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La République en marges

Pôle Sud, la revue du CEPEL (CNRS-Université de Montpellier) vient de publier son numéro 54. Coordonné par Nicolas Lebourg le dossier « Municipales 2020 : la République en marges » cherche à saisir les processus de recomposition du marché politique à travers l’introduction au « Centre » de phénomènes jusque-là contenus à la « périphérie » du pouvoir.

Si la revue est disponible en print, elle est également disponible ici via Cairn.


La périphérie à l’assaut du centre ? Retour sur les élections municipales de 2020, par Nicolas Lebourg

Les élections municipales françaises de 2020 ont été exceptionnelles à plusieurs égards. La pandémie de Covid-19 en a tout d’abord perturbé le calendrier en entraînant un report du second tour du 22 mars au 28 juin 2020. Les résultats ont été ensuite quelque peu inattendus. L’élément le plus visible a été la percée d’Europe Ecologie Les Verts (EELV) dans les grandes villes (7 victoires dans les 42 cités de plus de 100 000 habitants), même si la plus faible pénétration dans les communes de moindre envergure réduit à 1,9 millions le nombre de citoyens administrés par le parti. Parmi les autres partis dits de gouvernement, on aura noté le bon maintien des listes issues du Parti socialiste (PS) et de Les Républicains (LR), et la faiblesse des résultats obtenus par les listes La République En Marche (LREM). A l’extrême droite, bien loin de la vague annoncée par le Rassemblement national (RN), la conquête symbolique d’une ville de plus de 100 000 habitants (Perpignan) ne masque pas la mauvaise performance (le nombre de conseillers municipaux baisse de 44,8% par rapport à 2014 et le parti n’en compte que dans moins de 0,8% des communes). Enfin, phénomène inédit de par son intensité, on a vu fleurir des listes « municipalistes », « citoyennes », traduisant a priori une demande de « démocratie participative ». La visibilité réduite des partis a été un effet globalement entretenu, ayant entre autres mérites de permettre des alliances électorales à géométrie variable. Le discours gestion/rassemblement s’est généralisé et le label « liste citoyenne » a été utilisé jusqu’aux appareils du PS, du RN et de La France insoumise (LFI) – et une première étude estimait que seules 31% des listes citoyennes ne comportaient pas de partis (Lefebvre, 2020a)…

L’analyse électorale à l’épreuve de la décomposition politique. Le cas des élections municipales 2020 en Occitanie et à Montpellier, par Emmanuel Négrier

Les élections municipales 2020 sont l’occasion de discuter de trois hypothèses causales : la stabilité électorale résulte d’une prime au sortant qui est confortée en cas d’abstention massive ; le vote des villes est le siège d’une nationalisation des compétitions électorales ; une abstention massive donne plus de poids à la dimension rationnelle du vote contre ses dimensions émotionnelles. Nous en discutons en deux temps. Le premier sera consacré à un panorama des élections municipales en Occitanie, au travers des principales tendances observées. L’impression qui domine est celle d’une stabilité assez remarquable des pouvoirs municipaux établis, à l’exception notable de quelques cas emblématiques. Le second temps sera consacré au scrutin de Montpellier.

Mobiliser les marges. Splendeurs et misères de quatre entreprises électorales en marge des partis lors des municipales de 2020 à Montpellier, par Julien AudemardArnaud HucDavid Gouard

Les élections municipales de 2020 à Montpellier ont non seulement été marquées par un éclatement de l’offre électorale mais aussi par la réussite, au premier tour, de plusieurs candidatures à la marge des partis politiques. Cet article se donne comme objet d’étude quatre listes de candidats illustratives de ce phénomène : les listes respectivement menées par Mohed Altrad, Alenka Doulain, Rémi Gaillard et Clothilde Ollier, lesquelles ont rassemblé au premier tour plus d’un tiers des suffrages exprimés et ont fusionné au second tour. Nous proposons d’engager successivement l’analyse sociologique de leur composition puis celle de la mobilisation électorale en leur faveur. Cet article croise plusieurs matériaux empiriques, dont les données électorales et de recensement disponibles à l’échelle des bureaux de vote, ainsi que des données sociodémographiques et spatiales relatives aux 65 candidats composant chacune des listes étudiées. Si cette étude renseigne à la fois les ressorts sociaux qui ont fait le succès relatif de ces candidatures, elle met aussi en exergue les contrastes sociopolitiques entre ces quatre listes, qui constituent un élément explicatif fort de l’échec électoral de leur liste d’union au second tour des municipales.

Le nationalisme corse et les élections municipales : une conquête équivoque, par André Fazi

En 2017, le nationalisme corse est devenu la première force politique dans l’île, remportant plus de 56% des voix aux élections territoriales et trois sièges de députés sur quatre. Toutefois, sa progression est moins significative aux niveaux communal et intercommunal. Malgré plusieurs conquêtes remarquées, ici il est loin d’être la force dominante. Cet article propose non seulement d’établir un bilan des succès nationalistes, mais de caractériser leur adaptation aux enjeux locaux, les formes de leur institutionnalisation et de leur normalisation. Dans une arène politique très autonome, fondée sur les enjeux de proximité et les relations interpersonnelles, leur progression ne peut être comprise comme un triomphe idéologique. Lorsque les maires nationalistes n’ont pas été cooptés, ils ont conquis le pouvoir à la tête de listes très ouvertes et consensuelles. De même, pour l’heure leur accession aux responsabilités ne semble pas marquer de transformations sensibles de l’action publique.

