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Hyperion : une école parisienne suspectée d’être le cerveau politique des Brigades Rouges

Statue du « coup de boule » de Zinedine Zidane.

Par Guillaume Origoni

L’article proposé ici est le résultat d’un travail d’enquête commencé dans le cadre d’une thèse d’histoire sous la direction de Didier Musiedlak (Paris X). Nous sommes pleinement conscients qu’il n’obéit pas formellement aux règles académiques et scientifiques. Il est donc conseillé de le lire comme une enquête journalistique.
L’ensemble de ce travail avoisine les 80 000 signes et nous le publions donc en plusieurs parties.

Cette étude revient sur une affaire qui a opposé l’Italie et la France de la fin des années 1970, jusqu’au début des années 1990. Il s’agit en l’espèce du rôle supposé d’une école de langue parisienne dans le terrorisme italien : Hyperion.

Cette histoire est emblématique des forces en présence dans le champ de recherche des influences internationales du terrorisme italien des années de plomb.

L’école de langue Hyperion (aujourd’hui dissoute) est l’un des nombreux exemples des discordes qui colonisent le débat historique sur le rôle de la France dans la violence politique italienne en général et celle des Brigades Rouges en particulier.

Premier épisode – Retour sur une longue discorde franco-italienne

Il existe une constante dans l’histoire des Brigades Rouges (BR) :  le groupe terroriste a toujours trouvé les ressources nécessaires à sa renaissance alors qu’il paraissait décapité. Ce fut le cas en 1974, après l’arrestation des chefs historiques, en 1975, après la mort de Mara Cagol, ou, plus tard, lorsque les brigadistes de premier plan tel Valerio Morucci, membre du commando “ Moro ”, se dissocieront et seront traduits en justice.

Les infiltrations policières dont les BR furent l’objet, n’ont jamais véritablement permis de mettre un arrêt définitif aux violences avant 1986 (les dernières victimes des “ Nuove Brigate Rosse ” datent de 2003[1] et le dernier attentat revendiqué de 2006[2], mais il est difficile d’établir un lien voire une continuité entre les BR historiques et les “ Nouvelles Brigades Rouges ”).

L’installation dans la durée des BR, malgré d’importants moyens de lutte, fit naître deux interrogations majeures dans la société italienne. La première porte sur le retour de la politique italienne vers ses déviances, en d’autres termes : les BR ont-elles servi d’outils afin de maintenir un niveau de tension élevé dans la société italienne au moment même où le compromis historique s’y faisait plus prégnant ?

La deuxième interrogation découle de la première : a-t-il existé une régie occulte et internationale jouant un rôle de superstructure des BR ?

A ces questions, les enquêtes judiciaires et parlementaires, n’ont pu répondre mais les révélations dans les journaux italiens de repentis ou de chefs de partis, ont mis à jour les possibles relations internationales des BR.

En Avril 1980, Bettino Craxi, secrétaire général du Parti Socialiste Italien et président du conseil de 1983 à 1987, fit référence

“ à ces personnes qui avaient commencé à faire de la politique avec nous, puis qui ont disparu et qui, peut-être, sont à Paris et travaillent pour le Parti armé ? ”

Hyperion

L’entrée d’Hyperion.

Les personnes auxquelles Craxi faisait référence sont en premier lieu Corrado Simioni, mais aussi, Giovanni Mulinaris, Franco Troiano, Innocente Salvoni et Francoise Tusher.

Corrado Simioni fut la personne qui introduisit Mario Moretti (chef des Brigades Rouges de 1975 jusqu’à son arrestation en avril 1981) au sein du Collectif Politique Métropolitain (collectif qui fut l’antichambre des BR), puis des BR. Peu de temps après les réunions de Pecorile et Chiavari, qui consignèrent l’acte de naissance du Parti Armé (nom que les membres des BR donnaient à leur groupe), Corrado Simioni fit part à Alberto Franceschini et à Renato Curcio (le commandement bicéphale des BR avant leurs arrestations) d’une double nécessité.

