Jean-Marc Rouillan : ce que parler peut dire

Source : 49media
Jean-Marc Rouillan, dans un entretien accordé au mensuel satirique marseillais Le Ravi, a fait état du « courage » dont aurait fait preuve les commandos terroristes du 13 Novembre. De nombreuses voix se sont élevées, dont celle du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. «Intolérable», «Indigne», «Dangereux», «En prison !»… Les qualificatifs et les injonctions à la punition immédiate fleurissent dans les éditoriaux de la presse et sur les réseaux sociaux.
En effet, ce n’est pas la première fois que l’ex leader d’Action Directe, suscite des postures scandalisées de par ses déclarations dans la presse. En 2007, il avait obtenu un régime de semi-liberté, mais il était retourné en prison courant 2008 à la suite d’une interview parue dans L’Express, dans laquelle il exprimait peu de regrets face à ses actions passées.
Une enquête est ouverte par le parquet de Paris pour apologie du terrorisme, qui pourrait se conclure par un retour en détention. Pourquoi Jean-Marc Rouillan prend-il ce risque de façon régulière et pourquoi lui est-il si difficile de faire amende honorable ? Il est important, en préalable à l’analyse que nous proposons, d’être clair sur le point suivant : expliquer n’est pas excuser.
Une pensée politique qui s’inscrit dans la tradition anarchiste
J’ai rencontré Jean-Marc Rouillan en 2012 pour mes recherches universitaires. Nous avons par la suite longuement échangé et je possède plusieurs heures d’enregistrements de ces entretiens. L’homme est affable et, comme beaucoup d’activistes ayant opéré pendant la guerre froide, son corpus politique et philosophique est solide. L’homme sait de quoi il parle et il serait réducteur de le limiter à un individu exalté. L’opinion publique a vaguement gardé à l’esprit qu’Action Directe était un groupe combattant d’extrême gauche. Ce n’est que partiellement vrai, et donc trop incomplet comme cadre de référence pour comprendre ce qui anime Jean- Marc Rouillan.
La véritable matrice historique et politique du groupe armé s’est constituée autour du corpus anarchiste-libertaire. Influencé par la lutte anti-franquiste, Jean-Marc Rouillan gardera tout au long de sa vie et de sa longue détention (25 ans suite à une condamnation à perpétuité pour sa participation à l’assassinat du PDG de Renault Georges Besse et du Général Audran) une défiance envers l’autorité exercée par l’État et les instruments de pouvoir institutionnels.
Ce positionnement a généré ce qu’il convient de nommer «autonomie», c’est à dire la mise en place d’une organisation politique et sociale qui ne s’appuie ni sur les partis, ni sur les syndicats. L’individu prolétarisé par le capitalisme d’Etat n’a nullement besoin que l’on pense et agisse à sa place. Depuis le milieu des années 1980, cette terminologie a disparu, alors que la pratique perdure dans les ZAD qui éclosent sur le territoire national.
C’est à la fois cette lecture anarcho-libertaire et marxisante (tout phénomène est expliqué au travers de la lutte des classes) qui crée de la sympathie chez Jean-Marc Rouillan pour les commandos du 13 novembre : la violence d’où qu’elle vienne est une entropie qui déstabilise l’État et fait donc avancer la «cause révolutionnaire». C’est également ce prisme qui lui fait parfois oublier son empathie pour les victimes.
