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La Révolution conservatrice [hier, aujourd’hui, demain ?]

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Source : eBay.

Version complète de « Pour Jean-Yves Camus, «la révolution conservatrice inclut tout et son contraire» », Le Temps, 19 février 2017.

Le Temps: Que signifie la révolution conservatrice aujourd’hui ?

 

Jean-Yves Camus: En France,  » révolution conservatrice » est une expression qui a été diffusée dans les années 1970 par la Nouvelle Droite, qui a redécouvert la Révolution conservatrice allemande des années 20-30, dans laquelle elle voulait puiser les idées d’une réaction aux idées libérales et libertaires de mai 1968.

A l’origine, « Révolution conservatrice » désigne le mouvement, protéiforme, qui en Allemagne, entre 1918 et 1933, souhaitait un renouveau du sentiment national en même temps qu’une rupture totale avec l’héritage des Lumières, au profit d’idées puisées chez les romantiques et dans l’Idéalisme allemand. Après la guerre, ce vocabulaire a été popularisé par le journaliste suisse Armin Möhler, qui était proche du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE), et qui a longtemps vécu à Paris. Il a ensuite été recyclé par différents représentants des droites radicales qui se définissent comme révolutionnaires ou anti-modernes.

Assiste-t-on, selon vous, à une nouvelle révolution conservatrice ?

Je crois qu’il y a un malentendu chez les gens qui utilisent cette expression. La révolution conservatrice allemande est un mouvement agité de courants très différents. Il n’y a pas grand chose de commun entre les völkisch, qui souhaitaient un Etat fondé sur la race, et les jeunes conservateurs, qui espéraient un restaurer l’esprit national à l’intérieur des partis nationalistes de Weimar. Il faut donc d’abord savoir de quelle famille de cette Révolution on parle. Ensuite, il existe une autre Révolution conservatrice: elle est américaine et désigne l’évolution à droite du Parti Républicain, de Barry Goldwater (1964) à Trump. Celle-là est tout le contraire de l’allemande: elle incarne une forme d’esprit réactionnaire sur les valeurs morales, elle est profondément attachée aux valeurs du marché, même si le protectionnisme de Trump fait illusion. Elle a en partie une composante religieuse, « born- again Christian ». D’où ma crainte que les politiciens qui se réclament de ce vocabulaire incarnent surtout le retour de l’esprit conservateur, ou réactionnaire. Les idées conservatrices sont certes en vogue, mais ça ne fait pas de ceux qui les portent les héritiers de la révolution conservatrice allemande.

Les droites dures européennes qui s’en réclament sont-elles aussi diverses que le mouvement original ?

Les nationaux-populistes européens sont plus homogènes. Ils sont réunis par le nationalisme, le refus du multiculturalisme et un style populiste fondé sur l’opposition du peuple et des élites. Ils partagent aussi un sentiment d’urgence face au déclin du monde. Mais on serait bien en peine d’y trouver le refus total du conformisme bourgeois du caractérisait les parties les plus intéressantes de la Révolution conservatrice, le Mouvement de jeunesse et la Deutsche Freischar d’Eberhard Koebel.

Le géopoliticien russe Alexandre Douguine passe pour l’idéologue d’une nouvelle révolution conservatrice qui inspire les droites dures européennes. Quelle est son influence ?

En France, son influence reste marginale. La Nouvelle Droite s’y intéresse beaucoup, mais elle manifeste aussi du scepticisme face à une pensée peu compréhensible en Occident, dont les références ésotériques restent très absconses. Alexandre Douguine semble si déconnecté du réel que ses idées ne sont pas immédiatement opérationnelles pour un politicien. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien d’intéressant chez lui, mais que sa pensée n’est pas vraiment utilisable concrètement. Par ailleurs, son eurasisme pose problème aux représentants des mouvements identitaires, parce qu’il inclut toutes les religions et toutes les races.

En campagne pour sa réélection, Oskar Freysinger décrit une révolution conservatrice qui agite le monde occidental un peu partout…

Contrairement à beaucoup d’autres, Oskar Freysinger a sans doute lu la révolution conservatrice, parce qu’il a hérité d’une double culture, francophone et germanophone. Alors que les cadres du Front National s’intéressent surtout à la France, lui travaille sur l’identité européenne. Mais il semble jouer sur l’ambiguïté qui confond la révolution conservatrice et le conservatisme. Je l’ai entendu ouvrir son intervention devant les  ‘Assises contre l’islamisation » organisées en 2010 par le Bloc identitaire par ces mots: « Je salue le pays de Voltaire ». Utiliser le philosophe des Lumières, la RC ne l’aurait jamais fait.

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