Il s’agissait d’asseoir l’hégémonie des BR sur tous les groupuscules armés d’extrême gauche, par l’infiltration de ceux-ci ou par la technique des attentats sous fausse bannière et d’assurer l’élévation immédiate de l’intensité du conflit entre les BR et l’Etat. Ces priorités ne furent point partagées par le sommet de l’organisation. Simioni continua jusqu’à 1971 sa tentative d’hégémonisation des luttes armées en Italie par l’intermédiaire de sa propre structure : le Superclan[3]. Entre 1971 et 1974, aucune enquête ne révélera ce que firent C.Simioni et son groupe. Ils quittèrent ensuite l’Italie pour se transférer à Paris

“ où de façon soudaine, ils se découvrent tous une passion pour le théâtre et les langues étrangères. En 1976 ils fondèrent une école de langues baptisée Agora puis Hyperion. Officiellement la fondatrice en est Giulia Archer, concubine de C.Simioni. En réalité les instigateurs de cette création sont : Simioni, Mulinaris, Salvoni et Tuscher ”[4] .


Le but affiché de la structure est la diffusion de la culture au travers de l’étude des langues vivantes. Le questionnement relatif à la véritable nature de l’école reste au centre d’enjeux historiographiques importants entre la France et l’Italie, mais aussi à l’intérieur de chacun des deux Etats. Hyperion constitue toujours une source de discorde attisée par deux cadres de référence qui s’opposent et qui constituent une lecture différente des responsabilités dans la radicalisation des Brigades Rouges : Mario Moretti et Giovanni Senzani, suite à l’arrestation du premier le 4 avril 1981.

La multiplication des sources italiennes à ce sujet fait face à la discrétion de l’administration française. Cette page de l’histoire du terrorisme d’extrême gauche italien est en cours d’écriture et il semblerait que la somme et la multiplication des documents disponibles en Italie soit en mesure de laisser une trace pérenne qui ferait d’Hyperion une structure protégée par les autorités françaises.

Cette mansuétude vis-à-vis des réfugiés politiques issus de la gauche extra-parlementaire italienne ne devrait donc pas être lue grâce à la seule clé interprétative de la doctrine Mitterrand, puisque l’hypothétique protection accordée aux professeurs de l’école Hyperion, installée quai de la Tournelle dans le cinquième arrondissement de Paris, ramène à l’année 1976, sous la présidence de Valery Giscard D’Estaing.

Ce déséquilibre des sources fait naitre le risque de laisser une porte ouverte aux doutes – parfois légitimes – des journalistes, parlementaires et historiens italiens ; porte qui ne pourrait jamais être véritablement refermée et constituerait donc l’historiographie la plus plausible.

Les magistrats, les journalistes et les parlementaires : une communauté de pensée ?


Plusieurs juges italiens sont à l’origine d’enquêtes mettant en cause Hyperion dans son rôle de « Grande Vecchio »[5] : Pietro Calogero procureur de Padoue puis de la Cour d’appel de Venise, le juge Fernando Imposimato, Rosario Priore, ainsi que Carlo Mastelloni. Ces quatre magistrats ont tous eu la difficile charge d’enquêter sur le terrorisme italien de la stratégie de la tension et des années de plomb. Ils ont également suivi des pistes qui conduisirent à de nouveaux paradigmes dans les épisodes tragiques de la violence politique italienne au-delà de ses propres frontières. Il semble incontestable que le fruit de leurs recherches ait permis de comprendre avec une acuité renforcée les forces exogènes auxquelles l’Italie fut soumise de 1947 à 1990. Cependant, ils ont également amorcé une dynamique interprétative entropique, à ce jour inarrêtable, par la multiplication des hypothèses mettant en cause les puissances étrangères dans la déstabilisation de l’ordre social et politique italien.

Nous passerons volontairement sur les déclarations de Monsieur Fernando Imposimato tant il semblerait que les plus récentes relèvent plus de la théorie du complot que de l’analyse, puisqu’au cours de l’année 2013 il fit état d’une manipulation par le groupe Bilderberg dans la stratégie de la tension.

