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L’Armée du désert. Les traditionalistes seront-ils les derniers prêtres français ?

Par Jean-Pierre Bacot

Après avoir noté l’implacable descente aux enfers de l’Église catholique française qui compte à ce jour quelque 14.000 prêtres dont la moitié est âgée de plus de 75 ans et en perd plus d’un millier par an, même si elle fait appel à des prêtres étrangers, nous voudrions tenter de regarder en détail ce que seront les prochaines années en termes d’équilibre entre les diverses tendances et traditions. Nous avons choisi de regarder ce qu’il en était des appartenances des nouveaux prêtres comme une sorte d’indicateur de tendance.

Cela n’épuisera certes pas le potentiel d’études de cette nouvelle situation, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne mobilise ni les chercheurs, ni les militants, hors les fondamentalistes catholiques Nous avons activement recherché dans les publications des historiens et sociologues du religieux, parfois passionnantes, sans trouver quoi que ce soit qui touche l’analyse de l’écroulement du catholicisme français, ses caractéristiques et les conséquences singulières concernant les clergés. Avec un clin d’œil que les chercheurs concernés voudront bien accepter, supposons qu’il est peut-être délicat de travailler sur la disparition de son objet d’étude. C’est donc l’indifférence qui règne ou le renvoi à un ailleurs où le catholicisme se maintiendrait. Ce maintien reste à prouver et, pour le moins, à étayer, mais nous en resterons ici au cas de la France, dont on rappellera qu’elle fut et reste dite fille aînée de l’Église1.

Signalons tout de même au passage que la situation en Italie, mater dolorosa de cette Église, n’est pas reluisante avec 35.000 prêtres dont 32.000 actifs, mais vieillissants, bataillons du Vatican compris, la crise de recrutement des séminaires étant par ailleurs avérée. La décrue rapide du personnel religieux y est attestée et très commentée sur place avec une composante dont il faudra se demander si elle touche aussi la France : la peur de disposer sous peu d’un clergé formé majoritairement d’immigrés. D’après Le Pèlerin, en France, en 2005, dix pour cent des prêtres diocésains français actifs, soit un petit millier, étaient des étrangers, majoritairement d’origine africaine2.

Profitons-en pour citer une autre source qui mettra un peu de mixité dans ce monde entièrement masculin. Une statistique du CORREF (Conférence des religieux et religieuses de France) sur le clergé « régulier » dénombre3 :

20 584 religieuses de vie apostolique, dans 315 instituts, dont 2 411 religieuses étrangères en France et 1246 religieuses françaises à l’étranger (chiffres 2016) et 3038 moniales réparties en 210 monastères. Cela fait un total de 23 612. Il y a dix ans, en 2008, il était de 37 934. L’écroulement des effectifs est comparable à celui du clergé masculin.

5989 religieux dans 86 instituts et 59 monastères, dont 681 religieux étrangers en France, dont 1079 moines en 59 monastères. Le total est de 7088. Il y a dix ans, il était de 8009.

La veille des traditionalistes

C’est donc chez les traditionalistes qu’il faut aller chercher le détail des renseignements concernant les appartenances des nouveaux prêtres, non pas que l’Église officielle cache quoi que ce soit, y compris ses difficultés. Mais les milieux où l’on porte encore volontiers la soutane sont conscients de la déshérence de la structure et prennent date, estimant et/ou espérant que dans une quinzaine d’années, ils pèseront d’au moins un tiers dans le bataillon des derniers des Mohicans. Citons comme exemple de la prise en compte du déclin, le site fort peu progressiste Pravda France4 : « Moins de 3000 prêtres catholiques actifs en 2020 en France : le jour où les tradis deviendront incontournables ». L’article, non signé, donne également d’intéressants renseignements sur ce que sera la géographie des derniers temps catholiques au pays de Clovis. Il nous faudra revenir sur cet aspect.

