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Survivalisme : quand l’extrême droite française découvre Mad Max

(Source inconnue)

Première parution : Stéphane François, « Quand l’extrême droite française découvre Mad Max »,. Les Cahiers de la sécurité et de la justice, n° 30, 2015, pp. 52-58.

Depuis le début des années 2000, l’extrême droite française s’est découvert un intérêt fort pour le survivalisme, suite à la multiplication de publications, notamment dans le domaine anglo-saxon, en particulier américain, sur les risques de disparition de nos sociétés complexes (européennes et/ou occidentales), à la suite d’un effondrement civilisationnel à la fois multiforme et précis : écologique, démographique, économique…

Mais qu’est-ce que le survivalisme ? En quelques mots, il s’agit d’une pratique de survie, qui surtout s’est développée aux États-Unis à compter des années 1970[1], avec, en particulier, les ouvrages de Kurt Saxon et de John Pusgley. Elle est née à la fois de la peur d’une guerre nucléaire avec les Soviétiques et d’un effondrement de la société américaine à la suite des chocs pétroliers de 1973. Ses adeptes ou promoteurs veulent se préparer soit à une hypothétique catastrophe, locale ou globale, dans le futur, rompant la continuité sociétale ou civilisationnelle, soit à survivre face aux dangers de la nature. De fait, les survivalistes se préparent à ces catastrophes en apprenant des techniques de survie et des rudiments de notions médicales, et stockent de la nourriture et des armes, apprennent à construire des abris ou à se nourrir en milieu sauvage.

Survivalisme et néosurvivalisme

Récemment, le survivalisme, issu de la Guerre froide et de la crise, s’est transformé en un néosurvivalisme, mâtiné de décroissance et d’écologie. Il est donc davantage porté sur l’indépendance par rapport au système économique et à une attitude plus proche de la nature. En fait, ces auteurs promeuvent un retour à la ruralité, à un mode de vie frugal, quasi-autarcique, respectueux de la nature, assez proche somme toute de certaines propositions décroissantes, l’aspect martial en plus. Ce type de discours relève en quelque sorte d’un « archaïsme utopique » : fréquemment, ceux qui le formulent cherchent un retour à une vie saine que ces militants, pour la plupart, n’ont jamais connue, très souvent symbolisé par les modes de vie des peuples premiers du Tiers-Monde ou par une paysannerie médiévale.

Ce néosurvivalisme est aussi imprégné d’un rejet de la modernité issu des Lumières : il s’agit aussi pour ses partisans de revenir à un mode de vie traditionnel, calqué sur les sociétés pré-étatiques, donc à la fois archaïque et anarchisant, rencontrant parfois les droites radicales régionalistes et décroissantes, telle la Nouvelle Droite française et son théoricien organique, Alain de Benoist[2] ou tel le néo-droitier allemand Hennig Eichberg, passé d’une extrême droite strasserienne à une forme de gauchisme[3]. À la même époque, Alain de Benoist a également commencé à s’intéresser à des théoriciens du localisme, comme l’Américain Peter Berg, ainsi qu’au « biorégionalisme »[4], un concept qui rejoint le régionalisme enraciné du GRECE. À ce titre, Serge Champeau souligne avec justesse, dans l’éloge du biorégionalisme et des communautés autosubsistantes, la persistance d’un « imaginaire du romantisme réactionnaire du début du XIXe siècle »[5]. Les références, chez ces personnes, proviennent du début du xxe siècle, des milieux romantiques antimodernes et urbanophobes, gravitant dans la nébuleuse völkisch[6]. En effet, cette image traditionnelle se retrouvait déjà chez les premiers alternatifs anti-Lumières allemands de la fin du xixe siècle qui souhaitaient fonder des communautés agricoles autonomes, anarchisantes, à la fois antimarxistes et anticapitalistes.

