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Paganisme identitaire aux États-Unis : le cas de la Wulfing Kindred

fpJhTpxPar Stéphane François

Ce texte fera l’objet d’un développement scientifique dans le cadre du quatrième tome du programme IDREA.

Le paganisme raciste, aux États-Unis, dépasse en nombre et en influence les groupuscules nazis locaux, ainsi que les franges radicales du Ku Klux Klan. En 2003, environ 50% des adeptes du paganisme nordique dans ce pays sont des extrémistes de droite, en particulier en prison, promouvant la supériorité de la race aryenne, l’antisémitisme, le racisme et le négationnisme. Depuis, ce chiffre à continuer d’augmenter, pour se situer actuellement aux alentours de 60% des adeptes.

Malgré tout, le racisme de type national-socialiste est très minoritaire dans ce pays. En effet, il faut garder à l’esprit que les nazis américains sont souvent des lunatics fringes, c’est-à-dire des marginaux et des excentriques, peu sérieux et passablement illuminés… et dont les troupes ne dépassent guère les 2000 militants au grand maximum (dans un pays de 318 millions d’habitants) pour les partis les plus importants tel l’American Nazy Party. Enfin, l’aryanisme dans ce pays est la conséquence des discours sur la supériorité de la race blanche, compris dans le sens des White Anglo-Saxons Protestants, les fameux WASP, élaboré dans le cadre d’une autre tradition raciste que celle du nazisme, avec des auteurs-phares de la suprématie blanche comme Lothrop Stoddard ou Madison Grant. Nous sommes donc face à une tradition antérieure au nazisme, qui parfois a influencé ce dernier.

Cependant, le groupe que nous allons étudier ici intègre dans sa vision du monde des éléments provenant de l’anthropologie nazie, en particulier provenant de la SS : il est à la recherche d’une sorte de tribalisme völkisch, rejetant le jacobinisme du national-socialisme, concrétisé dès avant-guerre tel celui des Artamans, et dont nous retrouvons l’idée chez certains ex SS après la Seconde guerre mondiale.

L’essor du paganisme raciste aux États-Unis au début des années 2000 est lié à une radicalisation de ses militants et/ou adeptes, dont les prémisses sont à chercher dans la décomposition de l’extrême droite de ce pays, et surtout dans la recomposition multiculturelle de celui-ci. Ces adeptes partent du postulat que le gouvernement fédéral est hostile aux Blancs. En réponse, ces groupes font la promotion d’un projet ouvertement révolutionnaire d’un séparatisme blanc, à forte connotation religieuse, héritage des völkisch allemands du début du XXe siècle, reconstruisant la religion germano-scandinave de l’Antiquité et du Haut Moyen Âge.

Ces militants développent un discours racial identitaire, cherchant à défendre l’identité blanche partout où elle se trouve, et promouvant une solidarité ethnique, avec parfois des positions « socialisantes ». La communauté internationale imaginée des néopaïens aryens dépasse le cadre restreint du nationalisme : elle se place à la fois dans une logique tribale et pan-aryenne, promue par les néonazis, souhaitant créer des liens avec les différents groupes, surtout européens (anglais, allemands, scandinaves). Ces différents groupes, marginaux dans leurs pays respectifs, ont pu mettre en place une synergie internationale très dynamique grâce à Internet, permettant les échanges de livres, musiques, informations, stratégies.

En outre, ces groupes biologisent la spiritualité : leurs prêtres et prêtresses, ainsi que les membres de leurs groupes portent en eux à la fois la race à préserver, mais aussi une religiosité qui leur serait propre, une religion raciale en quelque sorte. Cette idée était déjà présente chez les SS, et avant eux chez les völkischen allemands et autrichiens, pour qui l’homme n’est qu’un maillon d’une longue chaîne raciale et spirituelle. Ces groupes font donc le lien entre race, et religion et enracinement. Cette idée de lien se retrouve dans les discours de la Wulfing Kindred.

Ce groupe a été fondé par Robert Taylor (né en 1945), qui le dirige encore. Il est affilié à une structure plus grande, elle-même évoluant dans le cadre du paganisme aryen américain, l’Asatrú Folk Assembly (ou AFA). Robert Taylor est un artiste, poète, musicien et écrivain. Surtout, il s’agit d’un militant d’extrême droite de longue date. Trop jeune pour devenir un membre de l’American Nazi Parti, il devint un membre des Minutemen, une autre formation extrémiste américaine, foncièrement anticommuniste et clandestine, fondé en 1960 par Rober Bolivar DePugh. Taylor en devint rapidement un responsable, organisant l’infiltration des structures « communistes », gauchistes ou antimilitaristes entre 1962/1963 et 1967/1968. Il organisa également des stages d’entrainement à la guérilla. Lors de la fuite de DePugh, recherché par la police, les Minutemen devinrent une formation terroriste. Taylor quitta ce milieu en 1968/1969 pour devenir un acteur de la contre-culture à Chicago.

