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Vous avez dit « humanités numériques » ?

cyber cerveau source inconnuePar Bertrand Mocquet

A quoi servent les Humanités numériques ? Que nous apprennent-elles que nous ne savions pas déjà ? Elles peuvent nous permettre de mieux comprendre l’évolution de la littérature ou la valeur de la complexité en Lettres, Langues et Sciences Humaines, comme le résumait très bien Rémi Sussan dans son dossier sur Humanités et sciences cognitives publié sur InternetActu.net[1]. Elles sont aussi l’occasion donnée pour chacun d’entre nous de repositionner le texte, au sens noble du mot, et surtout les producteurs de texte au centre de notre société de l’information.

Cette synthèse propose de vulgariser cette notion à ceux qui la méconnaissent, en la définissant, en faisant un rapide tour d’horizon, peut-être aura-t-on alors moins de craintes ?

Un peu d’histoire ?

En 1949, date d’un voyage aux Etats-Unis, Roberto Busa découvre d’étrange similitude entre la méthodologie de création des cartes perforées et sa façon d’aborder l’analyse linguistique et littéraire. Il devient un des précurseurs de l’utilisation de l’informatique pour les Lettres et sciences Humaines, met en avant plusieurs caractéristiques importantes de l’usage de l’informatique dans le domaine des humanités. À ce titre, il définit les fondements des « digital humanities », qui prendront naturellement l’appellation d’humanités numériques en traversant l’Atlantique, en 2006: l’expression connaît dès lors un véritable succès.

On peut citer pour comprendre la relation qu’il imagine entre l’informatique et les humanités numériques : « L’utilisation des ordinateurs va donc nous conduire à une connaissance plus profonde et systématique de l’expression humaine, en principe, il peut nous aider à être plus humaniste qu’avant[2].

Ce concept, qui, à son début, s’appuie sur une aide à l’analyse d’une donnée afin d’en produire une information, va se trouver étendu avec l’arrivée de la digitalisation des sources et les différents projets internationaux, comme Gutenberg[3], Gallica[4] ou Google Books[5] au début du XX° siècle.

L ‘étape ultime qui bouleverse la recherche dans nos universités, est l’arrivée de plateforme ouverte, Calenda[6], Hypothèse.org[7], Revues.org[8]ou bien humanités en ligne HAL[9] permettant de partager, collaborer les informations de la recherche en lettres, langues et sciences humaines.

Il s’agit maintenant d’utiliser les systèmes numériques de traitement d’information pour passer de la donnée brute à la connaissance de l’information utile à la prise de décision finale, décision pouvant être prise de manière collaborative.

Toute la chaine de traitement de l’information se trouve ainsi toucher par cette digitalisation, ce qui bouleverse la manière de penser la recherche et surtout son mode de publication et de collaboration.

Les humanités numériques en francophonie aujourd’hui

L’ambition n’est pas de faire un tour complet des humanités numériques aujourd’hui mais de repérer, dans des quelques publications récentes, les modalités de mise en œuvre des humanités numériques pour anticiper les leviers de réussite de développement de ceci.

Structurer

Dans son article « Les digital humanities aujourd’hui : centres, réseaux, pratiques et enjeux »[10], Corinne Welger-Barboza propose de définir, ce qu’elle a constaté dans les centres de digital humanities des Universités américaines « une hyper-compétence, valant dans le sens d’hypertexte », cette hyper-compétence naissant grâce à « la coopération entre les chercheurs et les ingénieurs. ». Au niveau de la structure même de ces centre, elle note que cela change les méthodes de travail de tous car « La cyberinfrastructure est une notion complexe parce qu’elle implique de travailler de façon concertée aussi bien sur le plan technologique, au niveau de l’interopérabilité des données, par exemple, que sur la normalisation des langages de balisage des documents. ». Cette structuration met en exergue que les humanités numériques et les métadonnées sont liées et que « Ceci pour dire que l’on arrive à un moment particulier de méta-structuration du domaine ».

Utiliser

Dans « Faire des humanités numériques »[11], Aurélien Berra lors de la lors de la Conférence ARL PACA, 29 novembre 2011, qui fait un amusant parallèle antre la position du chercheur en LSH au fil de l’histoire de façon illustrée, nous dit qu’

« il faut donc aussi entendre faire en un sens dynamique, celui de construire, bâtir ». Il s’agit de transformer ce qui existe pour l’améliorer. Concernant la nature des textes, il aime rappeler que « le texte est polymorphe. C’est un fait ancien, mais aussi une réalité concrète pour nombre de lecteurs, (…). Si je suis un amoureux des manuscrits, des livres, c’est avant tout le texte qui m’importe. Et s’il faut se battre pour des supports, ce n’est pas pour eux-mêmes, mais bien pour ce qu’ils permettent, à savoir une forme de communication, une forme de culture, une forme de réflexion. » et insiste sur le fait que « ce sont les usages qui font vivre les textes ».