Le site Riposte Catholique5, sous la plume de Maximilien Bernard, annonce 125 nouveaux prêtres pour 2018 : 67 diocésains, 38 membres de congrégations, formant à eux deux le clergé séculier, et 20 réguliers, vivant en communauté avec des frères qui, eux, ne sont pas prêtres. Le site de La Croix, journal quotidien et vaisseau amiral de l’Église catholique française avançait pour sa part le 3 juillet dernier le nombre de 114 ordinations. La différence vient sans doute de ce que des prêtres étrangers ordonnés en France sont pris en compte, et surtout du fait que les traditionalistes schismatiques sont comptabilisés d’un côté et non de l’autre. Il existe également quelques différences entre ce qui est annoncé par Riposte Catholique et ce que les intéressés indiquent. Mais ces variations ne portent que sur quelques unités.

Nous avons tenté d’élargir le champ temporel grâce au site Lavéritédeschiffres.com, de tendance fondamentaliste, mais très rigoureux méthodologiquement parlant, et qui offre une excellente synthèse de données sur les cinq dernières années. Là aussi, tous les paramètres ne sont pas exactement les mêmes par rapport à d’autres sources. Qu’il soit bien clair en tout état de cause que cette recherche possède un caractère exploratoire et que nous sommes tout disposés à prendre en compte corrections et précisions6.

Pour autant, la bonne centaine de nouveaux prêtres arrivant chaque année ne changera en rien l’approche de la crise finale dans la mesure où, dans le même temps un bon millier de leurs homologues disparaissent chaque année du tableau, pour cause de décès, démission, ou expulsion pour affaire de mœurs. De plus, le nombre des séminaristes censés assurer la relève ne cesse de baisser et se situait en 2017 à 853, toutes sensibilités confondues. Mais cela n’interdit pas de rechercher avec le plus de précision possible l’évolution interne du paysage.

Aussi longue que puisse apparaître la liste des ordres, communautés, sociétés, congrégations, familles, fraternités, instituts, missions, etc., dans le tableau qui suit, elle est loin d’épuiser la diversité du catholicisme français, peut-être finalement presque autant divisé encore que ne l’est le protestantisme, même s’il reste de la marge. Cela veut dire que la majorité des groupes existants ne recevra cette année aucun nouveau membre. Un exemple des ordres de grandeur dans l’infiniment petit réside dans la situation de trois groupes ayant joué un rôle historique majeur : pour l’année 2018, les Dominicains ont eu 4 recrutements, les Jésuites 2, et aucun pour les Franciscains.

Pour ces derniers (ordre des frères mineurs), sauf erreur ou omission de notre part, aucune ordination ne semble être intervenue en France ces cinq dernières années. Le nombre de monastères et couvents cité plus haut et fournit par le CORREF donne une idée du nombre impressionnant de ceux qui n’ont pas reçu de renfort depuis cinq ans, par rapport à ceux qui figurent dans le tableau avec des chiffres par ailleurs très bas.

Qualitativement parlant, quatre familles idéologiques émergent du paysage : les catholiques classiques, main line dirait-on chez les anglo-saxons, composantes parfois anciennes de l’Église, les charismatiques, proches quoi qu’ils en disent du protestantisme évangélique, les traditionalistes ralliés à Rome – les internes- et ceux qui ne le sont pas (peut-être pas encore)- les externes.

Nous n’avons pas retenu la dizaine de prêtres étrangers reçus chaque année, la question n’étant pas tranchée de savoir s’ils sont destinés à s’intégrer au clergé français comme leurs confrères importés, ou s’ils ont été formés pour le compte de leur pays d’origine. Plus largement, et l’auteur anonyme du site la véritédeschiffes.com en convient de son côté, il faut accepter une marge d’erreur d’environ 10% dans les nombres avancés.

Intitulé

Création

Orientation

Recrues

Françaises

2018

2017

2016

2015

2014

Séculiers

Communauté de Saint Martin

1976

Traditionalistes internes

115 prêtres

8

5

Communauté de l’Emmanuel

1976

Charismatiques

270

7

6

Fraternité Saint Pie X

1970

Traditionalistes externes

11

7

7

7

Fraternité sacerdotale Saint Pierre

1988

Traditionalistes internes

7

6

4

4

Institut du christ roi souverain prêtre

1990

Traditionalistes internes

3

8

8

5

Institut du Bon pasteur

2006

Traditionalistes externes

42

4

1

0

0

4

Chemin néo catéchuménal

2008

Origine espagnole charismatique

4

1

Missions étrangères de Paris

1663

208

3

2

Congrégation du très saint rédempteur

1732

Rédemptoristes

3

Fraternité Eucharistein

1996 en Suisse

2

Société des prêtres de Saint-Jacques

1966

Issus d’un groupe formé en 1864 en Haïti, spécialisé dans la formation des prêtres haïtiens

1

Fraternité missionnaire Jean-Paul II

2009

Charismatiques

2

1

1

Fraternité des missionnaires de la miséricorde divine

2016

Traditionalistes et charismatiques.

