Quand l’extrême droite radicale pense une écologie radicale

Peinture d’Adam Elsheimer, « Ceres et Stellio », 1605.
Première version : Stéphane François, « L’écologie est devenue un enjeu de l’extrême droite occidentale depuis les années 2000 », Le Monde, 29 août 2019.
Le tueur d’El Paso, ainsi que Brendan Tarrant, l’auteur du massacre de Christchurch en Nouvelle Zélande, ont tous deux justifié leurs actes par une référence à l’écologie. Tarrant est allé plus loin en promouvant un « écofascisme » dans son manifeste. De fait, il existe une écologie d’extrême droite depuis la fin du XIXe siècle, notamment en Allemagne. Cette forme d’écologie est donc plus ancienne que le national-socialisme. Certains nazis, tels leur chef Adolf Hitler, le ministre de l’agriculture et général SS Richard Walther Darré, ou le numéro deux du régime Rudolf Hess, se sont inquiétés de préserver la nature.
Cette forme d’écologie n’a pas disparu avec la fin du nazisme, bien au contraire : certains cadres dénazifiés, comme le pasteur Werner Haverbeck et Renate Riemeck, médiéviste et ancienne secrétaire du SS Johann von Leers, en firent de nouveau la promotion dans les années 1970. À la même époque, en France, un ancien SS, Robert Dun (de son vrai nom Maurice Martin) a été l’un des pionniers de cette forme d’écologie. En 1995, le vieux militant antisémite et rescapé de la Collaboration publie Non ! L’écologie n’est pas de gauche. Nous pourrions multiplier les exemples, français, européens ou même américains.
Pourtant, l’écologie ne devient réellement un enjeu majeur de l’extrême droite occidentale qu’au début des années 2000. Durant longtemps, l’écologie fut considérée dans ces milieux comme une idéologie de « gauchistes » ou de « hippies ». Les écologistes étaient parfois qualifiés à l’extrême droite du doux qualificatif de « pastèques », c’est-à-dire vert à l’extérieur et rouge à l’intérieur…
Pourtant, les thématiques écologistes devinrent plus fréquentes dans les années 1990, où elles fusionnèrent avec des thématiques classiques de l’extrême droite, dont celle du racisme. Tarrant et le tueur d’El Paso reprennent l’idée que l’écologie est surtout une écologie des populations : les groupes ethniques sont perçus comme des entités essentialisées se partageant des territoires qui leur seraient propres, eux-mêmes conçus tels des écosystèmes. En ce sens, leur écologie est une écologie des populations, régie par une mixophobie, un rejet de l’Autre, de l’Étranger qui doit rester dans son environnement naturel, de la même façon que les espèces animales et végétales ont leur biotope.
Cette vision de l’écologie cache souvent un système ségrégationniste, tout mélange/contact entraînant une perte de la différence – voire vers une politique anti-immigrationniste, les immigrés extra-européens devant retourner « chez eux » pour retrouver « leurs racines », voire pour les plus racistes de ces ethnodifférentialistes, leur « environnement naturel ». Cette écologie des populations postule logiquement l’incompatibilité des cultures en elles.
On trouve également dans cette forme d’écologie une promotion de l’écologie radicale et de l’antispécisme, qu’on trouve également dans les autres formes d’écologie. Là encore, il s’agit d’une vieille tradition à l’extrême droite. L’une de ses théoriciennes fut la militante néonazie française, d’origine grecque, et convertie à l’hindouisme, Maximiani Portas, plus connue sous le nom de Savitri Devi. Ardente néonazie, elle fut également une militante écologiste radicale, publiant plusieurs ouvrages sur le sujet, dont Impeachment of Man, traduit récemment en français (sous le titre La mise en accusation de l’homme, éditions ars Magna, 2010), qui fait la promotion du malthusianisme et de la réduction de la population mondiale.
Si l’écologie d’extrême droite est presque toujours radicale, à la fois dans sa promotion d’une écologie profonde et dans celle d’une écologie des populations, elle n’est que rarement violente. En effet, les militants d’extrême droite n’ont guère tenté de se rapprocher des « écoterroristes », tels qu’on peut en voir aux États-Unis. Il y a eut quelques tentatives, qui ne se sont pas concrétisées. Ainsi, dans les années 1990, le groupuscule français Nouvelle Résistance a tenté de copier les méthodes des activistes Américains d’Earth First ! et a essayé de prendre le contrôle de la section française, sans grand succès, cette section n’étant que peu active. Le militantisme violent de l’extrême droite se nourrit surtout, non de l’écologie en soi, mais de la peur de l’effondrement civilisationnel occidental à la suite du « Grand remplacement ». Pour le dire autrement, le passage à l’acte n’est pas le fait d’une référence à l’écologie, mais la conséquence logique d’une idéologie de la « guerre civile raciale » : il s’agit de protéger la « race blanche ».
Pour autant, l’écologie d’extrême droite n’est pas coupée des autres tendances vertes. Dans les années 1990, des militants d’autres tendances de l’extrême droite, notamment la Nouvelle Droite, devinrent des membres du Mouvement Écologiste Indépendant d’Antoine Waechter. Ce fut le cas du militant identitaire Laurent Ozon dans les années 1990 et 2000. Il anima entre 1994 et 2000 une revue, Le recours aux forêts, expression de l’association Nouvelle Écologie, qui vit la participation de plusieurs figures importantes du mouvement écologiste. Il y eut des collaborations entre la Nouvelle droite et Teddy Goldsmith, le fondateur de la revue The Ecologist. Des décroissants participent, encore aujourd’hui, régulièrement aux publications de la Nouvelle Droite.
Mais il est vrai que les écologistes d’extrême droite partagent le même constat que les écologistes en général, celui du risque de disparition du monde tel qu’on le connaît à la suite du réchauffement climatique. Ils partagent aussi le même rejet de l’idéologie du Progrès, de la « techno-science » et de l’hubris qui en est le corollaire. Ils se séparent et s’opposent sur le rapport à l’Autre, et plus largement sur le rapport aux minorités, défendues chez les écologistes et rejetées à l’extrême droite au nom de leur logique identitaire. Tous les écologistes ne sont pas des poseurs de bombes ou des tueurs potentiels.