Christian Chelebourg a analysé les mythèmes eschatologiques et survivalistes sous-jacents aux peurs technologiques dans la culture populaire, dans un ouvrage intitulé Les Écofictions. Mythologies de la fin du monde[7]. Il montre ainsi que les fictions, en particulier la littérature et le cinéma, exploitent ces peurs depuis les années 1970, c’est-à-dire depuis Soleil Vert et sa peur de la bombe démographique, la fameuse bombe « P » (« P » pour « population »). Cette décennie a vu un basculement des mentalités, l’insouciance des années psychédéliques ayant laissé la place à une angoisse existentielle, née de la crise des sociétés occidentales et de la peur de voir arriver la fin de la civilisation. Ces années voient donc la montée des thèmes survivalistes (La Nuit des morts-vivants, La Colline a des yeux, Délivrance, Mad Max, Je suis une légende, etc.) exprimant une peur de l’Autre ou de l’avenir et surtout une volonté de survivre. Au-delà de cela, et plus généralement, ces œuvres réactivent, selon Chelebourg, d’anciens mythes et en créent de nouveaux : la peur du nucléaire (Godzilla ou La Route[8]), la technophobie (Terminator), l’humanité rendue stérile par la pollution (Les fils de l’homme), la catastrophe sanitaire (28 jours plus tard ou L’Armée des douze singes), l’effondrement civilisationnel (Le Syndrome du Titanic).

En outre, selon Alain Musset, « à partir des 1960-1970, c’est-à-dire au moment où l’american way of life s’est imposé comme le stade suprême du développement capitaliste, le pessimisme écologiste a commencé à alimenter notre crainte du futur dans un monde marqué par une industrialisation forcenée, une démographie galopante, le pillage des ressources naturelles et l’accroissement des inégalités. […] Comme le disait Jean-Pierre Andrevon en 1975 pour montrer à quel point la science-fiction contemporaine avait pris conscience du péril dénoncé par les écologistes : “la fin du monde sera verte ou ne sera pas”[9]. » Ces thématiques se diffuseront dans l’imaginaire de nos sociétés occidentales, et seront perçues comme des éléments intellectuellement stratégiques par l’extrême droite.

Les premières réutilisations par l’extrême droite

En effet, dès cette époque, des membres de l’extrême droite américaine récupèrent ce type de discours et l’intègrent à leur corpus, à l’exemple du suprémaciste blanc William Pierce. En effet, ce dernier fait référence au survivalisme dans son roman, en fait vade mecum du terrorisme suprémaciste blanc, intitulé The Turner Diaries (Les Carnets de Turner), paru en 1978[10]. D’autres, issus comme lui du Ku Klux Klan, comme Louis Beam ou Tom Metzger, le fondateur de White Aryan Resistance (WAR), en firent également la promotion au début des années 1980[11]. Par la suite, ce survivalisme raciste se mâtinera de considérations identitaires, écologiques et spirituelles, en fait néopaïenne.

Ce néosurvivalisme raciste et antisémite, fait donc la promotion d’une mixophobie, c’est-à-dire d’un rejet du métissage, et prône en retour une séparation physique des groupes ethniques, recherchant une installation de « colonies » blanche dans des zones reculées, à l’instar des groupes racistes américains, tel la WAR ou les églises identitaires. Cette position est défendue en France par Varg Vikernes, un musicien norvégien installé dans notre pays après la fin de sa peine de prison pour meurtre[12]. Celui-ci a défrayé la chronique en été 2013 par ses positions racistes et par son arrestation, due au nombre d’armes qu’il possède[13].

Ce néosurvivalisme d’extrême droite s’inspire de pratiques issues d’une frange de l’extrême droite païenne américaine, associant paganisme, racisme et écologie[14], ainsi qu’en Allemagne parmi les héritiers de la mouvance völkisch de l’entre-deux-guerres. Derrière cette idée, il y a la volonté de créer une communauté blanche, séparée des autres races[15]. Le cas du hameau de Jamel, en Allemagne, est, à ce titre, un cas intéressant. Sven Krüger, un membre du NPD (Nationaldemokratische Partei Deutschlands ou Parti National-démocrate d’Allemagne), un parti néonazi allemand, et ses amis ont cherché à y créer une sorte de communauté blanche, un entre-soi racial, comme le font les séparatistes blancs américains. D’ailleurs, Krüger parle du hameau comme étant une « zone nationale libérée », c’est-à-dire une zone où il n’y a que des blancs…

