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2007-2017 : une décennie de «marino-lepénisme»

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Rubik’s cube en braille

L’Observatoire des radicalités politiques publie une note de Nicolas Lebourg pour analyser l’évolution et la nature du programme présidentiel de Marine Le Pen :

Jean-Marie Le Pen part confiant aux élections présidentielles de 2007. Il ne cesse de le répéter : il va réitérer la performance du 21 avril 2002, puis il va faire mieux. Mais, déjà, Marine perce sous Le Pen. Venue à la politique durant la guerre interne contre Bruno Mégret, elle a rencontré le public en 20021. C’est la première fois qu’elle tient vraiment des rênes. Dans l’attelage baroque de de la campagne électorale, Marine Le Pen a la direction « stratégique », Bruno Gollnisch a la direction « opérationnelle ». La délicate collecte des cinq cents signatures relève du rôle du « coordinateur » Louis Aliot, tandis que Jean-Claude Martinez est « conseiller spécial en charge de la prospective stratégique ». À cet organigramme illisible s’ajoutent les groupes de travail. Tous ensemble, ils omettent le premier tour. Le second ne vint jamais. Jean-Marie Le Pen fait une contre-performance (10 ,44% des suffrages).

En 2017, Marine Le Pen part favorite du premier tour, mais est toujours donnée perdante du second, avec cependant un écart promis bien différent de celui connu par son prédécesseur face au Président Chirac.

Pour comprendre la dynamique d’un Le Pen l’autre, il ne faut donc pas se contenter de lire 2017 à l’aune de 2012. Prendre le Front national au sérieux, c’est lire son programme de 2017 en miroir de celui de 2007. D’une campagne imperdable l’autre, d’une « Marine Le Pen » en formation à « Marine » en confirmation, comment l’offre politique frontiste s’est-elle réorganisée ?

Prolégomènes à l’offre d’ordres

Celui du père ou celui de la fille, chacun des programmes est précédé d’une déclaration liminaire du candidat. Celui de 2007 le situe d’abord contre le « joug totalitaire à visage démocratique », et place le combat nationaliste dans l’histoire du XXe siècle, de la lutte contre le communisme à celle des guerres de décolonisation. Le but est « la libération de la France », pays de « civilisation millénaire » dont le cadre national serait « aussi indispensable à la vie que le bordage d’un bateau : le rempart contre les flots menaçants et la coque qui renferme les espoirs des passagers ».

Deux mesures sont évoquées dès ce préambule : « le retour des immigrés dans leur pays d’origine, dans des conditions de dignité et de respect des personnes. La vie humaine innocente, de son origine à son terme naturel, sera protégée et la famille mise à l’honneur ».

En 2017, il n’est plus fait mention du passé ou de l’histoire, le propos de Marine Le Pen n’use ni du lyrisme ni du passé. Le mot d’ordre est « remettre la France en ordre en cinq ans », reprenant ainsi le propos populaire si classique selon lequel l’extrême droite pourrait avoir le mérite de remettre de l’ordre, mais que c’est sa pérennité qui serait inquiétante. Marine Le Pen l’intègre et prend bien soin de signifier qu’il ne s’agit pas d’instaurer un régime mais d’assumer une fonction éligible.

Mieux, elle accentue ce trait en spécifiant « Mon projet, vous pourrez le constater, consiste en une véritable révolution de la proximité » : ce n’est pas l’aventure collective d’un parti nationaliste, mais une personne qui décline le thème de la proximité sur le plan démocratique et économique. Pourtant, la libération de la France est encore-là, de même que les thèmes unitaristes et l’opposition entre patriotes et mondialistes : mais si la vision du monde est équivalente, elle est ici passée au tamis de l’apaisement.

Un aspect formel est notable : le texte signé par Marine Le Pen est adapté au lectorat d’aujourd’hui. Le registre lexical est resserré, la lecture ne demande aucune préconnaissance, le texte ne fait qu’une brève page. La présentation du programmes suit cette volonté d’adaptation au public. Chaque chapitre du programme de 2007 présente d’abord une longue analyse idéologique, nourrie de nombreuses citations. Elle fait montre d’un certain lyrisme grâce à l’usage rhétorique d’antonomases inverses (par exemple : « Il y a, en effet, dans la continuité des civilisations et des peuples, une harmonie préétablie, reflet de la Création, que les Grecs appelaient Cosmos, qui signifie Ordre ») avant d’en venir aux propositions qui y affèrent, le tout dans une mise en page anarchique. Les conceptions holistes et naturalistes sont affirmées, ainsi avec l’idée d’un « ordre naturel » auquel l’homme doit se confirmer.

Celui de 2017 ne se préoccupe pas de cet aspect doctrinaire et privilégie une stylistique directe (chaque mesure est introduite par un verbe à l’infinitif et est numérotée). Il ne s’embarrasse pas de développements philosophiques et va directement aux propositions – ce qui ne signifie pas qu’il soit moins cohérent idéologiquement. Son cadre doctrinaire ce sont les frontières du pays : en 2007 la France était une Histoire, dix ans après elle est une géographie.

1Voir David Doucet et Mathieu Dejean, La Politique malgré elle, Paris, La Tengo, 2017.

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