Hyperion #8 – Le Superclan de Corrado Simioni : embryon de l’école Hyperion ?

Source: inconnue.
Cet article de Guillaume Origoni est le huitième d’une série qu’il consacre à Hypérion, école de langues parisienne soupçonnée d’être liée aux Brigades Rouges, et d’avoir ainsi joué un rôle central dans la transnationalisation terroriste des années 1970. Le septième épisode est disponible ici, la série complète là.
L’élaboration, la construction, puis l’installation et l’écriture de ce qui semble constituer le mythe de la régie occulte parisienne représentée par Hyperion trouve ses fondements dans la création par Corrado Simioni en 1970 du Superclan. La dénomination Superclan est donnée à la structure clandestine par Alberto Franceschini et Renato Curcio. Corrado Simioni baptise son groupe sous le nom de « La Ditta », que l’on peut traduire par « La Firme ». L’établissement de l’activité politique du Superclan reste difficile à établir. Un faisceau de soupçons pèse toutefois sur Corrado Simioni comme planificateur et organisateur de la tentative d’attentat perpétré contre l’ambassade des Etats Unis à Athènes le 2 septembre 1970. Deux terroristes trouveront la mort suite à l’explosion prématurée de la bombe qu’ils transportaient dans leur automobile. Notons que Simioni niera tout lien entre le Superclan et l’attentat avorté d’Athènes et insiste sur la faible fiabilité des informations qui ont permis l’émergence des soupçons à son encontre :
« Je ne sais rien au sujet de l’attentat d’Athènes. C’est Michele Galati, un brigadiste repenti qui divulguera cette version, mais il n’est pas lui-même témoin d’une de mes hypothétiques déclarations, il ne fait que répéter ce que Renato Curcio aurait dit à mon sujet et qu’il tiendrait lui-même d’un autre intermédiaire 1».
Les éléments matériels permettant de relier le Superclan à la violence politique sont, à ce jour, inexistants. La personnalité singulière de Corrado Simioni, la lecture de certains magistrats italiens faisant de liens sociaux des liens occultes, les témoignages de brigadistes repentis, ont vraisemblablement contribué à l’établissement de la mythologie du Superclan et donc d’Hyperion.
Les témoignages de repentis ou de dissociés ont permis aux juges, aux députés, puis aux journalistes et enfin aux historiens cette écriture particulière des relations supposées entre la France et l’Italie des années de plomb. Les dépositions allant dans ce sens sont pourtant critiquables tant sur le plan qualitatif que quantitatif.
Sur la plan quantitatif elles sont principalement le fait de : Alberto Franceschini, Antonio Savasta, Michele Galati. Aucun autre Brigadiste de premier plan n’accréditera, même partiellement, cette thèse.
Sur le plan qualitatif : aucune information mise à disposition de la police et des magistrats ayant suivi la piste Hyperion, n’a pour origine un témoignage direct. Les degrés de séparation entre la source et l’information rendent le résultat de ces interrogatoires difficiles à utiliser dans le cadre d’une enquête journalistique, et à plus forte raison dans celui d’une recherche scientifique.
L’entretien que nous avons pu conduire avec Fulvio Guatteri, officier des Renseignements Généraux , puis de la Direction de La Surveillance du Territoire en poste à Rome renseigne avec plus de précision et de distance sur cet question :
« Fulvio Guatteri : Quels sont les repentis auxquels vous faites référence pour me reporter ce qui ressort des enquêtes judiciaires et parlementaires ?
Guillaume Origoni : Je pense que l’on peut citer Michele Galati et même Alberto Franceschini qui est d’ailleurs à l’origine de ce que nous pourrions nommer le mythe fondateur ?
FG : Oui, c’est le premier à tracer des théories et des grands dessins, c’est un personnage curieux (NDLR : il est fait référence ici à Alberto Francschini), ni repenti, ni véritablement dissocié, très critique envers quelques uns de ces compagnons de route et incontestablement un homme intelligent. Mais que peut savoir Franceschini ? Il est « out » en 1975, il n’a plus les rênes des Brigades Rouges, il est emprisonné. Je ne doute pas qu’il soit de bonne foi lorsqu’il collabore avec Giovanni Pellegrino ou Giovanni Fassanella. Il reste toutefois un fait incontestable : il n’a plus aucun rôle après son arrestation à Pinerolo et relate des souvenirs sur lesquels on a beaucoup fantasmé. Il en va de même pour les déclarations de Galati, je les ai lues avec attention. Elles sont imprécises et de seconde ou de troisième main. Il entend des choses, il parle des contacts palestiniens, il alimente pendant longtemps le mythe FPLP, alors que nous savons que cette piste est erronée. J’y ai moi même cru pendant longtemps jusqu’à ce qu’un « officier de renseignement italien »2 me prouve qu’il s’agissait du Fatah… Galati est une source qui ne fait que répéter, il n’est pas à l’origine des renseignements et dans une structure cloisonnée, comme l’étaient les Brigades Rouges, cela affaiblit considérablement l’importance des informations que vous êtes en mesure de fournir.3»
Un activiste, accusé de terrorisme en France, atteste également de la personnalité volubile d’Antonio Savasta :
« C’est le militariste typique. J’ai fait partie d’un groupe qui a tué et il est inutile de rentrer avec vous dans un débat moral, mais je peux affirmer que lorsque nous tirions, notre logique était purement politique. Savasta se vantait souvent de comment il avait tué ou avait fait tuer untel ou untel. Il parle beaucoup trop pour un militant révolutionnaire, il n’est pas fiable.4».
L’explication de ce que fut le Superclan est probablement moins opaque que les représentations qui en ont été faites. Le PCI est le grand parti de gauche depuis la fin de la guerre, il est une force politique et culturelle croissante à côté de laquelle les autres partis de gauche et notamment le Parti Socialiste Italien (PSI), tentent d’exister institutionnellement. Le Superclan est né de cette matrice socialiste.
Suite à l’attentat de Piazza Fontana, les modalités de luttes politiques sont débattues. La logique d’affrontement armé est au centre des discussions qui animent la gauche extra-parlementaire italienne et ce choix sera entériné lors des congrès de Chiavari et de Pecorile qui se sont respectivement tenus durant l’automne 1969 et août 1970. Le Superclan est effectivement une structure clandestine qui se crée dans ce contexte de paranoïa lié à la crainte de coups d’Etat, de solutions autoritaires, de menaces néo-fascistes. Le choix de la clandestinité est la conséquence de ce contexte.
La structure Superclan opte pour la clandestinité à des fins d’autoprotection. La stratégie de la tension est en cours et les attentats conduits par la droite et l’extrême droite catalysent cette volonté d’agir avec discrétion. Les éléments du PSI qui lui donnent naissance sont influencés par cette lecture du contexte social et politique. Aucune action concrète de lutte armée ne peut être imputable au Superclan qui est avant toute chose un regroupement d’intellectuels adhérents pour la plupart au parti socialiste. Le départ pour Paris marque la rupture et l’abandon de l’idée de lutte armée par le groupe de Corrado Simioni5.
Prospero Gallinari, membre du commando Moro et un temps rattaché à la structure, a évalué que la dissolution du Superclan était effective au cours de l’année 1972.
Notes
1 L’Espresso : 13 janvier 1985.
2 Le nom du fonctionnaire italien est une source réservée. Celui-ci nous a donné l’autorisation de reporter ses informations, mais son identité est encore soumise au secret.
3 Entretien du 20 juin 2013. Rome.
4 Source réservée. 2012. Paris.
5 Source réservée. Entretien du 21 juin 2013.Rome.