Un autre point est enfin à prendre en considération pour comprendre l’intérêt du survivalisme à l’extrême droite : parmi les plus extrémistes de la droite radicale occidentale, y compris américaine, il y a la volonté claire de mettre à bas la démocratie libérale accusée de tous les maux et surtout responsable des catastrophes à venir qui nous menaceraient. L’objectif est de la remplacer par une société organique, anticapitaliste, racialement pure et hiérarchisée. Ainsi, les différents groupes aryens américains prônant le survivalisme, et servant de modèles aux groupes européens, dénoncent à la fois la droite conservatrice, jugée bigote et à l’origine du problème, et les progressistes américains qui favorisent les minorités de couleur. En réponse, ces groupes font la promotion du projet ouvertement révolutionnaire d’un séparatisme blanc, influencé par les théoriciens américains du néoprimitivisme[16], à forte connotation religieuse, héritage des völkisch allemands du début du XXe siècle, reconstruisant la religion germano-scandinave de l’Antiquité et du Haut Moyen Âge.

Dans une certaine mesure, ces militants américains, qui se mettent en marge de leur société et qui en refusent ses valeurs, peuvent être vus comme des anti-américains, dans le sens où ils refusent explicitement l’American Way of Life[17], leur refus étant nourri de la lecture de théoriciens anti-américains européens. De fait, les contacts noués avec les théoriciens de l’extrême droite européenne ont donné récemment naissance à une droite radicale euro-américaine très dynamique sur le plan doctrinal, les uns influençant les autres par un jeu de va et vient intellectuel transatlantique[18]. Paradoxalement, ces échanges transatlantiques et la mise en place de synergies, grâce en particulier à Internet, doivent être vus comme une réponse à la mondialisation…

Essor et développement dans l’extrême droite française

Cet intérêt pour cette façon de vivre de la part de l’extrême droite se constate par la multiplication des formations et des stages de survie, proposés par différentes personnes évoluant dans la mouvance radicale de droite. Il se voit aussi par la multiplication des articles et des livres sur ce sujet, notamment par des groupes, des revues et/ou des éditeurs jusqu’alors éloignés de ces préoccupations. En 1999, Éléments pour la civilisation européenne, le magazine du GRECE, a consacré un dossier sur « Les 36 familles de droite »[19] dans lequel n’apparaissait pas le survivalisme, malgré les tentatives d’Olivier Devalez, un ancien skinhead, d’acclimater cette pratique en France dès le milieu des années 1980. Par contre, le même magazine a fait paraître en 2013 un long entretien du Suisse Piero San Giorgio dont les propos ont été recueillis par Alain de Benoist.

Entretemps, Alain de Benoist, le principal intellectuel du GRECE, s’est intéressé à l’écologie[20]. En 1994, il écrivait déjà :

« Certes, on peut toujours discuter des méfaits réels ou supposés du nucléaire, de la réalité du “trou” dans la couche d’ozone ou de l’aggravation de l’“effet de serre”. Mais on ne peut nier la désertification et la baisse des rendements agricoles, les retombées acides, la détérioration des couches phréatiques, la réduction de la biodiversité, la déforestation et le recul des terres arables. On ne peut nier la baisse des stocks de pêche, la disparition de l’humus et des couvertures végétales, les terres livrées au ruissellement, les rivières transformées en égouts, l’épuisement des ressources minières, le “matraquage” des sols suite à l’usage intensif des engrais chimiques. Hans Jonas disait que “la véritable menace que porte en elle la technologie fondée sur les sciences naturelles ne réside pas dans tant dans ses moyens de destruction que dans son paisible usage quotidien” (Libération, 12-13 novembre 1992, p. 32).

Les dégâts se constatent en effet dans la vie quotidienne, avec les pollutions qui touchent aussi bien les habitats que les espèces, les fertilisants chimiques dont les surplus sont véhiculés par les eaux, les pesticides, les nitrates, les déchets industriels. Mais l’ampleur du phénomène est aussi planétaire.[21] » Et Alain de Benoist de conclure :

« L’écologisme naît de cette claire conscience que le monde d’aujourd’hui est un monde “plein”, qui porte de part en part la marque de l’homme : plus de frontière à repousser, plus d’ailleurs à conquérir. Toutes les cultures humaines interagissent avec l’écosystème terrestre ; toutes sont à même de constater que l’expansion illimitée, la croissance économique posée comme fin en soi, l’exploitation sans cesse accélérée des ressources naturelles nuisent aux capacités de régénération de cet écosystème. À cela s’ajoute, dans les pays développés, la disparition de l’agriculture comme mode de vie principal d’existence, qui a pour conséquence de dissocier la temporalité humaine, irréversible, de celle des cycles et des saisons[22]. »

