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Hyperion #5- Des Français impliqués dans l’affaire Aldo Moro ?

Travail d’Andrew Baines.

Cet article de Guillaume Origoni est le cinquième d’une série qu’il consacre à Hypérion, école de langues parisienne soupçonnée d’être liée aux Brigades Rouges, et d’avoir ainsi joué un rôle central dans la transnationalisation terroriste des années 1970. Le quatrième épisode est disponible ici, la série complète là.

Les questions posées par les révélations au sujet de l’école Hyperion, en provenance de sources aussi diverses que légitimes, placent l’Etat français en situation de soupçon de complicité avec le terrorisme italien des années de plomb. Il convient de traiter cette question avec la plus grande prudence. Cependant, une lecture attentive des représentations du théorème Hyperion, nous permettra, peut être, d’établir la singulière intensité des variations de sa fonction.

Alberto Franceschini définit l’école comme chambre de compensation des services secrets de l’Est et de l’Ouest1, mais également comme relevant de la technostructure du terrorisme international2.

Les conclusions de l’enquête parlementaire italienne sur les archives Mitrokhin définissent Hyperion et Kyron (le nom de l’école de langues suite à la dissolution d’Hyperion) comme « centres culturels français »3, alors que l’un des membres de cette commission déclarera individuellement que les services secrets italiens attestent de la présence d’agents du KGB au sein de l’école4.

Une note de la préfecture de Rome présente Hyperion tel « un des centres les plus importants de la CIA en Europe »5.

Le journaliste Giovanni Fasanella, pense qu’il s’agit « d’une régie occulte, du cerveau politique des Brigades Rouges6».

L’historien Giuseppe De Lutiis écrit qu’Hyperion fait partie d’une « connivence internationale ayant aboutie à la mort de Moro »7.

Pour le juge Priore, il s’agit d’une « centrale du terrorisme international agissant grâce aux liens tissés avec le milieu associatif des intellectuels de la gauche parisienne. La fonction logistique de cette superstructure est dédiée également au trafic d’armes et à l’établissement des liens avec l’OLP»8.

Pietro Calogero, juge de Padoue, convaincu de son théorème, voit dans Hyperion la structure d’accueil des leaders de l’autonomie italienne9.

Lanfranco Pace10 réfute le rôle attribué à l’association du quai de la Tournelle mais propose une clé de lecture faisant d’Hyperion « un point de rencontre entre organisations du tiers monde et la gauche française. Il n’est pas impossible qu’elle fût protégée quelque temps par le Ministre de l’intérieur ou le Président »11

Jean Pierre Pochon, jeune policier des renseignements généraux en 1979, émet l’idée que l’école « servait de couverture aux italiens qui avaient comme projet de se réfugier en France.12 ».

Il est notable que ces déductions ne se fixent pas dans le temps. Elles évoluent, disparaissent, refont surface, au gré des publications. Elles se basent sur des enquêtes avortées il y a plus de 30 ans. Ces théories sont par contre pratiquement toutes reliées à l’affaire Moro. En effet, les juges italiens dont nous avons suivi les publications, n’ont de cesse d’impliquer l’Etat français dans l’enlèvement et l’exécution de l’artisan du compromis historique.

Les arguments utilisés semblent pourtant méthodologiquement critiquables. L’exemple le plus emblématique est celui de la multiplication des déclarations ayant une source identique et autoréférentielle. Le juge Priore a déclaré  avoir été informé au cours des commissions rogatoires conduites en France en Février 1978 de la séquestration d’Aldo Moro. Ces déclarations dans la presse donneront lieu à de vives critiques, notamment, par les membres des enquêtes parlementaires : 

« Ces déclarations sont d’une extrême gravité et l’alternative qui en découle est simple, ou le Juge Priore dément, ou bien, s’il a réellement prononcé ces mots repris entre guillemets dans la presse nationale, cela signifie qu’en France l’on savait qu’Aldo Moro serait kidnappé. Si tel est le cas, nous sommes face à 3 possibilités : les services de renseignements français savaient, ou alors ce sont les services italiens qui étaient au courant, ou bien encore, c’était la fameuse structure Hyperion (…) Le juge Priore ne peut pas faire de telles déclarations, reprises dans la presse, en vertu de l’autorité et la légitimité qu’il représente après avoir conduit les enquêtes les plus importantes de ce pays en matière de terrorisme ainsi que sur l’affaire Moro (…) j’insiste donc pour qu’il soit entendu par cette commission. »13.