Là, il forma un groupe de folk Changes, aux textes très nietzschéens, qui fut l’un des rares groupes de ce registre à n’être pas de gauche à l’époque aux États-Unis. C’est durant cette période qu’il développa son rejet de l’Occident et de ses valeurs. Au milieu des années 1970, il fonda avec son épouse sa première structure païenne, the Northernway, qui ne dura pas suite à des dissensions internes. Cependant, le groupe qui le suivit se transforma en Wulfing Kindred dans les années 1990. En 1998, ce groupe avait 48 membres. Ce faible nombre de militants est la conséquence de la politique élitiste de Robert Taylor qui renvoyait les membres non productifs ou non impliqués dans le mouvement.

L’un de ses membres très actifs est Michael Moynihan. Ce militant d’extrême droite de longue date est à la fois un musicien, un auteur et un éditeur. Son groupe, Blood Axis, est une référence dans le registre de la musique industrielle/dark folk, offrant une musique dont la caractéristique est d’être complètement « blanche », c’est-à-dire à la fois entièrement débarrassée d’influences noires (ses références musicales sont plutôt à chercher dans le folk, la musique classique et la musique contemporaine européenne) et développant un discours eurocentriste et ouvertement païen.

Dès son arrivée à la Wulfing Kindred, Moynihan participa à différents projets avec Taylor, dont une réédition du seul album de Changes, Fire of Life. Parallèlement, et lié à son initiation à la Wulfing Kindred, Moynihan, collabora à d’autres revue païenne raciste, dont Vor Trú de l’Asatrú Folk Assembly. Il participa aussi à des fanzines d’extrême droite comme Resistance. Néanmoins, son principal intérêt reste le nazisme occulte. Ainsi, Moynihan fut dans le années 1990 un collaborateur régulier d’une revue intitulée The Filth Path, qui publia un grand nombre d’articles sur le nazisme, l’occultisme et le satanisme. À l’époque, Moynihan évoluait dans les milieux satanistes américains –il était d’ailleurs membre de l’Église de Satan. Par la suite, il s’intéressa aussi beaucoup aux aryosophes autrichiens, en particulier à Guido von List.

Il fit d’ailleurs un pèlerinage en Autriche sur les traces de ce théoricien important du paganisme raciste. Enfin, il est connu pour des propos ouvertement antisémites. En 1994, il estimait que le consensus du nombre de morts juifs était une estimation arbitraire, et probablement une grosse exagération. De ce fait, Michael Moynihan fut rapidement accusé de racisme et de nazisme. Une accusation non dénué de pertinence au vu de son intérêt pour le paganisme raciste et l’occultisme nazi.

Les aspects du national-socialisme qui intéressent notre groupe sont précis. Il s’agit de deux types d’éléments : 1/le « nazisme occulte », en fait des éléments ésotériques développés ou réutilisés par la SS qui, bien qu’elle se présentât comme gardienne de l’orthodoxie nazie, avait parfois une idéologie différente des autres nazis ; 2/les discours des groupes völkisch, c’est-à-dire les groupes précurseurs du nazisme, vu comme des prédécesseurs de première importance ; les deux parfois ne faisant qu’un. En effet, Himmler a nommé à des grades élevés de la SS de nombreux pionniers des idées völkisch de la période munichoise, c’est à dire de la période de la naissance du parti nazi (1920-1924).

D’un point de vue global, les groupes païens aryens consacrent un nombre important d’articles (dans leurs revues ou sur leurs sites) au milieu völkisch, à ses thèses et aux théoriciens importants. Ainsi, le groupe qui nous intéresse a une revue Tyr sous-titré « Myth, Culture, Tradition ». À ce jour, quatre numéros sont parus. Le premier numéro consacre un article à Hermann Löns ; le deux à Ludwig Fahrenkrog, à Friedrich Hielscher, à Herman Wirth ; le trois, enfin, ne comporte pas d’articles sur cette période. Je n’ai pas encore pu consulter le quatre.

La référence à Hermann Wirth est intéressante. Elle revient régulièrement sous la plume de Michael Moynihan. Il s’agit d’un archéologue völkisch dont les travaux furent condamnés par l’ensemble du monde universitaire, membre du parti nazi dès 1925. Il est l’auteur en 1928 de l’ouvrage Der Aufgang der Menscheit (« La naissance du genre humain »), dans lequel il développe l’idée de l’origine hyperboréenne des Aryens.