Cette influence se retrouve dans le Manifeste du GRECE, publié en 2000 et largement écrit par Alain de Benoist et Charles Champetier. Le Manifeste prend en effet position « Pour une écologie intégrale, contre la démonie productiviste »[23]. Mais surtout, les deux n’hésitent pas à y affirmer que

« […] la généralisation rapide, à l’échelle de la planète, du niveau occidental de production et de consommation aboutirait en quelques décennies à l’épuisement de la quasi-totalité des ressources naturelles et à une série de bouleversements climatiques et atmosphériques aux conséquences imprévisibles pour l’espèce humaine »[24].

Depuis, l’intérêt d’Alain de Benoist pour le survivalisme n’a fait que croître, expliquant l’entretien avec San Giorgio.

Politiquement, ce dernier est un vieux militant d’extrême droite, ancien collaborateur de Synergie Européenne aujourd’hui proche d’Égalité et Réconciliation d’Alain Soral. Il est également l’un des auteurs actuellement les plus en vue de la mouvance survivaliste européenne[25] : en février 2013, son livre Survivre à l’effondrement économique[26], s’était déjà vendu à plus de 25 000 exemplaires. Dans ses ouvrages, il théorise le concept de « Base Autonome Durable » (BAD) comme moyen de survie. Selon lui, il faut d’acquérir des propriétés dans des zones rurales afin d’y établir des bases retranchées auto-suffisantes tant au niveau alimentaire qu’énergétique, avec de quoi tenir une période difficile et de participer à une guerre civile qu’il juge inéluctable.

Des structures comme l’association Égalité et Réconciliation surfent sur cette mode et en font aussi la promotion : ainsi, l’un des sites commerciaux d’Alain Soral, Instinct de survie, est spécialisé dans ce domaine, et propose des stages de survie. En 2014, il est devenu Prenons le maquis[27], une affaire qui serait d’ailleurs florissante selon les auteurs de l’article « Alain Soral, petit idéologue et grand épicier »[28]. Des groupes évoluant dans la mouvance identitaires tentent de mettre en place des fermes fondées, comme la Desouchière[29], sur le principe autarcique, vendant des produits bio, dans le but de survivre à une guerre ethnique selon eux inéluctable. Depuis peu, Alain Soral s’est installé dans la même région, en achetant une ferme au lieu-dit La Souche.

Une maison d’éditions, Le Retour aux sources, codirigée par Michel Drac, est le principal éditeur d’ouvrages survivalistes en France, publiant les livres de San Giorgio comme Survivre à l’effondrement économique[30], en 2011, ou Les Rues barbares. Survivre en ville, paru en 2012, coécrit avec l’animateur du site Le Survivaliste[31], Vol West. Par ailleurs, Michel Drac est une figure intéressante de ces milieux. Là-encore il s’agit d’un vieux militant d’extrême droite : il est proche à la fois d’Égalité et Réconciliation, discute avec des animateurs de la mouvance identitaire[32], collabore parfois aux publications de la Nouvelle Droite, au sujet des questions monétaires[33], et a copublié un ouvrage avec Serge Ayoub et Michel Thibaut, G5G. Déclaration de guerre[34]. Il s’est, en outre, intéressé à la question raciale dans un livre éponyme[35]. Serge Ayoub, le chef historique des skinheads d’extrême droite présente G5G comme un « manuel de combat, un manuel du résistant », dans lequel il distingue plusieurs niveaux de BAD, dont le dernier niveau consisterait pour ses acteurs, une fois installés dans des zones reculées, à mettre en place des communautés survivalistes.

Guillaume Faye le précurseur

Si cette façon de voir le monde est courante aux États-Unis depuis assez longtemps, elle l’est moins en Europe, et surtout en France. Nous pourrions même dire qu’elle fut globalement très marginale : l’extrême droite française la plus radicale est coutumière d’entraînements militaires en campagne sur fond de chants patriotiques, mais, par un vieux fond occidentaliste, elle ne s’était pas résignée à la possible disparition de notre société.

Ce thème apparaîtra à la fin des années 1990 avec la parution de plusieurs livres d’un auteur français, Guillaume Faye, un ancien membre de la Nouvelle Droite[36], et un acteur important de la mouvance identitaire[37]. Il figure parmi les théoriciens les plus extrémistes de la droite radicale. Son postulat peut se résumer à l’anticipation de la « convergence des catastrophes » qui nous menacerait[38], pour reprendre le titre de l’un de ses ouvrages, publié en 2004, et signé du pseudonyme de Guillaume Corvus. Cette idée de convergence des catastrophes a été également développée par San Giorgio :

« La thèse que je développe dans mes livres est que la convergence de la croissance exponentielle de la population et de son mode de consommation, avec le manque de ressources, avec l’effondrement écologique, et enfin avec l’effondrement du système financier, va précipiter l’effondrement de l’économie globale telle que nous la connaissons. D’ici une dizaine d’années au maximum. […] Les risques de ces prochaines années sont nombreux : guerres, crises sociales, crises politiques, crises énergétiques, crises écologique, crises financières. L’une amplifiant les autres et ainsi de suite, sans que rien ne puisse inverser la tendance jusqu’à ce que le choc de trop, l’évènement imprévisible –le cygne noir cher à Nassim Taleb– vienne faire s’écrouler toute la structure vermoulue.[39] »

Toutefois, chez Guillaume Faye, il n’y a pas de vade-mecum pour survivre dans une société qui s’est effondrée, tel qu’on peut en trouver chez San Giorgio, mais seulement le postulat d’un cataclysme proche.

En outre, il n’y a pas non plus chez Faye d’intérêt écologiste, décroissant ou localiste. Selon cet auteur, les pays occidentaux seraient menacés par différents périls : la cancérisation du tissu social européen ; le déclin démographique ; la menace d’un Sud chaotique ; la crise financière mondiale ; la montée des intégrismes religieux et notamment musulman ; l’affrontement Nord/Sud sur des bases ethnico-religieuses ; et enfin, l’aggravation d’une pollution incontrôlée. L’écologie est certes présente, mais n’est pas le facteur principal ou le thème le plus développé. Le plus important pour Faye est l’immigration : il s’agit, selon lui, de combattre l’« ennemi principal », « composé des masses allogènes qui colonisent l’Europe, de tous ses collaborateurs (États étrangers ou cinquième colonne) et de l’islam[40]. » Chez lui, effectivement, l’immigration est vue comme une colonisation, comme une substitution de population :

« Plus que d’“immigration”, il faut parler de colonisation massive de peuplement de la part des peuples africains, maghrébins et asiatiques, et reconnaître que l’islam entreprend une conquête de la France et de l’Europe ; que la “délinquance des jeunes” n’est que le début d’une guerre civile ethnique ; que nous sommes envahis autant par les maternités que par les frontières poreuses ; que, pour des raisons démographiques, un pouvoir islamique risque de s’installer en France, d’abord au niveau municipal puis, peut-être, au niveau national. […] Nous courrons à l’abîme : si rien ne change, dans deux générations, la France ne sera plus un pays majoritairement européen et ce, pour la première fois de toute son histoire. L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique et la Hollande suivent la même loi funeste avec quelques années de retard. […] Jamais l’identité ethnique et culturelle de l’Europe, fondement de sa civilisation, n’aura donc été aussi gravement menacée[41]. »

La solution proposée serait la mise en place d’un régime autoritaire sous l’égide d’un « chef né », qu’il définit dans un autre ouvrage comme n’étant « pas le tyran oppressif, mais celui qui “dicte”, qui tranche et qui sauve dans les situations d’urgence » et qui « met en mouvement le peuple et protège son ancestralité, son identité »[42]. Nous ne sommes guère loin du fascisme. Ce « chef-né » est nécessaire, au vu des catastrophes qui nous guetteraient, qui nous ramèneraient au Moyen Âge (« Demain, un nouveau Moyen Âge »[43]).

