Hyperion #9 – Que nous apprend le fonds d’archive Grimaud ?

Source : œuvre de Stefano Bonazzi
Cet article de Guillaume Origoni est le neuvième d’une série qu’il consacre à Hypérion, école de langues parisienne soupçonnée d’être liée aux Brigades Rouges, et d’avoir ainsi joué un rôle central dans la transnationalisation terroriste des années 1970. Le huitième épisode est disponible ici, la série complète là.
En Italie, la dernière commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Moro a tenté de revenir sur tout ou partie des pistes évoquées dans notre série d’articles (ainsi que sur de nombreuses autres hypothèses).
Dans son rapport final, rendu le 7 décembre 20171, aucune avancée notable n’apparait, et ce, malgré la volonté manifeste des membres de la commission de voir dans « l’affaire Hyperion », un mystère encore à résoudre.
Cette absence d’éléments tangibles, qui pourraient permettre l’amorce d’un véritable travail académique, ne ralentissent pourtant pas rumeurs et autres rationalisations à postériori. C’est donc naturellement que rejaillissent dans le débat public des réflexes que l’on peut assimiler au complotisme. Ces réactions épidermiques opèrent tant dans la sphère politique que journalistique mais également académique.
« Si nous ne trouvons rien, c’est que cela est bien caché et notamment dans les archives des services de renseignements français ! », entend-on régulièrement au sein de ces différents cercles… qui souvent se nourrissent l’un l’autre.
S’il est indéniable que l’Italie met à disposition de ses députés, ses chercheurs, ses journalistes? voire de ses simples citoyens? un ensemble de fonds d’archive pléthorique, l’Etat français est, lui, moins enclin à délivrer un accès à la consultation de son fonds national et il est parfois difficile d’obtenir les dérogations nécessaires au bon déroulement des recherches entreprises. Cette tendance à l’hermétisme français accentue la défiance des acteurs italiens qui soutiennent « la piste française ».
Là où le problème transalpin réside plutôt dans la profusion des documents mis à disposition, souvent de façon décentralisée, comme c’est coutumier en Italie, et donc dans la difficulté de traitement et d’analyse de plusieurs millions de pages, en France c’est plutôt l’accès et la qualité parfois médiocre des ressources mises à disposition qui posent problème.
Cela reste toutefois possible avec la persévérance nécessaire et l’aide d’une l’université ou d’une rédaction.
Nous avons donc pu avoir accès au fond d’archive du préfet Maurice Grimaud dont une partie (il s’agit en l’espèce de sa correspondance et de ses notes privées) est conservée au Centre d’Histoire de Sc Po ; alors qu’une autre est déposée aux Archives Nationales de Pierrefitte et recense certains documents officiels.
Nous nous sommes concentrés sur l’affaire Hyperion, et plus généralement sur les relations entre la France et l’Italie durant les années de plomb.
En 1983, Maurice Grimaud est le directeur de cabinet de Gaston Deffere, ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation.
Il rédige une note datée du 24 mai 19832 adressée au directeur de la Direction Centrale des Renseignements Généraux, ainsi libellée :
« Objet : Giovanni Mulinaris et Hyperion. Le ministre a été plusieurs fois sollicité d’intervenir en faveur de Giovanni Mulinaris qui, comme vous le savez, a été arrêté en Italie le 2 février 1982 dans le cadre d’opérations anti-terroristes italiennes et qui, depuis lors, est détenu au secret. Afin d’apprécier la suite éventuelle que M.Defferre pourrait donner à ces démarches, veuillez-me faire parvenir une note sur Mulinaris depuis son installation en France. »
Le 6 juin, le résultat du travail de la DCRG est transmis à Maurice Grimaud3. Le document retrace le parcours de Giovanni Mulinaris en Italie jusqu’à son installation en France. A la lecture de cette synthèse typique du travail des services de renseignements, il apparaît qu’Hyperion n’a jamais eu d’autres fonctions que celles qui figuraient dans le dépôt des statuts de l’association, comme en atteste cet extrait :
« la presse italienne et française a publié un certain nombre d’articles sur l’association Hyperion, école installée 27 Quai de la Tournelle Paris 5è, qui faisait ressortir le rôle de « couverture » qu’elle jouait en faveur de l’état-major des Brigades Rouges. Ces informations corroboraient les suspicions que les services de police italiens formulaient à l’époque contre cette école de langues. Une enquête très approfondie effectuée et notre service établissait, certes, que cette association régie par la loi 1901, avait été créée et fonctionnait dans des conditions irrégulières (il s’agissait en fait, bien que le bureau soit constitué par des ressortissants français, d’une association étrangère) mais ne mettait nullement en évidence des éléments de nature à confirmer les soupçons de la police italienne. De même, aucun renseignement n’était recueilli pouvant permettre d’impliquer GM (NDLR : Giovanni Mulinaris) dans des activités terroristes, tant en France qu’en Italie. »
L’école de langue Hyperion est l’un des nombreux mythes qui constellent l’inconscient collectif d’une nation durement touchée par le terrorisme pendant plus de vingt ans. Il en existe d’autres dont nous avions fait sommairement cas dans la presse française ces dernières années.
Il est d’ailleurs surprenant de constater que les « pistes internationales » dans la matrice du terrorisme italien de la stratégie de la tension et des années de plomb, trouvent parfois un écho favorable jusque dans les universités françaises.
Il ne s’agit pas ici de nier la volonté de domination qui existe dans les relations internationales, pas plus que l’influence ou le non respect des souverainetés nationales auxquelles se livrent clandestinement les services de renseignements.
Il convient toutefois de ne pas perdre les repères indispensables au respect de la méthodologie la plus élémentaire. Nous n’affirmons pas que les complots n’existent pas. Nous exigeons par contre que ceux qui diffusent l’affirmation de l’existence d’une conspiration apportent la preuve des manœuvres qu’ils dénoncent.
En Italie, certaines maisons d’éditions se sont spécialisées dans la publication de ces « enquêtes interdites » qui apportent de « nouvelles révélations ». C’est d’ailleurs un marché prospère qui permet à certains auteurs (journalistes, députés et parfois universitaires) de tenir diverses conférences voire d’intervenir dans les écoles.
Le prix qu’impose ce marché génère pourtant une inflation méthodologique et pédagogique dont les jeunes générations sont les premières victimes.
Notes
1 Commissione parlamentare di Inchiesta sul rapimento e sulla morte di Aldo Moro, Camera dei deputati – Senato della repubblica – XVII legislatura – Doc. XXIII N. 29
2 Cabinet du Ministère de l’Intérieur, de Maurice Grimaud à l’attention de Monsieur le Directeur de la Direction Centrale des Renseignements Généraux, Confidentiel, 24 mai 1983. Fond d’Archive Maurice Grimaud, côte 19860185/3
3 Monsieur le Directeur de la Direction Centrale des Renseignements Généraux à l’attention de monsieur le Ministre de l’Intérieur et la Décentralisation, Cabinet, Fond d’Archive Maurice Grimaud, côte 19860185/3, note DCRG/Info 2/6/R/1148/H998