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« Dissoudre un groupe ne signifie pas dissoudre les individus »

aspirine effervescentePropos de Jean-Yves Camus recueillis par Caroline Monnot, Le Monde, 10 juin 2013.

L'annonce de dissolutions à l'encontre de formations d'extrême droite radicale a-t-elle un sens ?

Jean-Yves Camus Cela a un sens et une utilité politique, dans la mesure où le gouvernement concrétise une mesure qui avait déjà été évoquée avant même le décès de Clément Méric. Cela montre sa détermination à lutter contre une mouvance dont il estime qu'elle porte atteinte aux valeurs républicaines.

Le premier ministre a évoqué mardi l’éventualité d’interdire « tous les groupes, associations et groupements d’extrême droite contraires aux valeurs et aux lois de la République ». Cette interprétation du droit me semble calquée sur le modèle allemand qui permet de dissoudre tous les groupes prônant des valeurs contraires à la Loi fondamentale. Or pour nombre de ses adversaires, l’extrême droite est par essence antidémocratique. Ce sont donc tous les mouvements d’extrême droite qui sont potentiellement visés.

Un concept perdant en précision ce qu’il gagne en extension, je crains qu’une vague de dissolutions dilue l’efficacité de la mesure. De plus, dans un régime fondé sur les libertés individuelles et politiques, on doit savoir tolérer l’expression des idées qu’on déteste, pour autant qu’elles ne mettent pas en péril l’ordre républicain. Celui-ci était en danger lors de l’adoption de la loi de 1936 . Il ne l’est plus dans notre démocratie consolidée.

La dissolution n’est pas, pour vous, une panacée ?

Non. Dissoudre un groupe ne signifie pas dissoudre les individus qui en font partie, lesquels peuvent migrer vers d’autres structures non visées par le décret. De fait, si ces individus ont une propension personnelle à la violence, ils l’exerceront dans le cadre d’un autre mouvement. Il y en a pléthore dans l’extrême droite française, qui ne demandent qu’un afflux d’adhérents.

Ceux qui continueront à militer peuvent rejoindre des mouvements dont la contrôlabilité, la propension à la violence, la radicalité sont au moins équivalents aux groupes que l’on envisage de dissoudre. Pour revenir à l’Allemagne, c’est là une partie du débat autour de la possible interdiction du NPD. Vaut-il mieux que ce parti existe ou qu’une fois interdit, il donne naissance à des cellules semi-clandestines ou clandestines ?

J’ajoute que les JNR et les militants de Troisième Voie n’ont été actifs qu’exceptionnellement et à titre individuel dans les violences de fin de manifestations anti-mariage gay. Leur éventuelle dissolution laisse intacts les mouvements activistes qui ont causé les désordres en attaquant les journalistes et les forces de l’ordre.

La notion de « groupe de combat » a été évoquée pour les JNR. A-t-elle une réalité ?

La police a peut-être à sa disposition des informations qui pourraient étayer l’hypothèse. Pour l’observateur extérieur, cela n’apparaît pas évident. Les JNR sont un service d’ordre attaché à Serge Ayoub dont tous les membres portent un quasi uniforme. Leur nombre est réduit, tous les visages sont connus. A moins qu’une section soit restée hors-champ du visible. C’est peu probable.

Une dissolution peut-elle frapper les JNR seules, sans toucher à Troisième Voie, autre formation créée par Serge Ayoub ?

Le décret de dissolution peut ne toucher que les JNR. Il est impossible de décrire Troisième Voie comme un groupe de combat ou séditieux. Des deux, c’est pourtant celui qui rassemble le plus grand nombre de militants. S’agissant du Local, le bar associatif parisien, il s’agit bien d’un lieu-carrefour non réservé à la seule expression de Serge Ayoub. Robert Ménard, Christine Tasin de Riposte Laïque, bien d’autres encore s’y sont exprimés. C’est le lieu-carrefour de l’ensemble des droites radicales françaises de la décennie 2010.

Le FN entretient-il des liens avec cette mouvance ?

La déferlante médiatique quant à l’implication présupposée des JNR ou de Troisième Voie dans l’agression mortelle de Clément Méric a pour effet indirect derecentrer l’image du FN. La mise en avant de groupuscules qui portent toutes les marques extrêmes de la radicalité donnent, par contraste, l’image d’un FN qui aurait largué les amarres avec la mouvance. Chacun a entendu qu’il existe des groupuscules nettement plus virulents.

Le FN a-t-il largué ces amarres ?

Le début de la rupture avec cette mouvance date de 1995 et de l’assassinat du jeune Brahim Bouarram (jeté dans la Seine) avec la décision du DPS, le service d’ordre du FN, de mettre à la disposition des enquêteurs les bandes vidéo qui ont permis d’identifier les skinheads, auteurs des actes. La mort de Clément Méric n’est à ce titre pas le premier meurtre politique commis par cette mouvance. Il y en a eu de nombreux, dans les années 1990, à l’apogée du mouvement skin.

Dès que Marine Le Pen est arrivée à la tête du FN en 2011, elle a engagé une opération mains propres en excluant certains contrevenants à la règle statutaire d’interdiction de double appartenance. Elle a visé notamment des militants de l’Œuvre française qui s’étaient constitués en réseau à l’intérieur de son parti. Les fondamentaux idéologiques de l’Œuvre sont tels (antisémitisme et pétainisme) qu’elle ne pouvait les tolérer sans mettre en péril sa stratégie de « dédiabolisation ». Résultat : un espace politique s’est créé à la droite du FN. L’autre conséquence est que les radicaux, qui étaient déjà en désaccord avec les orientations impulsées par Marine Le Pen, ont accumulé une rancoeur supplémentaire vis-à-vis de ce qui avait été des années 1970 à 2011 leur habitacle naturel. Il y a, de leur part, d’autant plus d’hystérisation du combat politique et de montée en puissance de la violence verbale que l’hostilité est profonde vis-à-vis d’un FN considéré comme ayant trahi.

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