Une impossible autocritique
Il existe un trait commun à tous les activistes et terroristes que j’ai rencontré : leur pratique de la violence politique transcende les buts initiaux et agit comme un élément libérateur. En d’autres termes, si la pratique de la violence est au moment de l’engagement un instrument « pour », elle devient très rapidement l’instrument « par ». Elle est vue comme la dynamique inarrêtable qui se justifie par la fragilisation de l’État et des institutions. Dès lors, elle cesse d’être au service du projet de transformation de la société pour devenir un projet en soit. On comprendra alors qu’il est nécessaire pour l’individu qui la pratique de rationaliser ses actes. S’il ne le fait pas il est rabaissé au simple statut d’assassin. C’est donc par ce processus de rationalisation de la violence que Jean-Marc Rouillan s’extrait de l’éthique et de la morale commune. Il serait indigent de penser que cet homme ne «ressent rien pour l’autre», c’est ce même raccourci qui fait crier la foule « A mort ! ». Jean-Marc Rouillan est contraint à reproduire indéfiniment ses biais de confirmations : la violence est libératrice et il ne peut en être autrement, sinon, les morts et les années de prison n’ont aucun sens. Difficile dans cet enfermement d’ouvrir sa pensée et son cœur à l’autocritique. Nulle résilience possible lorsque les terroristes qui ont semé la mort dans les rue de Paris sont vus comme des victimes collatérales du rapport de force imposé et gagné par la bourgeoisie.
Ajoutons à cette vision qui semble distordue, l’idée prégnante que la transformation d’une société n’est possible qu’avec la constitution d’une avant-garde. Comme il y eu l’avant garde prolétarienne incarnée par les Brigades Rouges, la RAF ou Action Directe, les soldats du Djihad semblent être pour Jean-Marc Rouillan la nouvelle avant-garde du combat contre l’impérialisme occidental et le néo-libéralisme. In fine, cette posture relève d’une vision romantique de la politique et favorise l’admiration pour le «faible»: l’individu qui défie la puissance de l’Etat les armes à la main.
Il y a peu, Jean-Marc Rouillan m’avait dit «Nous sommes des orphelins de la cause révolutionnaire !». C’est une erreur patente, mais pour comprendre les propos de l’ex leader d’Action Directe, il faut intérioriser qu’il voit dans les djihadistes du 13 novembre les rejetons illégitimes et un peu abâtardis de cette cause perdue.
Entretien
L’entretien qui suit est une synthèse de divers échanges avec Jean-Marc Rouillan, réalisés en 2013.
Quelle vision avez-vous aujourd’hui du spectre de la gauche française, du PS à la gauche extra-parlementaire ?
Jean-Marc Rouillan : Je ne pense pas qu’il faille poser la problématique de telle façon. Je dirais volontiers qu’il y a trois formes de gauche : la gauche institutionnelle, la gauche de régime et la gauche de gestion. Du Parti socialiste au Front de gauche, on retrouve ce visage protéiforme de la gauche française. Le parti conduit par Jean-Luc Mélenchon sert de passerelle entre la gauche protestataire, populaire et la gauche de gestion. C’est en quelque sorte logique, car il s’agit bien là du rôle d’un tel parti composé des communistes mais aussi de nouveaux entrants. Personne de sérieux ne peut étiqueter le FDG d’extrême, ce parti est une composante de la gauche de gestion. Au niveau local, je pense ici aux municipalités, aux conseils généraux dans lesquels ils siègent aux côtés et avec le Parti socialiste français. Cela est facilité par le fait qu’ils occupent une place vacante. Ils sont le pivot entre le danger d’une vraie gauche et la gestion d’une fausse gauche….
Excusez moi, mais je ressens dans votre propos que vous les considérez comme des idiots utiles ? Je me trompe ?
Non, je ne dis pas ça ! Je dis que ce sont des idiots très intelligents et pour cause, ils occupent un terrain qui aurait du être occupé par l’extrême gauche. Ils flirtent d’ailleurs avec l’image de l’extrême gauche mais leurs idées, leurs concepts, leurs lignes stratégiques doivent assurer une conquête et une légitimation du pouvoir. Pas de contre-pouvoir, mais d’association de pouvoir. Finalement, si j’étais complotiste, leur utilité dans cet échiquier du pouvoir me poserait question.
