Deux siècles de fake news archéologiques

Notre ami Jean-Loïc Le Quellec vient de publier Des Martiens au Sahara. Deux siècles de fake news archéologiques (Éditions du détour, Bordeaux, 2023). Ce livre est une réédition considérablement augmentée (doublée ?) de Des Martiens au Sahara. Chroniques d’archéologie romantique, paru en 2009 chez Actes sud/Errance. L’ouvrage voit aussi ses chapitres, une trentaine, plutôt courts, réorganisés. Bref, il s’agit quasiment d’un nouveau livre, passionnant. Chaque chapitre est thématique.
L’ouvrage dresse un large panorama de ce que peut produire la « pseudo-archéologie ». Son intérêt principal est résumé par son sous-titre, qui a changé. De « chroniques d’archéologie romantique » il est devenu « Deux siècles de fake news archéologiques ». En quatorze ans, le contexte culturel et social s’est modifié en profondeur. Nous sommes passés de doux dingues, souvent fantasques (pensons aux collections consacrées à « l’archéologie mystérieuse », qui ont fait florès dans les années 1970 et 1980), à des positions plus agressives, se cachant derrière un discours pseudo-scientifique, cherchant à saper la confiance du public envers la science et les connaissances établies. Surtout, le complotisme et ses thèses toxiques se sont considérablement diffusées avec l’épidémie de Covid 19. Du fait du développement de l’Internet et des réseaux sociaux, il est facile aujourd’hui de se perdre dans le labyrinthe des théories alternatives et des récits pseudoscientifiques. Souvent attrayants par leurs aspects à la fois simplistes et spectaculaires, les deux font des ravages en remettant en question les connaissances scientifiques.
Jean-Loïc montre très bien comment ces discours ont accédé à une plus grande visibilité. D’une diffusion restreinte au XIXe siècle, à l’exception des textes de John Smith, à l’origine d’une nouvelle religion (l’Église de Jésus Christ et des saints des derniers jours -les mormons), les thèses analysées dans ce livre ont touché un public de plus en plus large avec l’invention d’Internet. Parmi celles-ci, nous pouvons citer comme exemple le créationnisme. Ses partisans n’hésitent pas à utiliser de faux grossiers pour promouvoir leurs idées, cibles d’ailleurs de plusieurs chapitres (les chapitres 6, « un doigt de créationnisme » ; 11, « Un peu d’arche -ologie » ; 12, « Greenpeace et le déluge » ; 13, « Un paradis de perdu, 10 scoops de trouvés ! » ; 14, « Mammouth et Mormons » ; 16, « Les Amérindiens ont-ils vu des diplodocus » ; 17, « N’auraient-ils pas vu mammouths, rhinocéros et tricératops », …).
Une autre cible de l’auteur est Graham Hancock, un journaliste britannique, spécialisé dans l’« histoire mystérieuse », et les partisans d’une « histoire secrète », qui serait soi-disant rejetée par l’archéologie officielle » (dixit le même Hancock dans l’introduction de sa série de “documentaires” (« À l’aube de notre histoire ») diffusée sur Netflix.

Là, comme nous l’explique Jean-Loïc Le Quellec dans son « Prologue », nous changeons de registre : il ne s’agit plus de promouvoir une « vision alternative » de l’histoire, l’« archéologie romantique » mise en avant par l’auteur dans le sous-titre de la première édition du livre, mais de banaliser des thèses aux sous-entendus racistes, qui nient aux différentes civilisations non-européennes la capacité de fonder des cultures complexes, admirables sur le plan archéologique. Le postulat est simple : elles n’ont pu le faire qu’avec une aide extérieure. Chez Erich von Däniken et dans Aliens Theory, une série télévisée de pseudo-documentaires (qui découle des thèses du premier), la réponse est simple : ce sont les extraterrestres (voir le chapitre 27, « Des Martiens au Sahara et autres “têtes rondes” »).
Chez Graham Hancock, c’est plus subtil : il ne donne jamais le nom de ces ancêtres créateurs de civilisation. Il donne juste une époque 12 000 EC, la même pour chaque épisode de sa série. Avec une autre information, celle de l’idée d’un cataclysme mondial. Dans ses livres, il est plus explicite : cette civilisation primordiale, créatrice des autres, est l’Atlantide. Et les Atlantes, chez Hancock, sont blancs. Évidemment, pourrions-nous dire. Ces thèses, de peuples blancs civilisateurs, sont discernables chez d’autres auteurs de cette même niche éditoriale, et cela dès les années 1960 : Robert Charroux ou Jacques de Mahieu, par exemple (lire l’« Épilogue »). Les défenseurs d’Hancock (mais aussi lui-même -on n’est jamais mieux servi que par soi-même) mettent en avant l’idée d’un complot : les partisans de la « science officielle » (les universitaires donc) empêcheraient la diffusion de la découverte, par un amateur de surcroît, de l’origine européenne et préhistorique de la civilisation. La vieille thèse aryaniste de la supériorité de la « race blanche » est comme le diable : elle se cache dans les détails.
L’autre grand mérite du livre de Jean-Loïc Le Quellec, en plus de son incroyable érudition, est de montrer comment ces discours racistes, qui ne sont pas anodins, se banalisent de nouveau, après la vague des années 1970, grâce à Internet et à sites de streaming comme Netflix. Laissons le mot de la fin à l’auteur :
« Pourquoi s’intéresser aux innombrables histoires de genre ? Parce que les thèses fondamentalistes et créationnistes ne peuvent séduire que des personnes mal informées et parce que l’archéologie fantasque (ou romantique) véhicule souvent des idées racistes, ou contribue à les renforcer involontairement en recyclant éternellement les mêmes billevesées. La mauvaise archéologie peut faire sourire, elle n’en est pas moins potentiellement dangereuse, ainsi que l’ont montré plusieurs cas décortiqués dans ce livre. » (pp. 345-346).
Cet ouvrage, très solidement documenté, à l’ironie mordante, est de salubrité intellectuelle à lire et à faire lire.