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Pourquoi les Américains pauvres ne votent pas à droite

Première parution : Joël Gombin, « Pourquoi les Américains pauvres ne votent pas à droite, ouwhat’s the matter with Thomas Frank ? », L’Espace Politique, 23 | 2014-2, mis en ligne le 04 juillet 2014, consulté le 09 juillet 2014. 

La parution du What’s the matter with Kansas? (Frank, 2004a) du journaliste états-unien Thomas Frank, puis sa traduction en français sous le titre Pourquoi les pauvres votent à droite (Frank, 2013), ont constitué des événements dans les vies intellectuelles états-unienne et française. L’auteur y dresse le constat d’une forme de réalignement électoral radical, selon lequel aux États-Unis, les citoyens les plus pauvres se seraient mis à voter massivement en faveur du Parti républicain. La cause en serait à rechercher du côté d’une stratégie des Républicains visant à déplacer le combat électoral sur le plan des enjeux culturels et moraux (avortement, peine de mort, port d’armes, droit des homosexuels…), afin de piéger les pauvres dans une sorte de « fausse conscience » qui les conduirait à voter contre leurs intérêts économiques objectifs. Même si Frank n’insiste guère sur ce point, d’autres poursuivront son argument en avançant qu’à l’inverse, le vote en faveur des démocrates serait désormais le fait des plus aisés, sur les côtes Est et Ouest – l’équivalent de notre « gauche caviar » ou, pour reprendre le terme forgé par Brooks et importé avec succès en France, les « bobos » (Brooks, 2010; pour une critique de cette notion, voir notamment Tissot, 2013). La manière dont Frank décrit l’évolution de la vie politique états-unienne s’inscrit plus largement dans le récit de l’opposition entre « Red states » (États républicains) et « Blue states » (États démocrates), c’est-à-dire d’une guerre culturelle entre deux Amériques qui prend une forte dimension territoriale.

La thèse de Frank a reçu un profond écho en France – sa traduction a été publiée par Agone, un éditeur engagé à l’extrême gauche, et le Monde diplomatique a réservé un accueil chaleureux à son travail en publiant plusieurs de ses articles (Frank, 2004b, 2012). Certains chercheurs ou intellectuels se sont appropriés son approche ; ainsi par exemple de Gaël Brustier (Brustier, 2013 ; Brustier, Huelin, 2011), fin analyste de la « guerre culturelle » à la française, clairement inspiré des travaux de Frank. Notons au passage que les débats états-uniens dont nous rendons compte ici ont évidemment connu une transposition en France, au travers de la question du vote pour le Front national, de la thématique d’une supposée droitisation de la société ou de certains groupes sociaux (Schweisguth, 2007 ; De Waele, Vieira, 2011), de la « politique des deux axes » (axe socio-économique vs. axe culturel) (Tiberj, 2012), du débat autour du fameux « rapport Terra Nova » et de l’émergence en réaction de la « Gauche populaire » (Baumel, Kalfon, 2011 ; Bouvet, 2012).

La science politique universitaire nord-américaine a en revanche reçu de manière très critique What’s the matter with Kansas (voir par exemple Bartels, 2006 ; Gelman, Shor, Bafumi, Park, 2007 ; pour une approche longitudinale en français de la question, voir Gallard, 2009). Le livre d’Andrew Gelman que nous recensons ici (Gelman, 2010) s’inscrit dans le débat ouvert par Frank (mais aussi, entre autres, par David Brooks, 2010). Professeur de science politique et de statistiques à Columbia, Andrew Gelman est l’un des politistes les plus en vue de la scène universitaire nord-américaine et même mondiale. Sa position dans ce débat est simple : la thèse de Frank ne repose sur aucune base empirique ; les riches continuent de soutenir majoritairement les candidats républicains, tandis que le parti démocrate demeure le parti des plus pauvres. Ce qui fait en revanche tout l’intérêt de ce livre remarquable, ce sont les données utilisées, et surtout la méthode que Gelman utilise pour les analyser.

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