Selon lui, ce qui a rendu le pôle impropre à la vie et forcé les Hyperboréens à émigrer en Europe est un décalage des pôles. Il soutient aussi dans Die Heilige Urschrift der Meinschheit, publié en 1931, l’idée selon laquelle l’Atlantide fut un empire du Nord hautement civilisé, datant de l’Âge de pierre, qu’il localisait aux alentours de l’Islande. En fait, il fusionne l’Atlantide avec Hyperborée. En 1935, Wirth est nommé directeur de l’Ahnenerbe Institut du fait de sa proximité avec la SS : il est protégé par Heinrich Himmler et Walther Darré. Il est néanmoins rapidement écarté. Son départ est motivé par une divergence profonde avec Himmler. Wirth fut nommé doyen de l’université de Munich en 1937, avant d’être éloigné définitivement des cercles universitaires par le régime. À la fin de la guerre, il n’est pas dénazifié.

Mais surtout, ces groupes se réfèrent à la fois à des aspects occultistes et à des auteurs marginaux au sein du national-socialisme, tel Karl-Maria Wiligut. Michael Moynihan a édité une monographie qui lui est consacrée, The Secret King. Karl Maria Willigut Himmler’s Lord of Runes. Le premier chapitre de ce livre, « The Myth and Reality of Nazi Occultism », est particulièrement intéressant pour notre propos car les auteurs (Stephen E. Flowers et Michael Moynihan) reprennent :

1/l’idée d’une influence des aryosophes sur le national-socialisme ;

2/l’idée de l’influence des völkisch sur Himmler ;

3/le fait que Hitler méprisaient les néopaïens et les völkisch (et donc se dédouanent de toute sympathie pour le nazisme en tant qu’hitlérisme) ;

4/ l’idée que l’occultisme nazi n’existe pas (ce qui est vrai), mais que certains nazis étaient des païens nordicistes qui furent protégés par la SS et l’Ahnenerbe. Selon eux, Karl-Maria Wiligut en est un bon exemple.

Sur ce point, la lecture de cet ouvrage montre clairement qu’ils sont tributaires d’un ex SS autrichien, Rudolf Mund (ses deux ouvrages sont cités), un disciple de Karl Maria Wiligut : c’est Mund en effet qui est à l’origine de l’idée que Wiligut fut le « Raspoutine de Himmler ».

Malgré l’énonciation de l’idée de la non existence de l’occultisme nazi, la bibliographie (citant les ouvrages de Serrano, Devi, Angebert, Mund, Blavatski, Evola, landig, Rahn, Sebottendorf, Spanuth, Wirth), la présence auprès de Michael Moynihan de Stephen Flowers/Edred Thorsson, montrent de façon limpide, ainsi que l’intérêt du même Moynihan pour l’ésotérisme, le contraire. En effet, Flowers, sous le pseudonyme de Thorsson, a développé une conception ethnique-spirituelle du nordicisme, considérant que la « race » est porteur de la spiritualité aryenne (i.e. indo-européenne).

Il a aussi traduit et édité en anglais des classiques de l’aryosophie, comme Le Secret des runes de Guido von List, un ouvrage ésotérisant délirant dans lequel List inventa des runes (dites « armanistes »), associant Moynihan a ses travaux. Au-delà de Wiligut, se sont donc les aryosophes qui attirent ces groupes. Ainsi, la « Kruckenkreuz », symbole de l’Ordo Novi Templi du théoricien raciste et nordiciste autrichien Jorg Lanz von Liebenfels est utilisé comme logo par la formation musicale de Michael Moynihan, Blood Axis. D’ailleurs, ce dernier n’a jamais caché son attrait pour les aryosophes et l’occultisme SS : Michael Moynihan visita les sites mystiques de la SS, tels que le château de Wewelsburg, la tombe de Karl Maria Willigut ou le massif des Externsteine, le Stonehenge allemand selon les aryosophes.

Enfin, Moynihan est fasciné par le ministre de l’agriculture du Troisième Reich, accessoirement général SS, Walther Darré. Il lui a consacré une notice dans une encyclopédie écologiste, dans laquelle il le dédouane de son racisme virulent, de son antisémitisme et de son engagement nazi, insistant sur sa disgrâce de 1942 (qu’il appelle « persécution ») et sa défense de l’agriculture biodynamique de l’anthroposophe Rudolf Steiner. Mais il est vrai que Darré, par sa défense de la petite paysannerie traditionnelle, par sa défense du « sang et du sol » est une référence intellectuelle importante dans ce milieu. L’intérêt pour Darré se voit dans leur révolte contre le monde moderne (c’est-à-dire, concrètement dans leur rejet des modes américains de consommation et de vie), dans leur volonté de se rebeller contre les « maladies » du monde moderne : l’industrialisation, l’urbanisation, le matérialisme, la rationalisation, etc.