L’explication que Rosario Priore donnera en novembre 1999 devant la commission sur ces révélations sera imprécise : « je ne me souviens pas avec exactitude, mais il fut dit à moi-même et à M. Imposimato, que la rumeur d’un rapt – je ne puis affirmer qu’il s’agissait précisément de Moro ou d’un autre homme politique italien – se faisait de plus en plus manifeste avant la réalisation du kidnapping et l’exécution de Moro, c’est-à-dire au cours de l’hiver 1977. Cela nous fut dit à l’intérieur d’un siège de police française » 14. Interloqué le Président de la commission d’enquête, Giovanni Pellegrino, demande une clarification :

Giovanni Pellegrino. « Si ce que vous dites est vrai, est-il seulement possible que nos propres services de sécurité ne soient pas entrés en possession d’un tel renseignement par l’intermédiaire des services français qui sont nos alliés ? Cela me surprend que les Français ne nous aient rien dit ?»15

Rosario Priore : « Afin de pouvoir répondre précisément à cette question, il est important de comprendre quelle fiabilité donnaient les Français à cette information. Je pense qu’ils n’ont pas jugé bon de vérifier la source de cette rumeur, car à l’époque, il était courant d’entendre qu’un homme de la Démocratie Chrétienne ou, plus simplement, qu’un homme politique serait enlevé »16.

Hyperion n’est pas cité, mais le rôle de l’Etat français est ambigu dans les déclarations de M.Priore. Ambiguïté dont il fait lui-même preuve en affirmant qu’il «ne se souvenait plus précisément si sa source parlait d’Aldo Moro ou d’un autre homme politique». Il est d’ailleurs étonnant que Giovanni Pellegrino n’ait pas relevé un tel déséquilibre entre l’importance de l’affirmation et la qualité argumentative utilisée pour la justifier.

Les liens supposés entre l’Etat Français et Hyperion.

Au travers des suspicions dirigées contre Hyperion, l’Etat français est mis en cause. L’Etat en tant qu’entité réceptacle de la nation et de sa souveraineté. Les distorsions de cadre de référence sont fréquentes entre Français et Italiens et ces derniers tendent souvent à surévaluer les prétentions hégémoniques des premiers.

Sans prise de conscience de cette distorsion, il est difficile de comprendre l’atout constitué par les zones d’ombres qui ont prospéré en périphérie de l’école de langues. Il est fort probable que certains, animés par la passion du chercheur et le désir de l’enquêteur, aient confondu la partie avec le tout.

Les protections attribuées à Hyperion ne semblent pas être purement fantasmatiques. L’abbé Pierre a défendu avec vigueur les membres de cette école. Francois de Grossouvre a vraisemblablement reçu Jean-Louis Baudet.

Le procédé utilisé pour attribuer d’hypothétiques protections aux membres de l’école est parfois proche de l’intoxication. Par exemple, s’agissant des actions que l’abbé Pierre a menées auprès des autorités de la Démocratie Chrétienne pour disculper M. Salvoni des soupçons qui pesaient sur sa personne suite à l’exécution d’Aldo Moro, les descriptions qui ont été faite de l’abbé mettent en avant son amitié avec « le Général de Gaulle qui est née durant la résistance » ou « de la bienveillance réciproque qui exista avec François Mitterrand ». La translation qui s’est opérée, enquête après enquête, livre après livre, article après article, a contribué à faire de l’abbé Pierre un homme de l’ombre dont l’essentiel du pouvoir était occulte. Il convient de rappeler que ses prises de positions ont été faites dans la plus totale transparence. Rappelons également que le seul témoignage mettant en cause M. Salvoni émane d’un barman qui l’aurait reconnu peu de temps après l’enlèvement d’Aldo Moro. Il ne fut corroboré par aucun des membres du commando qui exécutèrent les cinq hommes constituant son escorte. Rappelons aussi que la défense de Vanni Mulinaris par l’abbé Pierre entre 1982 et 1984 a été publicisée afin de la rendre la plus efficiente possible. Grève de la faim dans la cathédrale de Turin en mai 198317, tribune à la télévision18, publication d’un livre19, déclaration en direction du parlement européen20, constituèrent la stratégie communicationnelle de l’abbé.

