L’extrême droite juive, religieuse ou laïque, existe-t-elle ?
La question de savoir si l’extrême droite, religieuse soit-elle ou laïque, existe vraiment, se pose de manière différente selon qu’on l’envisage en Israël ou parmi les juifs de diaspora. En effet, les catégories politiques européennes n’étant guère opérantes dans l’Etat hébreu, l’existence d’une « extrême droite » interpelle sur la manière par laquelle une telle famille politique pourrait se construire, sans se référer aux idéologies fascistes traditionnelles qui font sens en Europe, voire en Amérique du nord, mais sont inexistantes en Israël[1].
La situation vue d’Israël
Il semble néanmoins que l’on puisse assimiler à l’extrême droite une filiation idéologique, celle du rabbin Meir Kahana, actuellement représentée par le parti politique Hazit (Front National Juif), ainsi qu’une toute petite partie du courant sioniste-religieux, représentée par la formation Eretz Yisrael Shelanu (Notre terre Israël). Cette dernière ajoute aux idées kahanistes une tonalité messianiste et mystique provenant d’une interprétation minoritaire de la philosophie Habad (Loubavitch), qui est celle de son dirigeant, le rabbin Shalom Dovid Wolpo. Le programme de ces formations constitue quant à lui un « néo-sionisme » basé à la fois sur le refus de tout compromis territorial, sur la volonté de déplacer la population arabe vivant en Israël pour que celui-ci devienne un Etat intégralement juif où la loi civile serait la Halakha, et, en définitive, sur une sorte d’ultra-nationalisme ethniciste, « identitaire » et anti-universaliste.
Ce néo-sionisme est évidemment issu de la matrice idéologique du sionisme révisionniste, pensé par Zeev Jabotinski. Toutefois, il s’en démarque sur trois points au moins. Tout d’abord, il considère le Likoud, parti qui se présente comme l’héritier légitime du révisionnisme, comme ayant trahi l’idéal fondateur, par son acceptation du multiculturalisme et de la négociation avec les Palestiniens. Ensuite, il comporte une dimension religieuse absente chez Jabotinski (1880-1940), puisqu’elle est la conséquence de l’interprétation de la création de l’Etat juif, de la réunification de Jérusalem et du peuple juif dispersé, par l’idée de la Rédemption et même par une vision eschatologique du conflit judéo-arabe.
Enfin, il est une conséquence directe de la Shoah : dans l’idéologie de Kahana et de la Ligue de Défense Juive, figure en effet l’idée selon laquelle, le peuple juif s’étant retrouvé seul face au nazisme alors que le judaisme traditionnel n’avait pas de tradition d’autodéfense, il ne pouvait compter que sur sa force pour assurer sa survie dans un monde intrinsèquement hostile. Ce courant, mené par Baruch Marzel et par le député d’origine irano-afghane Michael Ben Ari, tente actuellement de peser au sein du parti majeur de ce qui se désigne là-bas comme étant la « droite nationale ». A savoir, le parti Union nationale, qui ne participe pas au gouvernement Netanyahou. Ce courant ne représente ni la totalité des habitants des implantations, ni la totalité du milieu sioniste-religieux. Mais il incarne la tendance des implantations les plus idéologiques de Cisjordanie (Judée-Samarie selon la terminologie israélienne), comme il incarnait jusqu’à peu celle d’une minorité active des colons de la bande de Gaza (Goush Katif).
Le cas de la diaspora
La question de l’extrême droite juive en diaspora est plus complexe. Elle a souvent été traitée de manière polémique, par le biais d’une assimilation du révisionnisme de Jabotinski à une version sioniste du fascisme italien. Qu’avant les lois raciales de 1938, les révisionnistes n’aient pas vitupéré contre Mussolini, et même que nombre de juifs italiens fussent inscrits au Parti National Fasciste, est une réalité historique, avérée en France dans une proportion marginale au sein du Francisme par exemple[2]. Cependant, si Jabotinski avait côtoyé à Rome la culture latine, le sionisme révisionniste est né quant à lui dans l’aire culturelle russe, polonaise et allemande. Dès lors, c’est une hypothèse nullement improbable que d’y voir des influences de la Révolution conservatrice allemande. D’ailleurs, en ajoutant à son prénom d’état civil celui de « Zeev », le loup, lui faisait-il un clin d’œil ? En tous cas, l’idée de ces influences est validée par Armin Mohler, et la Nouvelle droite ne la démentirait sans doute pas. De manière plus provocante encore, on peut avancer que le nationalisme ethniciste des révisionnistes et l’idée de la régénération nationale se sont construits certes contre l’antisémitisme viscéral de l’Endecja polonaise, mais dans un climat culturel où la défense des juifs pouvait impliquer d’emprunter des schémas mentaux parfois symétriques à ceux des nationaux-démocrates.
Mais ces interactions complexes se sont produites en France aussi, quoique dans une moindre mesure, entre révisionnisme et maurrassisme. Les liens qui ne pouvaient exister du vivant de Maurras en raison de son antisémitisme se sont ainsi établis dans les années 1950 et 1960, et ce par l’intermédiaire de la pensée néo-maurrassienne de Pierre Boutang, passé de l’antisémitisme à l’admiration pour la renaissance nationale du peuple juif en son Etat en général et à la valorisation du soldat-pionnier israélien comme incarnation de l’individu enraciné en particulier. Bien davantage que l’aventure individuelle des quelques militants du Betar passés à Occident ou à Ordre nouveau, la pensée de Boutang et de ses disciples juifs des années se situant autour de 1968 ont contribué à former une génération de la droite sioniste française. Il s’agit d’une histoire qui est encore à écrire.
[1] Hormis l’importation dans les années 2000, par des immigrants venus de l’ex-URSS et à la judéité mal établie, de l’ultra-nationalisme droitier russe avec sa composante anti-musulmane. Les auteurs de multiples profanations de synagogues ou d’attaques physiques commises contre des citoyens orthodoxes juifs en Israël, appartenaient pour la plupart à cette sous-culture, en particulier au milieu skinhead néo-nazi russophone, très opposé à l’orthodoxie religieuse juive.
[2] Voir à ce sujet le récit d’Antoine Graziani, Les visiteurs de l’aube, éditions Dualpha 2009
Cet article est également disponible sur le site de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques.