« Jean-Marie Le Pen ne se reconnaît plus dans le FN »

Variations sur Magritte (source : intelliblog)
Propos de Jean-Yves Camus recueillis par Olivier Faye, « Jean-Marie Le Pen ne se reconnaît plus dans le FN », Le Monde, 8 avril 2015.
n désavouant Jean-Marie Le Pen et en le menaçant de possibles sanctions, Marine Le Pen a-t-elle franchi une nouvelle étape dans sa stratégie de « dédiabolisation » du Front national ?
Jean-Yves Camus : Certains voient dans cette tension très forte entre deux lignes diamétralement opposées, celle de Marine Le Pen et celle de son père, un moyen délibéré pour la présidente du Front national de conserver l’électorat traditionnel tout en en gagnant un nouveau. Mais il est toujours très aventureux de considérer que les gens tiennent un double langage.
Néanmoins, on retrouve dans l’interview que Jean-Marie Le Pen a accordée à Rivarol le même fond d’idées que ce qui peut être entendu à la base du parti. Un certain nombre de choses ne figurent plus au programme du FN. Le programme des années 70 n’est pas celui d’aujourd’hui : ils ne parlent plus d’inversion des flux migratoires, d’annuler les naturalisations, ou de thématiques anti-juives. Mais est-ce que ça suffit ? La boucle ne sera vraiment bouclée que quand le bureau politique du FN – pas simplement Marine Le Pen ou Florian Philippot à titre personnel – dira quelle est la ligne officielle du mouvement, sur le maréchal Pétain ou sur d’autres questions.
Quand Gianfranco Fini a fait ça en Italie, passant du MSI à l’Alliance nationale, c’était au nom du parti en tant que tel, et pas une simple position personnelle.
Quel but vise Jean-Marie Le Pen en accordant cette interview à « Rivarol » ?
Je n’ai rien lu dans l’interview qui diffère considérablement de ce que Jean-Marie Le Pen a toujours dit, excepté sur la démocratie et sur le « monde blanc ». Dans cet entretien, c’est un Jean-Marie Le Pen fidèle à lui-même et aux fondamentaux de son parti. Mais l’interview ne paraît pas n’importe où. Parler de Pétain dans Rivarol, journal fondé en 1951 par d’anciens collaborateurs du régime de Vichy, et qui défend la figure du maréchal Pétain, ça n’est pas indifférent.
Jean-Marie Le Pen a l’idée fixe de transmettre un parti campé sur ses fondamentaux. Il n’accepte pas que la dédiabolisation fasse du FN un parti comme les autres. Il ne se reconnaît plus dans ce mouvement qu’il a mené hors de l’anonymat électoral. La normalisation du FN avance, elle est perceptible par une partie de l’opinion publique. Mais Jean-Marie Le Pen a aussi bien senti que les derniers résultats du FN, aux élections départementales, montrent que la normalisation n’est pas achevée. Avec le scrutin majoritaire, et le fait que l’UMP ne veuille pas entendre parler d’accords, le plafond de verre est difficile à briser.
Ne cherche-t-il pas, à 86 ans, à continuer de peser, alors qu’une nouvelle génération a pris la main ?
Jean-Marie Le Pen existe encore. Il est toujours député européen et conseiller régional. Rien ne nous dit qu’il ne sera pas placé dans un tour de passe-passe derrière sur la liste aux élections régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Sanctionner Jean-Marie Le Pen, le mettre de côté, n’est-ce pas le risque de connaître une saignée parmi la base militante du parti ?
La saignée, est-ce que ça ne fait pas davantage de bien que de mal ? Le jeu permanent des lignes qui s’entrechoquent ne peut sans doute pas durer.