Il existe, parmi ces références national-socialistes, un point obscur dans les thèses de Moynihan. Celui-ci s’est plusieurs fois exprimé dans les années sur l’idée d’une persistance de la vraie « religion de l’Europe » dans les hérésies médiévales. Or, cette idée vient de Himmler et de la SS. Après la Seconde guerre mondiale, elle fut défendue par Sigrid Hunke, dès 1969 dans La Vraie religion de l’Europe. Celle-ci était une spécialiste des religions comparées, travaillant accessoirement pour la SS, qui fut également la plus importante représentante néopaganisme germanique durant ces trente dernières années. Sachant que Moynihan lit très bien l’allemand, qu’il connaît tout aussi bien les milieux païens allemands et la Nouvelle Droite française, qui traduisit en 1985 le livre d’Hunke, il fortement improbable qu’il ne connaisse pas cet auteur. Pourtant, il ne la cite pas pour une étrange raison alors que Hunke a permis le recyclage de thèses de l’Ahnenerbe : elle eut une carrière brillante, son passé ne ressurgissant que très récemment…

Malgré tout, ces groupes se réfèrent tout de même parfois aux nazis américains. Ainsi, Michael Moynihan a édité, en 1992, une anthologie de Siege, la revue mensuelle violemment antisémite du néo-nazi américain James Mason. Celui-ci a commencé son militantisme en 1966 lorsqu’il a rejoint le très médiatique nazi américain Georges Lincoln Rockwell, avant de réactiver le National Socialist Liberation Front, une formation fondée en 1973. À partir de 1980, James Mason voulait renversait le système et Siege était selon son mot une « déclaration de guerre à l’establishment ». Néanmoins, il semblerait que Moynihan ne partageait pas toutes les idées de Mason.

Nous voyons que les références SS qui intéressent nos milieux sont prioritairement des personnes qui furent marginales au sein de l’Ordre noir, mais qui furent néanmoins utilisées par Himmler comme caution intellectuelle dans l’élaboration de la doctrine de la SS. Ces personnes, par leur position marginale et surtout par leur mise à l’écart, leur « persécution », échappèrent à la dénazification à la fin de la Seconde guerre mondiale. D’une certaine façon, leur mise à l’art participe pour nos milieux à une non-compromission, toute relative il est vrai, avec la SS. C’est idée ressort clairement de la notice que Michael Moynihan a consacré à Darré, une référence très importante pour la mouvance de l’aryanisme révolutionnaire euro-américain.

Ces groupes participent à l’évolution de la droite radicale américaine, de moins en moins chrétienne. Ils se substituent de plus en plus à des formations sur le déclin, tel le Ku Klux Klan qui, outre la perte de membres, est miné par les scissions. En outre, la mise en place de synergies montre la naissance d’une extrême droite euro-américaine qui ne se place plus dans le cadre du nationalisme, mais dans celui, identitaire, d’une solidarité ethnique et cultuelle.

Dans ce domaine, le précurseur est un britannique, Roger Pearson, à l’origine de la création, en 1957 à Londres de la Northern League, une ligue néonazie, dans laquelle on trouvait un nazi, chantre de la race nordique, Hans F. K. Günther. Ses objectifs principaux étaient définis de la façon suivante : « 1/ […] Mener tous les peuples originaires du nord de l’Europe et qui sont disséminés dans le monde à une compréhension effective de leur héritage commun […] 2/ […] combattre la menace qui pèse du dehors sur notre héritage biologique et culturel : les forces “égalitaires” du communisme et du cosmopolitisme, soutenues par une population étrangère toujours croissante, menacent de faire disparaître nos peuples et notre culture […] 3/ […] combattre l’insidieuse décadence biologique et culturelle de l’intérieur, causée d’une part par l’immigration […], d’autre part par les idées destructrices soi-disant “progressistes” […] ».

Il serait donc judicieux d’approfondir ce passage d’idées pour comprendre la réutilisation de certains thèmes. Et cela d’autant plus que la fin du XXe siècle a vu la mise en place de tentatives d’Internationales blanches, avec la création de réseaux euro-américains, recyclant les vieux discours racistes de la suprématie blanche, comme nous l’avons mis en évidence dans notre ouvrage intitulé Au-delà des vents du nord, mettant en place un jeu d’interaction et d’influences conjointes. De ce fait, nous devons nous demander si nous sommes encore dans une logique néonazie, ou si nous devons reconnaître la victoire idéologique du vieux suprémacisme anglo-saxon chez les radicaux, y compris chez ceux qui se réclament du nazisme ?

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