Prenons un point qui fait débat depuis 2008 : la renégociation et la forme de la dette prônée par Jean-Luc Mélenchon …
Oui, c’est incontestablement de gauche et incontestablement insuffisant…mais vous me conduisez sur un terrain qui m’intéresse peu. Cela dit, vous avez raison, le Front de Gauche peu parfois défendre une vraie politique de gauche. Cela est logique, le Parti Communiste Français était un vrai parti de gauche, mais nous sommes toujours dans un cadre national, très populaire. Je vais vous donner un exemple : pour moi il est inconcevable de se mobiliser pour la VI° République. Vous comprenez ?
Non, je ne comprends pas ?
Vous ne comprenez pas pourquoi je n’irais jamais manifester pour la VI ° république ? Mais parce que cela n’est pas une urgence, pas un bouleversement, c’est une connerie qui nous aurait fait rire dans les années 1960. Idem pour le mariage gay. Comme beaucoup, je pense que c’est une façon de nous détourner de l’essentiel, du vital. Ce sont des faux conflits. Je pourrais soutenir des actions en faveur d’une république populaire sur des bases socialistes…. mais la VI° république, soyez gentil, oublions cela !
Sortir de la V° république permettrait, peut être, aux français de se responsabiliser, de ne plus chercher le père par l’intermédiaire du suffrage universel ?
Peut être mais ces terrains politiques ne sont pas de gauche pour moi qui suis un révolutionnaire. Puisque il s’agit de moi dans cette interview, comprenez bien que la pensée révolutionnaire est concaténée à la pensée politique de gauche. L’implication de la gauche actuelle dans les process néolibéraux en fait une « fausse » gauche. Mais permettez-moi de revenir sur le temps passé.
Revenons sur le temps passé…
Au sortir de 1968, il existe une vraie extrême gauche, à quel moment cesse-t-elle de l’être ? Cela est important car la définition de la gauche passe par la définition de ce que vous-même nommez l’arc ou le spectre. Quel est donc la différence entre l’EG des années 1970 et l’EG actuelle? Elle a accepté le terrain ! Elle a accepté le terrain que la bourgeoisie lui a dédié, elle a accepté sa réserve, ses enclos, son fonctionnement en cercle, en évitant – c’est à ce titre que je parle volontiers de stratégie de l’évitement- les vraies zones de conflits.
Vous signifiez par « terrain » les balises institutionnelles et constitutionnelles de la société ?
Oui, aussi, si vous voulez, mais de façon plus opérationnelle, je retrouve cette stratégie de l’évitement dans la contestation de « Notre Dame des Landes ». Elle est générale a toute l’extrême gauche, y compris au mouvement Antifa qui ne se pose pas la question de ce que constitue le fascisme ?
Pouvez-vous développer ?
Lorsque j’entends depuis des années : « Le Pen fasciste ! », cela n’a aucun sens. Il n’y a aucune portée révolutionnaire dans le FN, ce n’est pas du fascisme, c’est de la réaction. Le processus est radicalement différent. Lorsque je parle avec eux, c’est la confusion la plus totale, je leur demande alors s’ils ont lu le livre de Poulantzas qui est éclairant sur le sujet et on me regarde comme un alien. Idem pour l’analyse de Bettelheim sur la politique économique du nazisme et du fascisme, il comprend parfaitement et nous avec, qu’elles constituent des avant gardes de la bourgeoisie. C’est une bourgeoisie révolutionnaire, mais sur ses propres projets et qui a besoin d’un Etat fort pour réaliser un bond avant sur ses positions. Or, ce que l’on constate aujourd’hui autour du mariage pour tous c’est simplement la réaction. C’est un parti traditionnel, Maurassien s’il est nécessaire de simplifier.
La France a ceci de particulier : elle est incapable de concevoir où la politique d’extrême gauche doit éclore et pourquoi ? En d’autres termes : quelle est la pratique d’EG qui pourrait correspondre à l’époque ?
Pour répondre il convient à mon sens de remonter à 1973, car on y trouve les ferments de cette stratégie de l’évitement …
…Je pense deviner à quoi vous faites référence !
