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Vie et mort de Pierre Sidos

Source : flickr

Il y a une dizaine de jours décédait Pierre Sidos. Si on pourra retrouver sur ce site divers articles l’évoquant voici ci-dessous l’entretien paru dans Libération la semaine passée, où Nicolas Lebourg répondait aux questions de Maxime Macé et Pierre Plottu:


Comment démarre l’engagement de Pierre Sidos ?

Il a été franciste et milicien dès ses 16 ans. Son père était un cadre de la Milice, lié à la Gestapo, et a été fusillé à la Libération. Pierre Sidos a lui-même a été condamné aux travaux forcés et à la dégradation nationale en janvier 1946 et amnistié en avril 1949. En septembre suivant, il fait partie des membres fondateurs du groupe d’extrême droite Jeune nation.

Au sortir de l’Epuration, comment se passe cette reconstitution de la mouvance radicale ?

Ils sont prudents : officiellement c’est un mouvement bonapartiste, composé d’une centaine de membres pour un tiers ex-collaborationnistes francistes et miliciens, pour un tiers de gaullistes en rupture de banc, pour un tiers de bonapartistes. Puis les frères Sidos font évoluer Jeune nation vers leurs bases, et nouent des liens à l’étranger : ce sont des émigrés allemands, anciens de la Propagandastaffel qui se sont réfugiés en Suède qui produisent leurs stocks de tracts. Dès 1950 Jeune nation cache des armes, espérant voir tomber la République et a un temps des relations avec des groupes ouvertement néonazis.

Pourtant Sidos ne parvient pas à prendre la tête de la mouvance néofasciste.

Selon les services de renseignements, le groupe aurait eu 112 membres en 1952 puis jusqu’à 500 membres en 1954. Mais, avec le choix en 1956 de se déclarer néofasciste et de reprendre la cache d’armes, il perd de son élan et n’aurait plus qu’une cinquantaine de membres tout début 1958. La ligne de Pierre Sidos est aussi décalée : alors que son second, Dominique Venner, théorise un passage à un nationalisme de la race blanche, que la jeunesse néofasciste est obsédée par l’Europe, Sidos ne pense qu’en termes de nation française et de colonies. A partir de 1957, le groupe voit affluer des étudiants et deviendra la Fédération des étudiants nationalistes (FEN) en 1960, qui marche bien après l’échec du « Parti Nationaliste » interdit en 1959. Le fichier militant constitué par les services de renseignements en 1961 recense 750 membres de JN, dont 207 à Paris : des hommes jeunes (surtout nés entre 1930 et 1945, avec seulement 3% de prénoms féminins) et issus de toutes les classes sociales. Mais le gros de la FEN fait ensuite scission et part créer Occident en 1964.

Quel est le rapport de Jeune nation à la violence ?

Il a été activiste puis terroriste. En 1956 ses militants mènent la manifestation à l’assaut du siège du parti communiste (plusieurs morts, de nombreux blessés). Ils combattent parfois les forces de l’ordre. Le 6 février 1958, le groupe est soupçonné d’être à l’origine de la bombe placée à l’Assemblée Nationale. Avec d’autres formations d’extrême droite il est dissous en mai 1958 mais continue sous diverses formes.

Dans les départements algériens, il pousse à l’assassinat de musulmans. Dans le sud-est des militants, dont un ex-Waffen SS, torturent et assassinent un Tunisien. Le problème de Jeune nation est de concilier la reconstitution du parti et la violence. Au point qu’en 1959 la direction demande à ses membres de l’éviter pour pouvoir construire un appareil révolutionnaire.

En 1960 Sidos est contraint de se cacher. La police le croit en Belgique mais il est à Neuilly-sur-Seine, d’où il a encore un peu de contact avec le général Salan ou Jean-Marie Le Pen. On va retrouver des jeunes militants parmi les poseurs de bombes des « nuits bleues » de l’OAS, mais les relations avec les groupes Algérie française sont difficiles  car Jeune nation veut instaurer un régime fasciste et non simplement la conservation de l’Algérie.

Sidos est-il le chef absolu ?

Dominique Venner , son second, est un moine-soldat qui lui fait de l’ombre. Les rapports psychiatriques effectués quand tous deux passent devant la Cour de sûreté de l’Etat présentent Venner comme méticuleux, calme, organisé, doté d’une intelligence supérieure à la norme et d’un raisonnement logique faisant fi de toute empathie ou compassion. Sidos est quant à lui décrit comme un homme certes intelligent mais avant tout paranoïaque et psycho-rigide. Discret aussi : seul le journaliste David Doucet est parvenu à en obtenir un grand entretien, en 2013. Ces traits lui ont permis de durer et de parvenir à maintenir toute sa vie des groupuscules sur la même ligne, mais ont sans doute nuit à leur développement. C’est la blague classique à l’extrême droite à partir des années 1980: l’Oeuvre française, fondé par Sidos en 1966 puis interdite en 2013, eût été « l’église de Sidologie ».

Que reste-t-il désormais de cette « sidologie » ?

Dès la constitution de Jeune nation en 1949, des notes de surveillance sur ses activités sont adressées à l’Élysée, de par la radicalité estimée de ses membres. Le groupe n’a cessé d’être interdit mais s’est toujours reconstitué avec, de 1949 à 2020, le même objectif : être prêts le jour où la France connaîtrait une situation révolutionnaire. Aujourd’hui il existe toujours un site, « Jeune nation », ainsi qu’un groupe, « Les Nationalistes », qui ne représente plus que quelques dizaines de membres.

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