Les informations qui ont servi à tracer le portrait de M. de Grossouvre ont également eu tendance à dépeindre cet homme en omettant des précisions importantes. Ces approximations, volontaires ou non, obscurcissent un peu plus cette personnalité pourtant déjà controversée. Il a très souvent été écrit que François de Grossouvre était à la tête de « La Rose des vents », nom du stay-behind français. Cette affirmation lui confère un pouvoir qui fut en réalité plus limité dans ce domaine, car il en était le chef uniquement pour la région Rhône Alpes21. Nouvelle translation permettant de faire d’un « capitaine », un « général ». De fait, le stay behind français a eu une activité extrêmement réduite et ne constitua en rien un danger pour l’ordre démocratique en France.

Aussi, l’enquête sur le trafic d’armes entre les Brigades Rouges et l’OLP, qui permit aux enquêteurs de remonter jusqu’à Jean-Louis Baudet, n’a jamais pu mettre en exergue une preuve tangible entre ce dernier et CRISE puis entre CRISE et Hyperion et donc entre Hyperion et la cellule élyséenne. Ces réseaux rhizomiques semblent n’être que des constructions basées sur d’intimes convictions elles-mêmes fondées sur des représentations culturelles distordues et des raccourcis analytiques.

Notes

1 Sténo 50. Page 14 de la commission d’enquête parlementaire du 17 Mars 1999 sur le terrorisme ”et sous la présidence de Giovanni Pellegrino.

2 Sténo 50. Page 25 de la commission d’enquête parlementaire du 17 Mars 1999 sur le terrorisme et sous la présidence de Giovanni Pellegrino.

3 Commission d’enquête Mitrokhin steno 377 page 285.23 Mars 2006.

4 Commission d’enquête Mitrokhin steno 86 page 43.8 mars 2006.

5 Commission Moro volume 28 page 533-538.

6 Entretien de Février 2012.Rome.

7 “ Il Golpe di via Fani ”. Giuseppe de Lutiis. Editions Sperling & Kupfer. 2008.

8 Intrigo Internazionale. Giovanni Fasanella et Rosario Priore .Chiarelettere.2010.Milan.

9 Terrore Rosso. Dall’autonomia al partito armato. Pietro Calogero.Carlo Fumian.Michele Sartori.Editions Laterza.

10 Lanfranco Pace est membre de l’autonomie italienne. Proche de Franco Piperno, il fondera avec ce dernier et d’autres membres de l’autonomie la revue Metropoli. Il fera partie de la vague d’arrestation du 7 avril 1979 à l’initiative du juge Calogero. Réfugié en France, il y sera protégé par la doctrine Mitterrand pendant plus de 15 ans.

11 Sténo 67.Page 18 de la commission d’enquête parlementaire du 3 mai2000 sur le terrorisme et sous la présidence de Giovanni Pellegrino.

12 Entretien du 30 avril 2013.Paris.

13 Sténo 36 page 3. Intervention de M.Gualtieri membre de la commission d’enquête parlementaire du 23 juin 1998 sur le terrorisme. Interview d’Alberto Clo sous la présidence de Giovanni Pellegrino.

14 Sténo 56.Page 13 de la commission d’enquête parlementaire du 10 novembre 1999 sur le terrorisme. Interview de Rosario Priore sous la présidence de Giovanni Pellegrino.

15 Sténo 56.Page 13 de la commission d’enquête parlementaire du 10 novembre 1999 sur le terrorisme. Interview de Rosario Priore sous la présidence de Giovanni Pellegrino.

16 Sténo 56.Page 13 de la commission d’enquête parlementaire du 10 novembre 1999 sur le terrorisme. Interview de Rosario Priore sous la présidence de Giovanni Pellegrino.

17 L’Abbé Pierre : une vie de combats. Les dates clés. Fondation Emmaüs.

18 Emission « Résistances » du 3 Novembre 1983. Antenne 2.

19 Le dossier Mulinaris. Henri Groues/Alian Sbatier. Edition Bayard/Le centurion.1985.Paris.

20 Conférence de presse du 20 mai 1984. Archives Gaetano Arfé au Parlement Européen. Enveloppe 2. Partie 5. Document 16.Intitulé : Diritti umani.Florence 2009-2010.

21 Fréderic Laurent. Entretien du 11 juillet 2013.

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