…non, je ne pense pas uniquement à la Gauche Prolétarienne, c’est aussi le cas pour la Ligue Communiste Révolutionnaire qui verra une modification importante de ses projets et de ses buts en 1973 après la manifestation contre Ordre Nouveau & Occident qui était de vrais groupes fascistes émanant de l’avant-garde bourgeoise dont je parlais il y a un instant. On ne répétera jamais assez que Madelin, Longuet, Devedjian…sont issus de ces groupes. Je ne les ai pas tous en tête, mais certains comme Xavier Raufer ont aujourd’hui voix au chapitre, c’est tout de même un homme important dans l’élaboration de la doctrine anti-terroriste en France.
Jusqu’en 1973 au sein de la LCR la question de la lutte armée se pose, un groupe interne y est préparé, ces unités spéciales se dissoudront définitivement en 1981, ce sera également vrai pour la GP.
Concernant cette dernière, il serait plus judicieux de parler de scission, puisqu’une partie rentrera sagement dans les rangs, alors que l’autre tentera l’expérience de l’autonomie (…) dont la matrice idéologique et doctrinale n’est pas anarchiste. On retrouve dans l’autonomie de 1977, 1978 les cadres maos qui assurent par ailleurs la communication entre les différents groupes autonomes.
Cela nous conduit à la question de la représentation. Vous faites référence aux autonomes, on oublie aujourd’hui à quel point l’enracinement populaire autour de ces groupes fut important…
…bien entendu, les comités de base sont nombreux et puissants en 1968 / 1969. La capacité que les militants avaient à remettre en question l’ordre établi a complètement disparue aujourd’hui. Rendez vous compte que ces comités de base se créent et s’organisent comme contre pouvoir au PC et à la CGT qui fonctionnaient parfaitement dans le gaullisme. La question centrale qui demeure est : qui décide pour moi ? Il serait profitable que l’on m’explique en quoi cette question appartient au passé ? Les syndicats furent les bouchons du système en 1968, c’est eux qui ont demandé aux ouvriers de retourner dans les usines et en 2005 lorsque le débat fait rage sur les retraites, cela s’est reproduit. Si une forme de protestation violente doit éclore aujourd’hui, ils seront encore les bouchons du systéme.
Vous affirmez cela pour le PS, le FDG et le NPA ?
Oui ! mais je mettrais un bémol pour le PC qui porte en lui les racines profondes de la gauche française. Lorsque je rencontre les cégétistes, je me rends compte à quel point ils sont d’extrême gauche et à quel point ils ne le savent pas. Récemment, je me suis rendu au Havre et j’ai été très touché par les recherches historiques que la CGT locale fait sur son histoire syndicale. C’est la première fois que je vois ça, c’est encourageant, les références à l’histoire des anarchistes sont affichées. Cela aurait été impensable dans le PCF de la guerre froide. Je peux vous garantir que certains militants de la CGT aujourd’hui ne retourneront pas dans les usines même si la centrale parisienne l’exige ! Ca ne marchera plus, jusqu’à peu de temps encore, cela fonctionnait mais ce n’est plus le cas, ils ont été trompé et ressentent que la centrale ne répond pas aux aspirations de la base.
Les syndicats ont très bien compris lors du débat sur les retraites qu’il était tout à fait possible de conduire le pays à une grève générale. Ils ne l’ont pas fait, ils ont eu peur de l’issue. Ce saut dans l’inconnu fut à mon sens une occasion ratée dont les syndicats portent une part importante de responsabilité.
La peur de la violence ?
Vous connaissez le refrain : il y a la gauche responsable et la gauche irresponsable. On ne sort toujours pas de cette division. Pour Nous, à l’extrême gauche, il importe peu d’être responsable et assez sérieux pour être invité à la table des négociations. Ce que nous voulons c’est faire avancer la gauche révolutionnaire.
Ce qui est étonnant, c’est précisément le peu d’enthousiasme populaire que remporte cette gauche révolutionnaire au moment même ou la forme la plus aboutie du capitalisme déstabilise le monde occidental ? Pourquoi cette gauche n’est elle pas aujourd’hui le réceptacle de ce mécontentement ?