Développer les projets

Dans « Développer les sciences humaines numériques au Québec »[12], Louis-Pascal Rousseau chemine dans le monde de la recherche en histoire depuis une quinzaine d’années, De ses années passées à l’Université Laval jusqu’à celles qui l’ont mené à l’Université de Pennsylvanie ainsi qu’à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris, il a acquis une riche expérience dans les nouvelles pratiques de l’histoire. Il insiste tout au long de son article que ce processus de développement ne peut toucher toutes les personnes concernées que si l’on fonctionne en mode projet. Il en propose une cartographie, pour débuter, dans son domaine qu’est l’histoire :

  • Le site Digital Humanities Now, tenu par le Center for History and New Media (CHNM) de la George Mason University.
  • Le site Digital History, a Guide to Gathering, Preserving and Presenting the Past on the Web, en lien avec un livre publié par ce même organisme.
  • Le site MATRIX, Center for Humane Arts, letters and Social science Online, basé à la Michigan State University.
  • geoPratic (Observatoire des pratiques géomatiques dans les Sciences historiques), qui propose un répertoire de projets de recherche basés sur des cartes informatiques à contenu historique.
  • des blogues à ce sujet en français, tel que celui tenu par Claire Clivaz, assistante-professeure à l’Université de Lausanne. Par ailleurs, l’Alliance of Digital Humanities Organizations (ADHO) donne parfois des nouvelles sur des évènements francophones ou bilingues en la matière, notamment ceux tenus par la Société canadienne des humanités numériques.

D’autres sites sont présents dans cet article.

Vivre avec son temps

Marin Dacos, Directeur du Centre pour l’édition électronique ouverte (Cléo) dont il est le fondateur, nous informe de classement des portails collaboratifs de publication de l’OpenEdition[13], et maintient une activité bouillonnante dans les humanités numériques. Je retiens particulièrement son idée que les humanités numériques sont « une contribution à l’épanouissement de la place des sciences humaines et sociales dans les sociétés contemporaines »

Dans « Digital Humanities / Humanités numériques »[14], Marin Dacos défend aussi l’idée, mais pas que, « Les Humanités numériques, ou Digital humanities, tout le monde en fait sans le savoir vraiment. »

Réseauter

Que serait tout ceci sans l’envie de chacun d’entre ces universitaires de promouvoir les humanités numériques ? La forte présence anglophone dans les réseaux des « Digitals humanities », à fait naitre un réel besoin francophone.

En juin 2014, Humanistica a été créé comme « l’association francophone des humanités numériques/digitales ». Elle regroupe en son comité des canadiens, suisses, belges, français et cherche aussi à atteindre le reste de la francophonie.

Les grandes missions, que l’on peut retrouver sur son site[15], à but non lucratif sont :

  • de rassembler et fédérer la communauté francophone des digital humanities, également nommées humanités numériques ou humanités digitales ;
  • de représenter cette communauté auprès des institutions nationales et internationales.

Φ

En guise de conclusion

Ce rapide tour d’horizon devrait nous permettre de détenir une représentation des humanités numériques, peut-être méconnues de certains d’entre nous et, pourquoi pas, de les appréhender en complémentarité avec nos approches personnelles et professionnelles des humanités.

Notes

[1] « Humanités et sciences cognitives (1/4) : Une nouvelle critique littéraire « InternetActu.net » [consulté le 12 janvier 2014].

[2] « Roberto Busa, « The Annals of Humanities Computing : the Index Thomisticus », 1980 | Introduction aux humanités numériques » [consulté le 11 janvier 2014].

[3] « Free ebooks – Project Gutenberg »  [consulté le 11 janvier 2014].

[4] «  Plus de 2,5 millions de documents à portée de main » [consulté le 11 janvier 2014].

[5] « Google Livres »  [consulté le 11 janvier 2014].

[6] « Calenda – Le calendrier des lettres et sciences humaines et sociales » [consulté le 11 janvier 2014].

[7] « Hypotheses | Platform for academic blogs in the humanities and social sciences » [consulté le 11 janvier 2014].

[8] « Revues.org : portail de revues en sciences humaines et sociales » [consulté le 11 janvier 2014].

[9] « HAL :: Accueil » .  [consulté le 11 janvier 2014].

[10] Welger-Barboza Corinne. Les digital humanities aujourd’hui : centres, réseaux, pratiques et enjeux  OpenEdition Press, 2012.  [consulté le 11 janvier 2014].

[11] Berra Aurélien. Faire des humanités numériques. OpenEdition Press, 2012.  [consulté le 11 janvier 2014].

[12] « Développer les sciences humaines numériques au Québec | HistoireEngagée »  [consulté le 11 janvier 2014].

[13] Dacos Marin. « Vers des médias numériques en sciences humaines et sociales : une contribution à l’épanouissement de la place des sciences humaines et sociales dans les sociétés contemporaines » Tracés. 18 décembre 2012, n° HS-12, nᵒ 3, p. 205‑223.  [consulté le 11 janvier 2014].

[14] « OpenEdition Books – Dossier – Digital Humanities / Humanités numériques »  [consulté le 12 janvier 2014].

[15] « Présentation »  [consulté le 17 janvier 2015].

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