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Hyperion #7 – Brigades rouges et cercles intellectuels parisiens

martin de pasquale

Source : œuvre de Martin de Pasquale

Cet article de Guillaume Origoni est le septième d’une série qu’il consacre à Hypérion, école de langues parisienne soupçonnée d’être liée aux Brigades Rouges, et d’avoir ainsi joué un rôle central dans la transnationalisation terroriste des années 1970. Le sixième épisode est disponible ici, la série complète là.

La bienveillance française vis-à-vis des activistes italiens issus de l’extrême gauche trouve en partie son mythe fondateur dans l’effervescence culturelle et politique des années post-mai 1968. S’il est impossible d’établir une connexion directe entre les diverses associations présentées comme émanations d’Hyperion (CRISE, Centre International de la Culture Populaire de la rue de Nanteuil ou encore le Collectif Unitaire pour la Libération des Prisonniers Politiques), les rapports informels, les échanges, entre intellectuels et militants français, italiens, allemands, palestiniens, basques ou turcs constituent des pratiques courantes confirmées par un ensemble de sources.

Il est par conséquent envisageable de comprendre l’agacement des magistrats, policiers et élus italiens, de voir avec quelle facilité ces échanges sont tolérés voire encouragés en France.

Gilles-DeleuzeCertains de ces intellectuels accèdent, parfois malgré eux, au statut de quasi-gourous. Felix Guattari, Gilles Deleuze ou encore Michel Foucault participent au maillage intellectuels des militants et activistes de la gauche extraparlementaire.

Jean-Marc Rouillan confirme cette proximité avec le milieu universitaire parisien :

« J’ai rencontré Félix Guattari de nombreuses fois avec une personne qui servait d’intermédiaire, une professeure d’Université, il s’agit de Geneviève Clancy. Il a été un intellectuel important pour les militants révolutionnaires, mais je le répète, nulle trace d’hégémonisation ou de manipulation dans nos échanges et encore moins d’Hyperion. De la même façon, lorsque vous évoquez le Centre International de la Culture Populaire de la rue de Nanteuil, mes souvenirs sont précis sur le sujet. Le Centre est une structure sérieuse, nous la fréquentons, il est constitué par des militants de la décolonisation avec qui nous sommes en convergence. Mais il s’agit d’une structure ouverte, qui n’a rien de clandestin ou d’occulte. En ce qui concerne le Collectif Unitaire pour la Libération des Prisonniers, cela ne me dit rien ou de façon vague. Mais permettez-moi de réagir avec clarté sur le sujet Hyperion : comment est-il possible, qu’au cours de ma clandestinité qui a duré dix ans, ma participation à des centaines de réunions, mes contacts avec Cesare Battisti, les PAC [Prolétaires Armés pour le Communisme], les anars, les autonomes, trois colonnes distinctes des BR… nous n’ayons jamais entendu parler d’Hyperion. Toni Negri nous ne nous en parle jamais. Nous nous débrouillons tout seuls pour la logistique liée à la clandestinité. Les proches de Scalzone ne nous en parlent jamais. Bruno Baudrillard, spécialiste de l’Italie n’en parle jamais. Nous apprenons l’existence de cette école après l’affaire Moro par la presse. Je suis pourtant en contact avec le professeur Negri, suite à l’introduction de son travail en France par Yann Moulier-Boutang. Negri pourrait être associé à l’image du « grande vecchio », en ce sens qu’il a une influence certaine sur les militants révolutionnaires de gauche en France, en Italie et dans une moindre mesure à l’échelle européenne. Mais, il s’agit d’une influence culturelle et politique. Il ne manipule, ni les autonomes, ni la gauche marxiste-léniniste. Il n’y a aucune portée opérationnelle de sa part. Je peux affirmer ceci car nous avons été proches. C’est un personnage très important. Les rapports avec Negri sont allés très loin, il m’invitera dans sa maison familiale à Venise. Ce n’était pas un ami, car c’est difficile de parler d’amitié avec quelqu’un comme Toni Negri, mais il y a avait un rapport affectif. Nous voulions faire une agence européenne d’information de l’autonomie grâce à la force de l’autonomie italienne. Nous avons travaillé longtemps, il faisait les liens avec les italiens qui arrivaient clandestinement en France. Les rencontres avaient lieu dans des appartements clandestins, rue Monge ou rue des Irlandais. Le matin de l’enlèvement de Moro il arrive et dit « Tout est fini !», il a du mal à expliquer. Avec le recul des années j’en ai déduit qu’il avait compris que suite à cette démonstration de force des Brigades Rouges, on assisterait rapidement à la déconstruction de la lutte. Nous étions exaltés par ce kidnapping et lui y voyait ou plutôt pressentait le  » coup irrémédiable » la disparition de la DC et du PC. Pour moi le coup est magnifique, nous sommes vengés de l’affaire Schleyer. »1.

