Nouveau

Qu’est-ce que « l’union nationale » ?

Charles Thévenin (1764-1838), La Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, au Champ-de- Mars, peinture réalisée en 1795.

Propos d’Olivier Dard recueillis par Dominique Albertini, « L’«union nationale», un «classique de la politique en temps de crise»« , Libération, 17 mars 2020.

«J’appelle tous les Français à s’inscrire dans cette union nationale qui a permis à notre pays de surmonter tant de crises par le passé». Quel genre de mémoire Macron convoque-t-il par ces mots ?

«Union nationale», historiquement, renvoie à une combinaison parlementaire de la IIIe République, une sorte d’alliance des partis de droite dans l’entre-deux-guerres. On peut parier que le Président a autre chose en tête : une unité nationale, comprise comme le rassemblement de toute la nation. C’est un classique de la rhétorique politique en temps de crise, et en particulier de guerre. On peut en dater la naissance à juillet 1914, avec l’appel à une «union sacrée» au début de la Première Guerre mondiale. C’est le triomphe de l’idée nationale sur la solidarité de classe. Cela va se traduire par un accord de l’ensemble des forces politiques, y compris les socialistes qui étaient jusqu’alors pacifistes. Et même au-delà du Parlement, puisque l’Action française, mouvement antirépublicain, fait à ce moment-là passer les considérations nationales avant le reste.

S’agit-il d’une mystique française ?

En Allemagne, où les socialistes aussi avaient voté les crédits de guerre, quelque chose de comparable s’est produit durant la Première Guerre mondiale. Durant la Seconde Guerre mondiale, elle se produit également en Grande-Bretagne autour de Churchill. Formellement, il est difficile de parler d’union sacrée avant l’entrée des masses en politique à la fin du XIXe siècle. Mais il est vrai qu’en France, une certaine tradition y tend : autour de la monarchie d’abord, sauf à considérer que la nation ne naît qu’à la Révolution ; fête de la Fédération, le 14 juillet 1790 ; notion de «patrie en danger» sous la Révolution ; bonapartisme ; «union sacrée» de 1914, et enfin gaullisme. Le Général entendait incarner personnellement cet idéal national, et à vrai dire incarner la France elle-même.

Elle a aussi des connotations antipolitiques, puisqu’elle propose de suspendre la controverse démocratique…

Oui, c’est une notion unanimiste, elle consiste à considérer que, pour un temps, ce qui nous rassemble est au-dessus de ce qui nous divise. Elle est donc compliquée à articuler avec une logique démocratique, libérale, dont le principe est d’organiser la confrontation des points de vue. De Clemenceau à De Gaulle, elle tend d’ailleurs à valoriser la figure du chef qui, dans ces circonstances, est réputé incarner l’intérêt national. Même le peu populaire François Hollande l’a constaté dans le contexte des attentats terroristes qui ont marqué son quinquennat. C’est probablement un effet recherché par Emmanuel Macron à travers ses interventions.

Peut-on, comme l’a fait Emmanuel Macron, assimiler la lutte contre le coronavirus à une «guerre» ?

J’avoue que le terme ne me choque pas. Ne serait-ce que par le bilan attendu de l’épidémie et par certains de ses effets : villes désertes, phénomène de «fuites», réflexes de stockage… Comment ne pas avoir en tête certaines images de 1940 ?