Des survivalismes

Contrairement aux survivalistes contemporains dont la pensée est mâtinée de décroissance, les thèses de Guillaume Faye sont empreintes de postmodernité et de prométhéisme : « L’homme [postmoderne] n’est pas immuable, mais immergé dans le torrent du devenir. Il n’existe aucune opposition entre le “naturel” et l’artificiel humain puisque tout est naturel, même l’artifice. La “surnature” engendrée par la science humaine est toujours de la nature. La question, pour un Païen, est de savoir si tel artifice (notamment biologique) est positif ou non, concrètement, ou si c’est nuisible, mais certainement pas de condamner l’Artifice dans son ensemble en tant que principe métaphysique.[44] » De fait, il qualifie les écologistes de « naïfs », ne pensant pas que la nature soit en danger. Selon lui, seule l’humanité l’est : « La Terre (Gaïa) n’est pas “menacée” par l’homme qui est son hôte ; elle possède encore plusieurs milliards d’années devant elle et peut promouvoir d’autres espèces sur le chemin de l’évolution phylogénétique ; et puis elle a connu des cataclysmes écologiques tellement plus graves…[45] »

Au sein de l’extrême droite deux visions du monde s’opposent donc : une première, issue du néosurvivalisme et anarchisante, parfois héritée de la tradition völkisch allemande, parfois provenant de la tradition américaine, développant l’idée d’une survie individuelle ou en petites communautés, autosuffisantes, localistes, autogérées et décroissantes ; une seconde, héritée des réflexions de Guillaume Faye, autoritaire, avec un homme providentiel, plus centralisée mais pratiquant la subsidiarité, technophile et prométhéenne, alliant la modernité technologique et la décentralisation médiévale.

Toutefois, l’idée d’un « nouveau Moyen Âge » n’est pas neuve : elle était déjà promise, dès 1971, par Roberto Vacca dans un ouvrage intitulé Demain le Moyen Âge[46], dans lequel il anticipait une dégradation des systèmes. Au milieu des années 1980, un universitaire américain, l’anthropologue Joseph Tainter, s’est intéressé aux effondrements civilisationnels d’un certain nombre de sociétés antiques et médiévales de par le monde dans un ouvrage intitulé L’Effondrement des sociétés complexes, paru initialement en 1988, aux presses universitaires de Cambridge[47]. Cet ouvrage important a été traduit et publié en 2013 par l’éditeur Le Retour aux sources[48].

Enfin, comme nous l’avons dit précédemment, ce thème a été largement vulgarisé par le cinéma, dès le début des années 1970. Très récemment, la série télévisée américaine Révolution développe l’idée d’un monde totalement privé de l’électricité pour une raison inconnue (du moins au début de la série), mais dont la conséquence est un effondrement civilisationnel total, tandis qu’une autre série télévisée, The Walking Deads, tirée d’une bande dessinée éponyme, met en scène des citoyens américains face à des morts-vivants. L’extrême droite n’a donc fait que reprendre ces thèmes avec un décalage chronologique, en lui ajoutant les thématiques de la guerre ethnique et de la colonisation de l’Europe[49], un sujet déjà présent dans la littérature française dès 1973, avec Le Camp des saints de Jean Raspail[50], un ouvrage devenu une référence chez les partisans du « Choc des civilisations ».


Notes

[1] Voir par exemple, Howard J. Ruff, Famine and Survy in America, The Recorder Printing and Publishing Co., 1978.

[2] Stéphane François, L’Écologie politique : une vision du monde réactionnaire ? Réflexions sur le positionnement idéologique de quelques valeurs, Paris, Éditions du Cerf, 2012.

[3] Stéphane François, La Modernité en procès. Éléments d’un refus du monde moderne, Valenciennes, Presses Universitaires de Valenciennes, 2013, pp. 88-89.

[4] Cf. le dossier, « Une réponse au mondialisme, le localisme », Éléments, n°100, mars 2001, pp. 16-32. Le Manifeste du GRECE y fait aussi référence : « Pour des communautés locales, contre le gigantisme », pp. 87-89. Le biorégionalisme est né aux États-Unis dans les années 1970. L’idée d’État-nation disparaît dans ces discours au profit de communautés locales. Les théoriciens du biorégionalisme défendent le principe de subsidiarité et le refus de la modernité issue des Lumières (politico-économique et scientifico-industriel) et considèrent que les cultures, l’économie et les communautés s’enracinent dans une contrée géographique restreinte (« terroir » ou « patries charnelles ») dont il faut protéger le biotope, en maintenant autant que possible des paysages naturels, et les particularismes culturels. Leur modèle économique tend vers l’autosuffisance bien que les échanges avec d’autres soient permis. Ces théoriciens donnent une grande importance à la longue durée.

