La Longue marche de l’Œuvre française
Par Nicolas Lebourg
L’Œuvre française était le plus ancien mouvement nationaliste français quand l’Etat l’a dissoute en 2013. Mercredi 19 novembre, son ancien président Yvan Benedetti a fait savoir qu’il sortait de chez le juge pour reconstitution de ligue dissoute. Avec Alexandre Gabriac, meneur des Jeunesses nationalistes, liées à l’Œuvre et dissoutes avec elle, ils risquent 5 ans de prison et 75.000 euros d’amende.
Ils contestent depuis le départ la légitimité de ces mesures et revendiquent de persévérer dans leur action politique. Depuis la dissolution de leurs groupes, ils s’expriment à travers un site internet baptisé Jeune Nation, soit le nom d’une des premières moutures de l’Œuvre… interdite il y a près de six décennies. Cette attitude est, il est vrai, parfaitement cohérente avec l’histoire de leur mouvement, plusieurs fois interdit donc, toujours continué pourtant. Une groupement dont les fondations datent de l’Epuration peut-il encore perdurer? Son histoire participe de la réponse à cette question.
Les décombres de la collaboration
Les racines de l’Œuvre française remontent à l’entre-deux-guerres et au «francisme» de Marcel Bucard qui, peu ou prou, correspond à une tentative d’acclimatation du fascisme italien au nationalisme politique français tel qu’il s’est constitué à la fin du XIXe siècle. Parmi les francistes se trouvent le jeune Pierre Sidos, né en 1927, qui, des décennies durant, sera le chef de l’Œuvre. Durant la guerre, il intègre la Milice. Son père, François Sidos, lié à la Gestapo, en est un dirigeant et est fusillé à la Libération. Pierre Sidos a lui bénéficié de la loi d’amnistie de 1947 en tant que collaborateur mineur d’âge.
L’année suivante, il fréquente le Mouvement Socialiste d’Unité Française, fondé par l’ex-Waffen SS René Binet. Puis, il lance Jeune Nation, officieusement le 22 octobre 1949, statutairement le 21 mars 1951. Le mouvement ne trouvera quelque élan qu’avec les anciens d’Indochine, à partir de 1953, avec la venue en 1955-1956 de jeunes militants gaullistes, souvent issus des fascismes mais un temps «recyclés», et d’anciens collaborationnistes, surtout issus de la Milice, du francisme et du Parti Populaire Français de Jacques Doriot. C’est Jeune Nation qui met à la mode la croix celtique comme symbole du néofascisme.
En 1951, le but officiel est l’éducation de la jeunesse par la promotion de l’exemplarité de Napoléon. Le 20 mai 1956, l’association se transforme en Mouvement Jeune Nation, dont les statuts sont clairement, dans la forme, ceux d’un parti hiérarchisé et centralisé, et, dans le fond, se réfèrent explicitement au fascisme. Le mouvement, en référence au Parti franciste, est mené officiellement par une direction collégiale, nommée «conductoire». Jeune Nation rêve que les guerres de décolonisation mènent à un coup d’Etat qui puisse déboucher sur l’instauration d’un régime nationaliste.
A partir de 1956, le groupe organise des caches d’armes, mais ne dispose encore que d’une centaine de membres quand le 13 mai 1958 balaye certes la IVe République, mais entraîne aussi… sa dissolution, conjointement à d’autres mouvements activistes.
Contre la décolonisation
Quoique interdite, Jeune Nation fait en 1958… ce que fait l’Œuvre depuis 2013: elle refuse sa dissolution. Même le journal du mouvement continue comme si de rien n’était. Pierre Sidos argue qu’il aurait rencontré le Premier ministre Michel Debré, qui lui aurait signifié de ne pas tenir compte de la dissolution de son mouvement. Le stratège de Jeune Nation, Dominique Venner (suicidé à Notre-Dame-de-Paris en 2013 et personnalité incontournable de la rédéfinition du nationalisme), dit ce qu’il faut en penser dans sa correspondance avec divers militants. A l’été 1958, il écrit à un cadre:
«Nous devons donc changer nos batteries et préparer la réapparition du Mouvement sous un nom différent. C’est très dommage mais c’est la seule solution… Nous conserverons la croix celtique comme emblème… Quant à la doctrine et aux méthodes d’action du nouveau groupement, ce seront évidemment les mêmes.»