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Le Parti communiste français et le Front national

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Jekyll and Hyde, par Spencer Goldade

Le propos de François Hollande sur le Front national et le Parti communiste français a déclenché une polémique. Sous deux angles différents, Joël Gombin et  Nicolas Lebourg ont proposé un cadrage des faits, socio-politique pour l’un, historique pour l’autre. 

φ Propos de Joël Gombin recueillis par Mathieu Dejean, « Pourquoi la comparaison FN / “PCF des années 70″ n’a aucun sens », Les Inrocks, 20 avril 2015.

François Hollande a déclaré que Marine Le Pen parlait “comme un tract du PCF des années 70″. Cette comparaison correspond-elle à une réalité ?

Joël Gombin – Si on écoute bien les propos du président de la République, il apporte des nuances à cette comparaison. Il précise également ce qui, d’après lui, distingue ces deux partis. Je suis cependant un peu surpris par cette déclaration du Président dans le sens où cela fait longtemps que d’un point de vue scientifique, un sort a été fait à l’idée d’un parallèle entre le PCF et le FN. C’est une idée qui revient régulièrement, qui a eu sa popularité à une époque, mais qui ne repose pas sur grand-chose d’un point de vue empirique. Ce parallèle n’est valide ni du point de vue de la géographie ou de la sociologie électorale, ni du point de vue de leurs orientations idéologiques, ni du point de vue de leur recrutement et de leurs pratiques militantes.

Il se trouve que dans l’émission, il commente un reportage qui porte sur le bassin minier. Effectivement c’est un fief communiste. Et il opère un rapprochement entre des formes de protectionnisme qui existent toujours au PC et que le FN reprend aujourd’hui. Mais au-delà de cet aspect anecdotique, la comparaison est assez courte.

D’où vient cette idée qui consiste à comparer l’échiquier politique à un fer à cheval, où les deux extrêmes se rejoignent ? 

C’est une idée qui revient régulièrement, que ce soit dans les travaux scientifique ou plus encore dans le débat public. En réalité dans la littérature scientifique il y a assez peu d’éléments pour soutenir une telle thèse, ne serait-ce que pour une raison simple: tout le monde s’accorde en science politique pour dire que l’espace politique n’est pas unidimensionnel. Il est pluridimensionnel. A partir de là, l’idée selon laquelle on pourrait projeter l’espace politique sur une bande qui se replierait à ses extrêmes ne fait aucun sens. Si vous prenez n’importe quel parti deux à deux, vous aurez toujours des points communs et des différences.

C’est une idée que l’on trouve dans les milieux libéraux au lendemain de la seconde Guerre mondiale, chez Isaiah Berlin [philosophe et historien des idées anglais, ndlr] ou Karl Popper par exemple. On se situe à cette époque dans le cadre d’une réflexion sur le totalitarisme. Toute une génération de philosophes et d’économistes libéraux ont tenté d’imposer l’idée qu’en dehors d’une certaine version de la démocratie libérale, inséparable du libéralisme économique le plus pur, il ne peut pas y avoir de salut. Et que tout le reste conduit forcément sur la pente du totalitarisme. C’est à partir de cette idée qu’il y a un juste milieu vertueux, qu’apparaît l’idée du fer à cheval. Dès lors que l’on s’en écarte par la gauche ou par la droite, on se trouve sur cette même pente du totalitarisme.

Il est frappant d’entendre le président adhérer à cette vision selon laquelle dès que l’on prône le protectionnisme on se retrouve sur la voix du PCF stalinien.

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φ Nicolas Lebourg, « Oui, le Parti communiste dans les années 1970 était chauvin et populiste. Non, le FN n’est pas l’équivalent du PCF », Slate, 20 avril 2015.

«Madame Le Pen parle comme un tract du Parti communiste des années 1970 (…) sauf que le Parti communiste, il ne demandait pas qu’on chasse les étrangers, qu’on fasse la chasse aux pauvres», a déclaré François Hollande lors de l’émission «Le Supplément» sur Canal+ le 19 avril. Cela a déclenché cris scandalisés et même demandes d’excuses publiques de la part de membres du Front de Gauche et du Parti communiste, profondément choqués comme eût dit Jean-François Copé.

Certes, l’émotion a des arrières-pensées stratégiques quant à 2017 chez les ténors politiques (d’où le fait de citer ce propos en en enlevant la seconde partie). Mais, parmi les citoyens, d’aucuns avec sincérité s’émeuvent de ce rapprochement. Est-il fondé en raison?

François Hollande a parlé d’un «tract du Parti communiste des années 1970». Dire «un tract», c’est désigner le discours partisan, et non les militants en tant qu’individus, ou l’idéologie en-soi, etc. Spécifier cette période, c’est bien sûr songer aux «dérapages» du PCF, comme on dirait aujourd’hui…

Or, dans son discours d’alors, le PCF fustige le progressisme sociétal de la jeunesse post-1968, multiplie les saillies à l’encontre des populations d’origine arabo-musulmane, envoie ses bulldozers à leur rencontre, voit comme un point de détail d’un«bilan globalement positif» les crimes des régimes communistes, abandonne la réflexion économique marxiste à un «yakaisme» effréné et plus ou moins interclassiste, donne sa bénédiction à un «antisionisme» qui sombre parfois dans l’antisémitisme le plus grossier (après la guerre des Six Jours on dénonça lors du congrès de la CGT la «tribu cosmopolite de banquiers» se repaissant du sang des Arabes aux pieds du «Veau d’Or»…).

Sur le plan du discours, le PCF est à ce moment un parti qui recourt aux ficelles du chauvinisme et du populisme en tant que style. Un des journaux d’extrême droite en concluait en 1981 que Marchais «laissera forcément sur leur faim tous ceux qu’il aura ainsi attirés. Il s’ensuivra pour nous une aubaine extraordinaire dont nous lui sommes, par avance, reconnaissants».

Mais, est-ce cela qui importe vraiment? Au bout du compte, ce qui choque dans le propos de François Hollande, ce n’est pas tant ce qu’il dit, que les sens que les téléspectateurs y apportent. Les questions qui surgissent, éternels serpents de mer, sont celles de la jonction ou non des extrêmes. Et cela nous demande d’aller plus loin en arrière que les années 1970.

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