Le Juge Calogero, à l’origine de « l’affaire Hyperion » et des mandats d’arrêt contre Oreste Scalzone[6] et Toni Negri[7] qui se réfugieront en France, posa comme préalable à son instruction le rôle des intellectuels de la mouvance autonome italienne, jusqu’à les accuser d’être les cerveaux du terrorisme rouge. Cette analyse connue désormais sous le nom de « Théorème Calogero » reste à ce jour objet d’affrontements. Pietro Calogero fut chargé des enquêtes portant sur les dossiers les plus emblématiques de l’histoire de la violence politique et criminelle de l’Italie contemporaine : l’attentat de Piazza Fontana, les enquêtes sur les services de renseignements déviés, et d’autres actes de violence liés à la stratégie de la tension.

Le juge Priore joue également un rôle important dans l’écriture historique du terrorisme italien. Il a suivi et instruit les affaires les plus délicates de l’histoire de la violence politique italienne et internationale : la tentative d’assassinat du Pape Jean Paul II en 1982, l’explosion du vol Itavia le 27 juin 1980, le terrorisme « noir », « rouge » et palestinien. Sa légitimité est incontestable et les historiens ont pu, grâce à son travail, élargir leur champ de recherche notamment sur les causes exogènes du terrorisme italiens.

Rosario Priore fut le premier juge italien qui dépouilla les archives de la Stasi suite à l’effondrement du système soviétique. Il apporta ainsi des éléments nouveaux ayant permis de mettre en lumière les omissions de certains chefs des Brigades Rouges, dont Alberto Franceschini. C’est à ce titre qu’il est une source précieuse pour les commissions d’enquêtes parlementaires sur le terrorisme qui s’effectuèrent sous la présidence du Sénateur Giovanni Pellegrino entre 1995 et 2000, ainsi que pour tous les journalistes et chercheurs spécialisés. Le résultat de ces enquêtes a fait l’objet de deux livres d’interview, dont un exclusivement dédié au rôle de la France dans la manipulation des Brigades Rouges par l’intermédiaire d’Hyperion.

Nous avons soumis certaines des affirmations contenues dans ces deux ouvrages aux personnes désignées dans les divers chapitres. Cependant, Vanni Mulinaris et Françoise Tuscher, ont décliné la possibilité qui leur a été faite de répondre à nos questions. Dans un entretien téléphonique du 22 mai 2013 Vanni Mulinaris nous a déclaré :

« Excusez notre refus, mais cette histoire fut un véritable enfer pour moi, mon incarcération en Italie ne reposait sur rien. Le dédommagement de l’Etat italien à mon bénéfice le prouve. Je n’ai aucune envie de replonger dans cette histoire absurde, comprenez-moi, je voudrais vous aider mais pas question de retomber dans ce cauchemar. Je vous souhaite toutefois bonne chance dans vos recherches ».

Quelques mois plus tard, ces mêmes personnes nous adresserons une note sur laquelle nous reviendrons au cours de notre tentative de démonstration.

Les vérifications qui suivent sont donc le fruit d’un travail de recherche. Le croisement des informations dispensées dans les ouvrages italiens n’a pas pour but de critiquer ou de déstabiliser nos confrères italiens, mais il s’agit en substance de procéder à de simples recoupements d’informations qui colonisent peu à peu une partie du corpus historique sur le terrorisme italien.

Notes

[1] Homicide de Massimo D’Antona, conseiller juridique du ministère du travail, le 20 mai 1999 à Rome. Homicide de Marco Biagi, conseiller juridique du ministère du travail, le 19 Mars 2002 à Bologne. Homicide de Emanuele Pietri, officier des carabiniers, suite à un contrôle d’identité et une fusillade dans un train régional le 2 mars 2003.

[2] Attentat à l’explosif déjoué contre la caserne des parachutistes de Livourne le 23 septembre 2006.

[3] Sténos 26. Page 25. Interview de Valerio Moruci, commission d’enquête parlementaire du 19 juin 1997 sous la présidence de Giovanni Pellegrino.

[4]“ Il Golpe di via Fani ”. Giuseppe de Lutiis. Editions Sperling & Kupfer. 2008.

[5] « Grande Vecchio » : expression journalistique italienne signifiant « le grand vieux », métaphore du manipulateur.

[6]  Voir à ce propos le dossier publié par tempspresents.com : https://tempspresents.com/2014/08/13/ultra-gauche-toni-negri-comite-invisible-guillaume-origoni/

[7] Ibidem

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