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FN/RN : l’Outre-Mer légal plutôt que l’Outre-Mer réel ?

Yves Klein, 1960 (détail).

Première parution : « Nicolas Lebourg, historien : « Le RN peut changer de doctrine sur la Nouvelle-Calédonie car ce n’est pas un sujet mobilisateur » », propos de Nicolas Lebourg recueillis par Robin d’Angelo, Le Monde, 31 mai 2025.

Quelle place occupe la Nouvelle-Calédonie dans le logiciel du Front national [devenu le Rassemblement national] ?

L’imaginaire algérien structure tout le rapport à la Nouvelle-Calédonie. Quand Jean-Marie Le Pen arrive à Nouméa, en 1985, pour la campagne des régionales, il porte son béret de parachutiste, renvoyant clairement à l’imaginaire de la bataille d’Alger. Il se rend aussi sur la tombe d’un de ses amis de l’époque du poujadisme, pied-noir venu ici après 1962 et symbolisant ainsi le lien entre les deux territoires : on est bien dans « la terre et les morts », cette façon de définir la nation depuis le théoricien nationaliste Maurice Barrès [1862-1923].

Selon lui, les Kanak n’avaient pas de souci jusqu’à ce que les « gauchistes » leur empoisonnent l’esprit. La droite post-gaulliste et les grands propriétaires terriens s’apprêtaient déjà à trahir, selon lui, le petit peuple caldoche en rapatriant ses avoirs. C’était, là aussi, un jeu mémoriel avec l’Algérie. Le Pen propose même de juger le président de la République pour haute trahison, et promet en meeting « six balles dans la peau » au représentant du gouvernement, car ce ne serait qu’un « demi-traître ».

Autre exemple, la campagne référendaire sur le statut de la Nouvelle-Calédonie, en 1988. En métropole, les tracts du FN l’évoquent, affirmant que « chaque fois qu’un territoire a été quitté par la France cela a amené des rapatriés français dans un premier temps, des immigrés ensuite ». Jean-Pierre Stirbois, numéro deux du parti à ce moment-là, vient animer la campagne dans l’archipel. Non seulement il affirme que voter oui c’est voter pour « les assassinats, l’exode, la mainmise soviétique », mais il n’hésite même pas à menacer d’une nouvelle OAS [Organisation armée secrète, groupe terroriste refusant l’indépendance de l’Algérie].

L’engagement du FN, puis du RN, sur la question calédonienne se traduit-il électoralement ?

Le FN ne cherchait, par clientélisme, que le vote des Caldoches, sans guère de main tendue aux électeurs d’origine kanak. En 1988, l’année des violences d’Ouvéa, Jean-Marie Le Pen rassemble là-bas 12,39 % des suffrages, quand il ne fait que 1,77 % à La Réunion ou 0,62 % à Wallis-et-Futuna.

Marine Le Pen a sans doute un discours plus ouvert, mais la scène électorale n’est pas simple pour elle. Si on compare ses résultats locaux lors des seconds tours des présidentielles à leur moyenne nationale, en 2017, elle fait ici 13 points de plus et elle est majoritaire à Nouméa. Mais, cinq ans après, elle enregistre 2 points de moins et Nouméa n’offre pas de rebond. Aux dernières élections législatives, le RN avait réussi un beau coup de notabilisation sur le papier en présentant un candidat kanak qui avait déjà été sénateur durant dix-neuf ans. Mais il n’a recueilli que 5,81 % des suffrages.

Marine Le Pen martèle toujours son attachement particulier aux DOM-TOM mais, avant son déplacement de fin mai, elle ne s’était pas rendue dans l’archipel depuis douze ans. L’attachement est en fait révélateur des inclinaisons idéologiques et des générations. Il suffit de comparer les livres des deux récents candidats à la présidence du parti : Louis Aliot, nationaliste classique, écrit que « la Calédonie, c’est la France ». Mais Jordan Bardella, plus soucieux de l’ethnicité, n’en parle tout simplement pas.

Le Rassemblement national a-t-il rompu avec sa lecture néocoloniale, héritée de la guerre d’Algérie ?

Si le RN peut changer de doctrine sur la question néo-calédonienne, c’est que ce n’est pas un sujet de passion mobilisatrice. En métropole, il peut certes servir à parler autorité de l’Etat et grandeur de la France, ce qui ne mange pas de pain, mais au fond l’extrême droite est, comme le reste de la société française, peu soucieuse des outre-mer.

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