Je poserais la question différemment si vous le permettez : la globalisation a conduit à l’émergence d’une classe nouvelle car intimement liée à ce capitalisme dérégulé et transnational, or le problème de la gauche c’est qu’elle envisage sa réponse dans un cadre national. On nous explique que les structures de classes ne peuvent plus être analysées avec le prisme du marxisme. La doxa actuelle exclue la représentation du monde ouvrier et agricole basée sur les XIX ° et XX° siècles et met en avant le fait que les villes sont majoritairement peuplées par les cadres. Cela n’est pas faux , mais ici aussi il est important de comprendre que la gauche a délaissé les classes populaires car elle est incapable d’en faire une lecture sociologique efficace (cela peut être ennuyeux lorsque il est nécessaire de cibler vos soutiens potentiels en vue d’une élection) et l’extrême gauche est conduite par des quadras ou quinquas blancs, souvent dans l’éducation nationale ou la formation, n’ayant aucun soucis liés aux fins de mois difficiles, absents des quartiers populaires. Les rares ouvriers présents sont issus des grandes entreprises…cet évitement dont je parle depuis le début de notre entretien provient donc aussi de la nature de classe de l’extrême gauche.
Si les formations politiques ne sont plus présentes dans les banlieues, qu’elle en est la raison : difficulté de lecture du phénomène ? Trop dangereux ? Pas assez porteur ?
Honnêtement, je ne suis pas capable d’être pertinent sur le sujet bien que je me pose souvent la question. Toutefois, en opérant une analyse de classe, plus que jamais le prolétariat est au centre des rapports de force de cette société et de sa possible libération, mais la bourgeoisie est tellement puissante qu’elle parvient à nier et faire nier l’existence de son opposant le plus dangereux. Il est vrai que l’on entend souvent parler de « salariat », de « travailleurs », mais ces termes perdent leur sens car on les dépossède de leurs caractéristiques marxistes, logiquement l’expansion du capitalisme devrait être concaténée à la démultiplication de son ennemi : le prolétariat. Or, la vision nationale de la politique proposée par le FDG que nous citions précédemment à titre d’exemple, implique une prise de pouvoir institutionnelle. Nous sommes loin des changements radicaux nécessaires à l’émergence d’une pensée et d’une action révolutionnaire. On veut bien crier « Vive la révolution ! » mais il convient d’y adjoindre rapidement « citoyenne ». Car l’objectif poursuivi est celui de peser de tout son poids dans les municipalités, les collectivités locales ou la députation. On veut rester dans la gestion.
C’est ce que vous nommez « stratégie de l’évitement » ?
Oui ! On évite le camp adverse afin d’éviter de poser les vrais problèmes qui par nature son systémiques. Stratégiquement c’est selon moi indéfendable car sur le terrain de la rhétorique, du discours, ils seront toujours battus par la réaction de type FN. Ecoutez Le Pen aujourd’hui : elle exprime une idée assez diffuse en affirmant que la question du mariage gay l’intéresse peu face aux enjeux sociétaux, politiques et économiques qui sont vitaux car nous sommes à la croisée des chemins.
M.Rouillan, à ce sujet, permettez moi une digression : j’ai rencontré pour mes propres recherches des terroristes d’extrême droite. J’ai demandé à l’un d’entre eux, citoyen italien, de m’expliquer en quoi l’idée de l’Etat Social soutenu par « Terza Posizione » (Troisiéme Voie) se différencie de l’extrême gauche. En effet, la vision d’un Etat Socialiste est-elle opposée à la vôtre ?