Spécialisés dans l’évangélisation

des musulmans

1

Fraternité Thomas Becket

1988

Traditionalistes internes

17

1

Congrégation de la mission

1626

Lazaristes

1

Congrégation de Jésus et Marie

1643

Eudistes

1

Missionnaires de la Sainte Famille

1895

Base en Pologne

1

Société saint Jean-Marie Vianney

1990

Le curé d’Ars

2

Communauté synodale

???

2

Missionnaires de la très sainte eucharistie

2007

Charismatiques

1

Réguliers

Communauté des frères de Saint Jean

1975

280

7

2

Ordre des prêcheurs

1215

Dominicains

300

8

9

2

2

8

Compagnie de Jésus

1539

Jésuites

300

2

3

2

2

1

Famille missionnaire de notre Dame

1946

1

Société de Marie

1817

Marianistes

1

Congrégation du saint esprit

1703

Spiritains

1

Congrégation des augustins de l’assomption

1845

Assomptionnistes

Spécialisés p dans la presse et de l’édition

1

Communauté des chanoines réguliers de la mère de Dieu

Circa 1970

Chanoines de Lagrasse

Traditionalistes internes

1

2

0

1

3

Communauté de la douce mère de Dieu

2011

Charismatique

Origine brésilienne

1

Cisterciens

1098

3

Prémontrés

Circa 1120

2

2

0

1

Carmes déchaux

1562

2

0

1

3

Bénédictins

529

5

3

3

2

Conclusion

En 2018, pour un peu plus de cent nouvelles recrues, on compte seulement neuf traditionalistes internes, quatre externes, une dizaine de charismatiques. L’essentiel des entrants, y compris une probable grande majorité des diocésains qui se trouvent sans appartenance particulière, est donc inscrit dans une obéissance tranquille à l’Église. Ce que nous savons des années précédentes confirme cet équilibre. Un autre texte du site laveritedeschiffres.com, pas davantage signé que le précédemment cité, intitulé « Les religieux en France, la vérité des chiffres  (septembre 2016), donne un état aussi précis que possibles des effectifs des « réguliers » et constate que la forme « extraordinaire » de la liturgie, entendons essentiellement la messe en latin, se développe alors que la forme « ordinaire »  et ancienne s’étiole. Il pronostique une situation où les courbes se rejoindront. Si tant est que cela puisse se produire, ce sera à un étiage tellement bas que cela en deviendra quasi anecdotique (nous n’avons pas encore trouvé de texte équivalent traitant des religieuses). Le pari des traditionalistes de régner bientôt sur les ruines de l’Église catholique de France est donc loin d’être gagné. Les petits groupes radicaux, dont les quelques dominicains et dominicaines éloignés de leur famille, finiront plus probablement aux marges du monde religieux. Une population largement sortie de la croyance et de la pratique, par indifférence autant que par conviction, les rejettera sans doute plus qu’elle n’en fera des objets de patrimoine. Mais qui vivra encore un peu verra si Jacques Prévert avait raison : « Un certain Blaise Pascal, etc. etc. »7

Notes

1 Pour un cadrage très à jour des évolutions en termes de croyances et pratiques, voir Guillaume Cuchet, Comment le monde a cessé d’être chrétien, le Seuil, 2018.

2https://www.pelerin.com/A-la-une/Ces-pretres-venus-d-ailleurs.

3https://www.viereligieuse.fr/Les-responsables

4http://www.pravdafrance.com/ (post du 23/03/2017)

5https://www.riposte-catholique.fr

6 À ce titre, nos remerciements vont à Jean-Pierre Chantin pour ses remarques sur un premier état de ce texte.7 Jacques Prévert, « Les paris stupides », dans Paroles, 1946.

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  1. Sur les ruines du catholicisme, la naissance d’une nostalgie – Fragments sur les Temps Présents

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