Plus de participation ? Leçons de 75 programmes politiques pendant les élections municipales de 2020, par Raùl Magni-BertonCamille MorioSofia Assif

Le Participomètre est une nouvelle mesure de la crédibilité des promesses électorales en matière de démocratie participative locale. Il a permis d’évaluer 75 programmes dans 14 grandes villes françaises et cet article en livre les principaux enseignements. Tout d’abord, cet enjeu démocratique est aujourd’hui clairement situé sur l’échelle gauche-droite, la gauche étant beaucoup plus active pour le promouvoir. Dans certaines villes, à l’instar de Rennes, cet enjeu est bien développé dans la campagne électorale, alors que dans d’autres, comme Strasbourg, il en est à ses balbutiements. Nous avons constaté que les listes soutenues par le Parti Socialiste représentent le mieux l’attention portée à l’enjeu démocratique dans une ville. Cependant, ce sont les listes associées à Europe Ecologie les Verts et à la France Insoumise qui lui ont donné une place prépondérante. Enfin, parler de participation semble bien permettre aux partis de gauche de gagner des voix, alors que les partis de droite ne bénéficient électoralement pas d’un programme axé sur ces questions.

La prise de Perpignan par le RN. Chronique d’une conquête annoncée, par David GibandNicolas LebourgDominique Sistach

Le succès électoral de Louis Aliot aux municipales de 2020 à Perpignan fait figure d’exception en raison de la taille de la ville, de la personnalité du candidat élu et des singularités de Perpignan. Régulièrement classée comme l’une des villes les plus pauvres de France métropolitaine, marquée par d’importantes tensions sociales et par une ethnicisation prononcée de la vie sociale et politique, Perpignan est une ville singulière. Toutefois, loin de se réduire au succès du Rassemblement national (RN) dans une grande ville du Sud de la France, l’élection de Louis Aliot résulte davantage d’une combinaison de facteurs ancrés dans la trajectoire économique et sociale de la ville, dans ses particularités politiques et partisanes tout autant que dans l’enracinement du parti frontiste, ou encore dans le délitement des systèmes clientélistes et politiques locaux. Résultat de dynamiques locales, l’élection de Louis Aliot invite à nuancer les effets d’une quelconque stratégie nationale et questionne la place du RN et de ses alliés (R. Meynard à Béziers) sur le littoral méditerranéen.

La mayorabilité en affiches. Le cas des élections municipales de 2020, par Michel Catlla

Les affiches de campagne électorale développent des argumentaires, des projets, elles permettent de présenter les candidats, de rappeler les soutiens, d’exprimer une expertise ou une compétence, d’exposer des valeurs et des convictions, etc. La “mayorabilité” en affiches c’est la prétention à l’obtention d’une licence autorisant l’exercice du mandat politique qui se donne à lire dans les affiches de campagne des candidats. Sur la base d’un corpus de 300 affiches issues des élections municipales de 2020, l’étude renseigne les répertoires d’actions électorales mobilisés par les candidats selon le contexte électoral, les appartenances partisanes, les rapports de force et les trajectoires des candidats.

Conformément à l’usage de la revue le dossier est complété par deux varia :

Extrême droite partisane et rôles municipaux. Le travail de représentation d’élus municipaux du Front National, par Félicien Faury

L’article porte sur le travail de représentation politique des membres de l’équipe municipale d’une ville du sud de la France, dirigée depuis 2014 par le Front national (FN, Rassemblement national depuis 2018), parti français d’extrême droite. Les élus FN, relais de la stratégie de normalisation de leur parti politique, doivent lors de leur entrée en mairie se conformer aux diverses contraintes de rôle prescrites par l’institution municipale. Novices en politique, ils déploient en contrepoint un registre de la proximité, de l’apolitisme et du dévouement communal. Cette neutralisation partisane reste cependant partielle : sur les thématiques les plus spécifiques à l’extrême droite (les enjeux sécuritaires, migratoires et religieux notamment), les élus doivent également – et se sentent habilités à – donner des gages à leurs électorats locaux. La réalisation des prétentions politiques frontistes dépend dès lors des marges de manœuvre dont disposent les élus et de la légitimité qui leur est attribuée localement.

Parler de l’extrême-droite. Registre commun et particularités locales du discours des militants Les Républicains sur le Front National, par Emilien Houard-Vial

Cet article étudie le discours des militants des Républicains à propos du Front national, sachant le dilemme de la droite partisane tiraillée entre convergence idéologique et responsabilité démocratique. Cette enquête s’appuie pour cela sur une enquête localisée dans trois villes moyennes françaises, dont une ville méditerranéenne. Elle identifie un registre normatif propre aux militants LR, davantage axée sur la préservation d’un ordre socioéconomique et la distinction entre partis protestataires et de gouvernement que sur la préservation d’un ordre démocratique et républicain. Elle montre en revanche que ce registre s’exprime différemment selon l’environnement sociopolitique des militants, et que l’opposition de principe au Front national peut être fragilisée selon la situation politique et électorale locale.