Votre question est intéressante, on peut aussi se demander quelle est la différence entre les solidaristes et les anarchistes ou entre les bolchéviks et les fascistes ? Je crois que les divergences sont avant tout liées au background politique. Par exemple, moi qui suis fondamentalement anti-impérialiste, je ne peux pas me retrouver dans l’idée d’un Etat conquérant et souverain où l’individu ne serait qu’un soldat politique. Mussolini prétendait que l’Italie était le seul pays anti-impérialiste. Donc oui, certains points sont communs mais dans des cadres culturels et idéologiques qui sont diamétralement opposés. Ok pour une Etat socialiste, mais nous n’avons pas la même conception de l’Etat ! Vous me donnez l’occasion de répéter qu’il ne peut y avoir de confusion entre Soral et moi pour être précis. Je n’ai rien en commun avec lui !
Considérez-vous qu’il puisse y avoir des formes de luttes efficaces dans le cadre du parlementarisme ?
Non, en ce qui me concerne, je n’y crois pas, c’est une absurdité, même si je suis membre d’un parti, le NPA, qui présente des listes aux élections, n’oubliez pas que j’ai passé 25 ans en prison. L’univers carcéral est un espace temps dans lequel on vit aussi les rapports internationaux, la conflictualité entre la vraie gauche et la fausse gauche. Croyez moi tout cela se vit intensément car vous savez qui collabore avec les formes de tortures institutionnalisées. Je n’oublie pas que le PCF avait émis l’idée d’une campagne contre l’emprisonnement perpétuel, cela n’est resté qu’une velléité, jamais rien de concret n’a vu le jour sur le sujet. Lorsque le nouveau code pénal a été soumis au parlement dans les années 1990 me semble t’il, ils l’on voté ! On peut également constater qu’aucune loi promulguée sous la présidence de Nicolas Sarkozy n’a été abrogée, ni LOPSI 2, ni aucune autre.
La mort de Margaret Thatcher ?
Champagne ! Plus sérieusement, c’est une saloperie ! Sans elle Reagan aurait été beaucoup plus isolé dans la construction du projet néolibéral global. Cela étant dit, on retrouve cette stratégie de l’évitement dans la polémique liée au financement de ses obsèques. Honnêtement vu l’ampleur des dégâts provoqués par cette femme, il serait plus utile pour tous de rappeler qui elle fut, le projet qu’elle a porté. La mort de Le Pen ne me procurera aucune joie, celle de la dame de fer est un motif profond de satisfaction. L’ennemi pour nous c’est beaucoup plus Thatcher que Le Pen !
Justement, ne ressentez vous pas qu’il existe un sentiment diffus dans l’opinion publique qui tend à accepter le débat sur une solution autoritaire à la crise protéiforme que nous vivons ?
Je préfère parler d’opinion populaire, plutôt que d’opinion publique. L’ensemble populaire a compris que les solutions se joueront soit à l’extrême gauche, soit à l’extrême droite. Or, la première, dans sa forme actuelle, est incapable de proposer une rupture. Cela est vrai aussi pour l’extrême droite, mais nous pouvons supposer qu’un sarkozysme radicalisé pourrait être accepté par « le peuple ».Rien ne se développe sur l’idée d’autonomie réelle dans les classes populaires.
Laurent Bouvet exprime, sur ces points, la même crainte que vous, à savoir, le danger qu’il existe à se désintéresser des classes populaires par les cadres de la gauche gouvernementale.
La différence absolue entre les cadres du PS Mitterrandien et ceux qui sont aujourd’hui aux commandes, réside dans la distorsion du cadre de référence. En 1981, on trouve bon nombre d’entre eux formés par l’héritage du CNR, les luttes anticoloniales –avec plus ou moins de morale…comprenez bien l’importance d’une telle matrice dans la construction représentative de la culture populaire. Terra Nova n’a rien à voir avec cela. Ceux qui accèdent au pouvoir aujourd’hui, n’ont participé à rien. Vous avez compris mon aversion pour le PS, mais il faut reconnaitre que certain d’entre eux ont lutté avec force, parfois avec le PC à leur côté. La génération actuelle est une gauche de papier. La gauche c’est avant tout une culture du conflit, car les classes luttent en permanence et la gauche sédimente sur ces luttes. Lorsque vous perdez cette culture, vous faites quoi ? Vous montez des dossiers.
