Le Wotanisme de Q Shaman
Alors que le mandat de Donald Trump s’achève dans les circonstances que l’on sait, voici ci-dessous l’article publié par Stéphane François le 8 janvier 2021 sur le site de L’Obs pour décrypter l’allure de « Q Shaman ».

Le Valknut entouré des runes armanistes
Le personnage de Q Shaman est intéressant : il porte plusieurs tatouages qui font références aux religions païennes nordiques (Odinisme ou wotanisme selon les courants). On en voit trois sur son torse : un Yggdrasil, un marteau de Thor et un Valknut.
Yggdrasil, le frêne arbre-monde, aux racines entremêlées, renvoie dans l’imaginaire des païens d’extrême droite à l’idée de pérennité et d’identité, à la fois spirituelle, communautaire et raciale.
Le deuxième, le marteau de Thor, ou Mjölnir, est un symbole de force et de protection. Il renvoie surtout dans l’imaginaire de ces militants à la foi native des Indo-Européens. Arborer ce marteau signifie faire partie de la grande famille de la race blanche.
Le troisième, le valknut symbolise les guerriers morts au combat dont les âmes partent au Valhalla. Le sous-entendu est explicite : il faut saluer la mémoire des militants morts pour la cause suprémaciste/identitaire blanche et continuer leur « œuvre ».
Les trois sont très prisés des païens identitaires/d’extrême droite. On les trouve d’ailleurs fréquemment en triade.
La toque en bison renvoie également au monde nordique : il est une référence au Dieu-chaman des Scandinaves, Odin lui-même. Cependant, la peau cornue dont se revêtaient les chamans nordiques était celle d’un renne.
Derrière l’aspect parodique du personnage, il y a une cohérence idéologique, qui fait explicitement référence à l’imaginaire du nationalisme blanc étatsunien, tout comme son maquillage « drapeau américain » (ou son bandana identique).
Cette composante païenne nordique est courante aux Etats-Unis. Si les païens aux USA sont moins de 0,3 % des croyants en 2017, sa référence n’est pas mineure, loin de là : il s’agit pour les théoriciens radicaux de l’alt-right de revenir à la vraie foi européenne, celle des peuples blancs originairement européens. La référence nordique ne renvoie plus aujourd’hui aux seuls peuples germano-scandinaves, mais aux descendants d’Européens, et, par extension aux descendants des Indo-Européens (les runes, ces symboles, le chamanisme, etc.).
Certains militants de l’extrême droite païenne américaine ont conçu leur paganisme identitaire à partir d’une réinterprétation des runes faites par des théoriciens autrichiens et allemands du racisme nordique du début du XXe siècle. Le nom qui revient le plus souvent est Guido von List, un publiciste antisémite autrichien du XXe siècle, qui avait inventé un alphabet runique, l’alphabet « armaniste », qui fut utilisé par les nazis.
En 2003, environ 50% des adeptes du paganisme nordique dans ce pays sont des extrémistes de droite, en particulier en prison, promouvant la supériorité de la race aryenne. Cette spiritualité est prisée des nationalistes blancs et autres néonazis. Cette forme de néopaganisme est foncièrement antichrétienne, le christianisme étant vu comme une secte orientale hostile aux « Européens » (comprendre les païens européens), par sa promotion du métissage et son éloge de l’égalitarisme. Surtout, cette forme de nationalisme blanc est hostile à la droite conservatrice américaine, jugée trop bigote et réactionnaire.
Elle est promue, par exemple, par le site counter-currents.com, dont le responsable, Greg Johnson, est à la fois, un néopaïen, un militant nationaliste blanc et un antisémite. Il faut d’ailleurs noter que les livres de ce site (il s’agit aussi d’une maison d’édition) sont bannis d’Amazon. Par contre certains d’entre eux ont été traduits par des éditeurs radicaux français.