Le témoignage de Jean Marc Rouillan est important car il recoupe les informations apportées par Fulvio Guatteri, Massimo Giraudo2 et un autre officier du renseignement italien3. Il permet également de comprendre la confusion qui est en train de s’installer en Italie entre les liens informels constitués par les rencontres avec les intellectuels et les activistes qui se sont scellés en France.

Toni Negri

Tout aussi important est le projet décrit par le leader d’Action Directe qui détaille la volonté de mise en relation des militants autonomes européens grâce aux contacts de Negri. Cet éclairage nouveau semble se heurter au théorème Calogero qui voit dans l’école de langue à la fois une superstructure faisant office de régie politique et un point de rencontre des groupes révolutionnaires européens et proche-orientaux. Nous pouvons alors légitimement poser la question suivante : si Hyperion a véritablement conduit son projet hégémonique sur le terrorisme européen depuis le début des années 1970, lors de la création par Corrado Simioni, Vanni Mulinaris, Duccio Berio, Françoise Tuscher, Innocente Salvoni du Superclan, pourquoi Toni Negri et Jean-Marc Rouillan, à qui l’on prête une proximité voire une participation dans Hyperion, auraient-ils participé à la mise en place d’une structure en tout points contraire à leur propre conception de la lutte armée ?

D’autres contradictions et imprécisions sont présentes dans l’empilement d’hypothèses qui relient les intellectuels français, Hyperion et les organisations terroristes. Elles sont parfois reportées des déclarations de repentis, reprises dans les colonnes des grands quotidiens puis débattues en commissions d’enquêtes parlementaires et, in fine, aboutissent à la contribution historiographique. Ce processus est courant et les déclarations des repentis tels, Antonio Savasta ou Michele Galati4 s’installent dans le temps devenant peu à peu des éléments historiques permettant d’échafauder des représentations erronées car basées sur des faits dont la légitimité ne réside parfois que dans leur répétition.

L’illustration de cette dynamique ne résiste souvent pas à de simples recoupements. Il est par exemple rapporté que : « Par l’intermédiaire d’Hyperion, il fut organisé dans un appartement bourgeois parisien, une réunion après l’affaire Moro, au cours de laquelle Mario Moretti fut acclamé comme le représentant de la plus efficiente organisation terroriste européenne. Réunion où furent peut-être également présents des représentants de la RAF, d’ETA, l’IRA et Action Directe »5. Cette « information » seule ne poserait pas problème si elle ne renforçait pas un corpus déjà bien constitué servant la théorie de la complicité voire la manipulation française. Or, cette composition de réunion est peu crédible. Les contacts entre AD et l’ETA et L’IRA sont pratiquement inexistants en 1978. Et il est tout à fait inconcevable, selon les membres d’Action Directe, que la RAF se soit déplacée dans un cadre régi par Hyperion, car elle acceptait uniquement la mise en contact avec des structures de lutte. Les terroristes Allemands étaient intraitables sur ces points. A ce sujet , Jean-Marc Rouillan nous a déclaré : « Il est vrai que Mario Moretti avaient les contacts avec la RAF et lors de son arrestation si Hyperion avait pris le relais, il n’y aurait pas eu deux ans de perdus pour rétablir ces mêmes contacts. En ce qui nous concerne il est certain que nous n’avons jamais eu vent de cette réunion. Cela est une ineptie 6».

Vanni Mulinaris a également souhaité revenir sur les affirmations de Michele Galati et Antonio Savasta :

« Lorsque j’avais essayé de comprendre l’origine des accusations me concernant, la source première citée était l’enregistrement d’un interrogatoire secret de Michele Galati par le Général Della Chiesa. J’ai alors demandé à mon avocat d’accéder à cet enregistrement et la réponse de Rome fut « Nastro cancellato e riutilizzato per altro » [« Cassette effacée et réutilisée pour autre chose »]… Je n’ai jamais connu ni Antonio Savasta, ni Michele Galati. De même, je n’ai jamais connu Toni Negri, qui par ailleurs n’a jamais non plus fréquenté l’école de langues Hyperion 7»

Notes

1 Entretien du 8 Avril 2013.Marseille.

2 Massimo Giraudo actuellement Colonel du ROS rencontré à Rome le 13 septembre 2013.

3 Le nom du fonctionnaire italien est une source réservée. Celui-ci nous a donné l’autorisation de reporter ses informations, mais son identité est encore soumise au secret.

4 Antonio Savasta et Michele Galati sont deux repentis des Brigades Rouges qui ont collaboré avec la justice italienne.

5 « Chi Manovrava le Brigate Rosse . Storia e misteri dell’Hyperion a Parigi, scuola e centrale del terrorismo internazionale » page 241. Silvano De Prospo & Rosario Priore. Ponte Alle Grazie.2011.Milan.

6 Jean-Marc Rouillan. Entretien du 8 juillet 2013.Marseille.

7 Courrier du 9 Octobre 2013

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