Paradoxalement vous disiez vous-même que les gens sont intéressé par les débats politiques, les échanges, la discussion y compris sur les années de plomb ?
C’est un fait incontestable, je me rends très souvent sur invitation dans les débats qui font suite aux projections de documentaire, ou des pièces de théâtre et je peux vous dire que c’est plein à chaque fois. Dernièrement en Espagne les jeunes demandaient des conseils techniques, nous n’avons pas parlé mémoire ou histoire, mais technique : comment met-on en place des structures organisées ?Comment assurer la communication entre les groupes ? Comment la lutte armée entre-elle en contact avec un mouvement radical ? Voilà les questions que l’on m’a posées et j’y ai répondu avec la réserve que m’impose la loi. Il a fallu revenir aux années 1920 avec la CNT afin d’expliquer comment ce mouvement a répondu à ses propres problèmes d’organisation. Je vous garanti qu’ils veulent sortir de leurs inorganisations chroniques, ils en ont marre de subir et de ne pas être en mesure de répondre.
Vous êtes en train de me dire que les jeunes espagnols vous ont demandé des conseils opérationnels ?
Oui, je l’ai compris comme ça. Il y avait aussi des grecs, des italiens… ce mouvement insurrectionnaliste est beaucoup plus important que ce que j’imaginais et beaucoup plus autonome que ce qui se passe aujourd’hui à Notre Dame des Landes. A ce propos, voici ce qui m’a été rapporté sur les modèles organisationnels des comités qui animent la contestation contre le projet de construction éponyme. Vous allez comprendre mon étonnement, car les cadres quadra qui structurent ce mouvement, agissent comme s’ils suivaient des modèles qu’ils reçoivent : méthodes, plans ; ordres du jour, sont similaires malgré l’éloignement géographiques des comités disséminés sur le territoire. La question que je me pose par exemple est, qui a déterminé que les réunions commencent par les démontages des portables ? Un homme se lève, désigné par qui et pourquoi et ordonne « vous allez commencer par enlever les puces de vos cellulaires, puis les batteries… ». Mais qui a décidé ça ? Cela est la pire des situations, c’est une forme de parti politique autocratique et éminemment dangereux dans la mesure où vous n’en connaissez ni les dirigeants, ni les buts, ni la stratégie !
Votre aversion est motivée par une hiérarchie et une logique de parti qui reproduit les structures de pouvoir ?
Complètement ! Cela reproduit le groupuscule typique. Simplement il n’est plus localisé à Paris, mais hormis cette différence où est l’autonomie populaire ? Au nom de quoi s’arroge-t-on le droit de décider pour les autres ? Une organisation est toujours nécessaire. C’est un fait. Mais l’organisation doit être le corolaire d’un débat ou l’individu a le droit d’exprimer ses propres attentes, sa vision de la société ou plus prosaïquement sa vision de la lutte ….
…Pardonnez moi mais vous vous rendez bien compte que l’on peut vous objecter que le chef d’Action Directe c’était vous ?
Ce sont des conneries ! C’est une invention ! Il en va de même pour les Brigades Rouges en Italie. Je vous renvoie au texte de Ulrike Meinhof sur la structure du groupe qui démontre que la chance des groupes pratiquants la lutte armée c’est d’être de nombre réduit, cela rend possible la discussion des décisions. Même ETA pouvait le faire ! Il est possible de se mettre en opposition vis-à-vis du groupe et refuser de participer à un assassinat politique sans être exclu ou pariât. Lorsque nous n’étions pas d’accord, nous votions et celui qui ne voulait pas monter dans la voiture, il ne montait pas et il ne lui arrivait rien. Il n’était même pas exclu. Sans détermination vous ne pouvez pas mener une lutte efficace donc inutile de forcer la main à qui que ce soit…C’est le plus motivé qui agit !