[5] Serge Champeau, « L’idéologie altermondialiste », Commentaires, n°107, automne 2004, p. 704.

[6] Le terme völkisch, réputé impossible à traduire en français, l’est souvent par « raciste ». La racine Volk signifie « peuple » dans une acceptation foncièrement ethnique. Il peut être compris comme une nostalgie folklorique et raciste d’une préhistoire allemande largement mythifiée. Ce courant bigarré puisait ses références dans le romantisme, l’occultisme, les premières doctrines « alternatives » (médecines douces, naturisme, végétarisme) et les doctrines racistes alors naissantes. La reconstitution d’un passé germanique largement mythique a éloigné des religions monothéistes pour tenter de recréer une religion païenne, purement allemande. Toutefois, tous ne tiennent pas la race pour facteur omni-déterminant, de même que tout raciste völkisch n’est pas non plus antisémite. Par ailleurs, nombre d’entre eux restent des chrétiens croyants et ne se rattachent pas aux institutions « païennes » présentes en Allemagne à cette époque. Enfin, il existe des völkisch « politiques » n’ayant que faire des spéculations religieuses ou spirituelles.

[7] Christian Chelebourg, Les Écofictions. Mythologies de la fin du monde, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2012.

[8] Hélène Puiseux, L’Apocalypse nucléaire et son cinéma, Paris, Le Cerf, 1988.

[9] Alain Musset, Le Syndrome de Babylone, op. cit., p. 72. Alain Musset fait référence à Jean-Pierre Andrevon, Retour à la Terre, Paris, Denoël, « Présence du futur », 1975, p. 11.

[10] « Andrew MacDonald », The Turner Diaries, National Vanguard Books, 1978.

[11] Leonard Zeskind, Blood and Politics. The History of White Nationalist Movement from the Margins to the Mainstream, Farrar, Strauss & Giroux, 2009.

[12] Kristian « Varg » Vikernes est une figure importante de la scène National-Socialist Black Metal (NSBM). Il est connu dans son pays depuis les années 1990 pour ses propos racistes et païens et surtout pour des incendies d’églises millénaires. Il est aussi connu pour avoir tué un membre de son groupe, Øystein Aarseth, alias Euronymous. Il fit 21 ans de prison, la peine la plus lourde en Norvège. Il choqua également les Norvégiens en prenant Quisling comme second prénom, du nom du chef du gouvernement norvégien pronazi pendant la seconde guerre mondiale. Politiquement, Vikernes est un ancien skinhead, qui a soutenu un groupuscule néonazi, le « Einsatzgruppe », qui prévoyait de faire des attentats en Norvège. Depuis, il s’est éloigné du néonazisme pour développer une forme de pensée völkisch.

[13] Cf. son blog : http://thuleanperspectivefr.wordpress.com/tous-les-articles/. Sur Varg Vikernes et ses influences, Stéphane François, Au-delà des vents du Nord. L’extrême droite française, le Pôle nord et les Indo-Européens, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2014, pp. 249-254.

[14] Matthias Gardell, Gods of Blood. The Pagan revival and White Separatism, Durahm, Duke University Press, 2003, pp. 112-117.

[15] Cette conception s’éloigne du suprémacisme : elle considère que chaque « race » a le droit de vivre, mais dans un cadre géographique qui lui serait propre, c’est-à-dire, concrètement, dans le cadre d’un État-ethnique (« Ethnostate »). Il s’agit d’un discours foncièrement mixophobe, considérant le métissage comme un génocide lent, et prônant en retour une écologie des cultures/ethnies.

[16] Cf. John Zerzan (dir.), Against Civilization, Port Townsend, Feral House, 2005, John Zerzan, Future Primitive revisited, Port Townsend, Feral House, 2012.

