De l’Influence des États-Unis sur le national-socialisme

Source : Marvel, Secret Empire (quand Captain America s’avère fasciste)
La parution rapprochée du Modèle américain d’Hitler de James Q. Whitman et du Nazisme dans la civilisation. Miroir de l’Occident de Jean-Louis Vullierme nous donne le prétexte de revenir sur l’influence des États-Unis sur le national-socialisme. Encore aujourd’hui, il est difficile d’admettre que le système juridique et la politique raciale des nazis aient pu être influencées par une grande démocratie. Pourtant, ce pays ne fut pas qu’une nation tolérante et accueillante pour les persécutés d’Europe et d’ailleurs. Il fut aussi une nation raciste qui a cherché à préserver son « sang », comprendre celui des Pères fondateurs, blancs, anglo-saxons et protestants.
Des politiques de quotas, les Quota Law, furent mises en place pour restreindre l’arrivée d’immigrants venant du Sud et de l’Est de l’Europe, surtout entre 1914 et la fin des années 1920. Une politique de ségrégation, les « lois de Jim Crow », racialisèrent les populations afro-américaines entre 1865 –la fin de la Guerre de Sécession– et les années 1960. Et cela sans parler de l’extermination des populations amérindiennes qui finirent parquées dans des Réserves. Pour justifier ces politiques, des essayistes et des universitaires théorisèrent l’inégalité des races et justifièrent cette politique raciale de promotion du sang nordique. De fait, les États-Unis étaient les leaders de la législation raciale au début du XXe siècle. Certains sont restés dans les mémoires comme Madison Grant, l’auteur du Déclin de la grande race, ou comme Lothrop Stoddard, celui du Flot montant des peuples de couleur, des ouvrages encore réédités aujourd’hui par des éditeurs d’extrême droite.
La traduction de l’ouvrage (paru initialement en 2016 aux États-Unis) de James Whitman, Le Modèle américain de Hitler, et la réédition du livre de Jean-Louis Vullierme, Miroir de l’Occident, reviennent sur ces influences. Le premier montre comment les juristes nazis se sont inspirés dans les années 1930 des lois raciales américaines pour élaborer les deux lois de Nuremberg. Les nazis admiraient d’ailleurs la volonté des Américains blancs (les WASP) de préserver la « pureté du sang nordique » et voyaient dans la Conquête de l’Ouest une volonté de se créer l’équivalent du Lebensraum souhaité par les nazis. Ainsi, la création d’États fantoches en Europe centrale pendant la Seconde guerre mondiale, en particulier le Gouvernement général de Pologne, peut être vu telle une volonté d’imiter les réserves indiennes américaines.
L’auteur, professeur de droit comparé à l’université de Yale, détaille à la fois le parcours de ces juristes, dont certains suivirent des études aux États-Unis, et les limites de l’influence des juristes américains. Ceux-ci étaient considérés par certains juristes nazis comme trop radicaux. En deux grandes parties (« Fabriquer des drapeaux et des citoyens nazis » et « Protéger le sang et l’honneur nazi »), James Whitman nous détaille l’élaboration du processus d’exclusion des juifs allemands sous l’influence des lois ségrégationnismes américaines. Cette approche montre combien les nazis n’étaient pas des brutes épaisses, mais, au contraire, des idéologues ayant des bagages universitaires, certains même, comme Wilhelm Stuckart, Heinrich Krieger ou Otto Koellreutter, étant d’éminents juristes.
Le second ouvrage, Le Miroir de l’Occident. Le nazisme et la civilisation occidentale, est paru en 2014 aux éditions du Toucan. Il reparaît aujourd’hui en poche aux Éditions de l’Artilleur sous le titre Le Nazisme dans la civilisation. Miroir de l’Occident. Il s’agit d’une version entièrement remaniée et augmentée. Cet ouvrage est capital car il remet en perspective les origines de la politique raciale nazie et montre que ces idées préexistaient, notamment aux États-Unis. En effet, l’auteur démontre brillamment que le projet exterminationiste nazi est né en rassemblant des éléments idéologiques et scientifiques épars : nativisme américain, eugénisme, nordicisme européen, etc.
L’effroyable nouveauté vint de la volonté des nazis de les mettre en pratique. L’auteur montre également que ce projet racial n’a pas été intégralement accompli, ayant été stoppé par les revers causés par l’invasion de l’URSS. Le principal intérêt de ce livre important, mais il en a tant, est de montrer que l’intention exterminatrice des nazis n’est pas une réalité isolée, qui ne serait que le produit d’une génération spontanée dont il suffirait, pour l’empêcher de se reproduire, d’écarter les deux racines admises, celle de l’idéologie antisémite et raciale, et des traités revanchards. Au contraire, ses racines en sont plus diverses et surtout anciennes : elles sont présentes au cœur de la civilisation occidentale.
Ces deux ouvrages permettent d’appréhender différemment le national-socialisme et sa politique d’extermination. Ce changement de perspective ne retire en rien l’unicité de celle-ci. Simplement, et c’est déjà beaucoup, ils montrent que le génocide des juifs européens et des tziganes n’est pas né d’une génération spontanée, ou d’esprits malades – les nazis ne l’étaient pas contrairement à ce qu’ont pu écrire durant longtemps certains universitaires –, mais du produit d’une histoire occidentale, qui n’est en rien terminée. L’Alt-right américaine, les postnazis occidentaux et autres suprémacistes blancs montrent brutalement que cette idéologie n’a malheureusement pas disparu.
James Q. Whitman, Le Modèle américain d’Hitler. Comment les lois raciales américaines inspirèrent les nazis, Paris, Armand Colin, 2018 ; Préface de Johann Chapoutot.
Jean-Louis Vullierme, Le Nazisme dans la civilisation. Miroir de l’Occident, Paris, Éditions de l’Artilleur, 2018 (réédition augmentée)