Association internationale des Travailleurs (AIT) annonce à son congrès de Londres le passage à une nouvelle forme de propagande : « la propagande par le fait », le passage au terrorisme. « Propagande »  est un terme né en 1622, il vient de propagation de la foi ; c’est le premier objectif du terrorisme des mouvements contestataires : impressionner l’opinion. Les actes terroristes sont dits permettre de tout à la fois disséminer la foi révolutionnaire et constituer le phénomène déclencheur de la future révolution – quelques décennies de plus et Mao Zedong dira que « l’étincelle peut embraser la plaine ». En France le gros de la période du terrorisme anarchiste est en 1892-1894. A ce propos l’historien Jean-Paul Brunet a bien montré la complexité des rapports entre répression et terrorisme. Il a en effet démontré qu’au tournant du siècle la presse anarchiste était financée, via un montage financier, par la Préfecture de Police. Pendant que les anarchistes s’organisaient, développaient théories et journaux, ils ne posaient pas de bombes, dégageaient des leaders surveillables, etc.

Il s’agit bien de répandre la bonne parole. La violence terroriste n’implique pas comme on le dit cynisme et lâcheté mais une vision idéologique du monde où la morale ordinairepasse après la cause.

Donc il s’agit bien d’un cadre de pensée d’efficacité où la faiblesse de la marge doit se compenser par la force des moyens. Il s’agit de se donner les moyens de contester une hégémonie politique par un calcul plus rationnel que conforme à la morale « bourgeoise ». Il s’agit d’opposer une violence relâchée à une violence étatique structurelle.

Mythe et dynamique politiques

Georges Sorel (1847-1922), qui eut un profond impact sur l’anarchisme français et le fascisme et en a encore dans le PCF des années 1920 (pour Lénine Sorel était un « esprit brouillon » et pour Mussolini : « C’est à Sorel que je dois le plus »), lui-même faisant plusieurs fois l’aller-retour entre extrêmes droites et gauches, disait que la force était le moyen de la minorité dominante et la violence le mode de destruction de cet ordre imposé. Sorel affirme qu’il faut refuser toute amélioration des conditions de vie de la classe ouvrière qui endormirait sa rage destructrice et il insiste moins sur la victoire du prolétariat que sur sa lutte vitaliste : « la grève est un phénomène de guerre »  écrit-il. A l’encontre de la violence, l’ordre s’appuie sur la force et le réformisme bourgeois pour encadrer et désamorcer la dynamique révolutionnaire.

Cela a aussi le mérite de souligner que la violence politique est une action qui, par sa rupture avec le droit commun et son refus du dialogue social fixé selon les règles bourgeoises, vise à obtenir un gain politique modifiant l’ordre en état. Le principe politique repose sur un échange entre protection et obéissance : la violence vise le plus souvent à démontrer que la protection n’est plus assurée et de là permet une remise en cause des rapports politiques.

Il n’est nul besoin d’une idéologie élaborée, seulement de ce que Georges Sorel qualifiait de « mythe » dans ses Réflexions sur les violences (1908, livre de chevet de l’anarcho-syndicalisme comme de Mussolini) : une idée qui mobilise et dirige l’action. L’image de la violence elle-même est un mythe soérlien, par exemple quand des militants souhaitent se conformer à la tradition guerrière de leurs aînés.

Un clivage

Il n’est pas besoin que la violence politique débouche sur les masses, ce qui nous renvoie à la question de la guerre civile pas de la violence politique (l’OAS a réalisé 751 attentats en Métropole sans jamais rencontrer les masses). En ce sens elle me paraît donc plus proche de la question de la révolution, qui se passe fort bien des masses, que de celle de la guerre civile, qui implique leur mobilisation.

En somme pour que la violence soit politique il faut qu’elle soit mue par une volonté délibérée et la désignation explicite du clivage ami – ennemi. C’est l’intensité de ce clivage qui fixe ceux de la violence politique et de l’ordre public – cf. sur ce site « Notre Père cet assassin » [1] et [2].