[17] Cf. Stéphane François, « Ré-exploitation de l’anthropologie SS par les païens identitaires américains. Le cas de la Wulfind Kindred », in Olivier Dard (dir.), Partis et mouvements (titre provisoire), Bern, Peter Lang, à paraître en 2015.

[18] Jeffrey Kaplan & Leonard Weinberg, The Emergence of a Euro-American Right, New Brunswick, Rutgers University Press, 1998

[19] « Les 36 familles de droite », Éléments pour la civilisation européenne, n° 94, février 1999, pp. 24-32.

[20] Cf. Stéphane François, « La Nouvelle Droite et l’écologie : une écologie néopaïenne ? », Parlement(s). Revue d’histoire politique, nº 12, décembre 2009, pp. 132-143.

[21] Alain de Benoist, « La fin de l’idéologie du progrès », Éléments, n°79, janvier 1994, p. 3.

[22] Ibid., p. 3.

[23] GRECE (Alain de Benoist et Charles Champetier), Manifeste pour une renaissance européenne. À la découverte du GRECE. Son histoire, ses idées, son organisation, GRECE, Paris, 2000, p. 91.

[24] Ibid., p. 91.

[25] Piero San Giorgio, « Nous allons redécouvrir un monde de manque et de pénurie », Éléments pour la civilisation européenne, n° 147, avril juin 2013, pp. 6-8.

[26] Piero San Giorgio, Survivre à l’effondrement économique, La Fenderie, Le Retour aux Sources, 2011

[27] http://www.prenonslemaquis.fr/.

[28] http://www.article11.info/?Alain-Soral-petit-ideologue-et

[29] http://ladesouchiere.blogspot.fr/

[30] Piero San Giorgio, Survivre à l’effondrement économique, La Fenderie, Le Retour aux Sources, 2011

[31] http://lesurvivaliste.blogspot.fr/

[32] « Entretien avec Michel Drac », Réfléchir & Agir, hiver 2011, n° 37, pp. 15-18.

[33] Michel Drac, « Le chaos monétaire », Krisis, n°35, « Le chaos », mai 2011, pp. 94-101.

[34] Serge Ayoub, Michel Drac et Michel Thibaut, G5G. Déclaration de guerre, La Fenderie, Le Retour aux sources, 2010.

[35] Michel Drac, La Question raciale, La Fenderie, Le Retour aux sources, 2009.

[36] Cf. Stéphane François, Les Néo-paganismes et la Nouvelle Droite (1980-2006). Pour une autre approche, Milan, Archè, 2008.

[37] Cf. Stéphane François, « Réflexions sur le mouvement Identitaire », 2009, (https://tempspresents.wordpress.com/2009/03/03/reflexions-sur-le-mouvement-identitaire-12/ et https://tempspresents.wordpress.com/2009/03/03/reflexions-sur-le-mouvement-identitaire-22/).

[38] Guillaume Corvus, La Convergence des catastrophes, Paris, D.I.E., 2004.

[39] Piero San Giorgio, « Nous allons redécouvrir un monde de manque et de pénurie », art. cit., p. 7.

[40] Guillaume Faye, Pourquoi nous combattons. Manifeste de la Résistance européenne, Paris, L’Æncre, p. 57.

[41] Ibid., pp. 20-21.

[42] Ibid., p. 69.

[43] Guillaume Corvus, La Convergence des catastrophes, op. cit., pp. 191-218.

[44] « Les Titans et les Dieux. Entretien avec Guillaume Faye », Antaïos, nº 16, printemps 2001, p. 118.

[45] Guillaume Corvus, La Convergence des catastrophes, op. cit., p. 201.

[46] Roberto Vacca, Demain le Moyen Âge. La dégradation des grands systèmes, Paris, Albin Michel, 1973.

[47] Joseph A. Tainter, The Collapse of Complex Societies, Londres/New York, Cambridge University Press, 1988.

[48] Joseph A. Tainter, L’Effondrement des sociétés complexes, La Fenderie, Le Retour aux sources, 2013.

[49] Guillaume Faye, La Colonisation de l’Europe. Discours vrai sur l’immigration et l’Islam, Paris, L’Æncre, 2000.

[50] Jean Raspail, Le Camp des saints, Paris, Robert Laffont, 1973.

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