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Jean Haudry et les études indo-européennes

Par Stéphane François

L’universitaire Jean Haudry est décédé le 23 mai 2023. Il était normalien, agrégé de grammaire, docteur ès lettres, ancien directeur d’études de l’École pratique des hautes études, professeur émérite de l’Université Lyon III, et aussi un vieux militant d’extrême droite… En raison de sa personnalité contestée1, les études indo-européennes sont suspectées en France d’arrière-pensées idéologiques. En effet, Jean Haudry n’hésitait pas à postuler l’origine circumpolaire des Indo-Européens. Il structurait sa thèse sur une étude de la supposée cosmogonie originelle indo-européenne, inspirée par les essayistes Bâl Gangâdhar Tilak et Hans F. K. Günther, brillamment déconstruite par Bernard Sergent2.

À l’origine de la polémique

À l’origine de cette suspicion, nous trouvons un « Que sais-je ? » écrit par Jean Haudry en 19813, dont les dernières pages, selon Pierre-André Taguieff, « […] constituent un mini traité de raciologie nordiciste »4. Actuellement encore, Haudry soutient cette position nordiciste – voilà pourquoi il est considéré comme un « grand maître des études ie [indo-européennes] » et qualifié d’« excellent » par des militants d’extrême droite, tel le néopaïen identitaire Bernard Marillier5. Dans sa version réactualisée des Indo-Européens6, Haudry affirme l’existence d’un type physique précis des Indo-Européens, ouvertement nordique. En outre, selon lui, il existerait un complot de la bien-pensance, qui chercherait à nier l’origine nordique des Indo-Européens (et accessoirement de leurs descendants directs, les Européens « ethniques ») :

« Rappeler dans le débat actuel que la couche supérieure de la population indo-européenne présentait les traits caractéristiques du type nordique (cheveux blond, yeux bleus, haute stature, visage étroit, etc.) ne ferait que conforter ceux qui proclament que la France est métissée depuis longtemps »7.

Son ami Pierre Vial ne dit pas autre chose :

« Le sectarisme de ces zélotes s’est déchaîné lorsque, après avoir publié dans la collection Que Sais-je (PUF) L’Indo-Européen, Jean Haudry, à la demande de l’éditeur, a écrit Les Indo-Européens. Ce volume a eu un excellent succès commercial. Après la première édition (1981), d’autres ont suivi, jusqu’en 1992. Puis, alors même que l’ouvrage continuait à être très demandé, en particulier par des étudiants de diverses disciplines, l’éditeur a renoncé à toute réédition. Les nouveaux inquisiteurs étaient passés par là. Car Jean Haudry avait commis le crime suprême : mettre à la portée du plus grand nombre, d’une façon claire, précise, parfaitement documentée, une matière scientifique de haut niveau, réservée jusque-là aux seuls spécialistes. Scandale intolérable, qui ne fut pas toléré.8 »

Cette interdiction, selon Vial, aurait été faite sur l’injonction des « milieux intellectuels français », politiquement corrects, qu’il traite de « chafouins et de pleutres ». Il défendra en 2011 la version réactualisée du Que sais-je ? de Jean Haudry :

« La publication en 1981, par les Presses universitaires de France, d’un “Que sais-je ?” sur les Indo-Européens rédigé par Jean Haudry avait suscité, on s’en souvient peut-être, les critiques acerbes de certains représentants de la “police de la pensée”. Sa réédition par les éditions de la Forêt, augmentée de quelques considérations nouvelles, permettra au lecteur de constater que cet essai très dense, et remarquablement informé, constitue en réalité une synthèse parfaitement objective du sujet, qu’il s’agisse de la vision des Indo-Européens, de leur habitat originel ou de leur type physique, sans oublier la religion, les institutions, la communauté, le domaine de la guerre et celui de la production.9 »

La violence de la réaction s’explique par la position institutionnelle, universitaire, de Jean Haudry, et par son militantisme.

Un vieux routier de l’extrême droite

Ancien cadre du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE), qu’il a quitté au milieu des années quatre-vingt comme beaucoup d’autres éléments radicaux pour rejoindre le Front National, Jean Haudry est donc une figure politique sulfureuse. Il a d’ailleurs été membre de l’institut de formation du FN10, ainsi que membre du comité de patronage d’Identité, la revue du comité scientifique frontiste. Il a quitté le parti de Jean-Marie Le Pen à la fin des années quatre-vingt-dix pour fonder avec Pierre Vial et Jean Mabire, anciens du GRECE et du FN, le groupuscule identitaire-racialiste et païen Terre et peuple, dont il a été l’un des vice-présidents, qui publie une revue éponyme. Avalisant une conception ethnique du paganisme, Jean Haudry écrit que « chacune [des] religions [païennes] appartient en propre à la communauté ethnique et linguistique correspondante, qui, bien loin de chercher à convertir les étrangers, garde jalousement pour ses membres les bienfaits de sa religion.11 » Enfin, l’un de ses derniers articles parus avant son décès était de nature climatosceptique, « Climatologie des indo-européens »12. Par ailleurs, il a pu, par le passé, qualifier les écologistes d’« écolo-kagébistes » et de « peste verte »13.

Haudry fut notamment un administrateur de l’Association des Amis Français des Communautés Sud-Africaines (ACFA) et un responsable de l’ACFA Rhône-Alpes, une émanation du lobby sud-africain qui prenait la défense du système d’apartheid et prônait un anticommunisme virulent14. Dans les années soixante et soixante-dix, il était fréquent que certains pays ostracisés en raison de leurs régimes racistes, Rhodésie ou République sud-africaine par exemple, soient défendus par des groupuscules d’extrême droite, qu’ils fussent français ou européens. En outre, de 2020 à son décès, il a été membre du comité de rédaction, avec David Rouiller, Gaëtan Audenarde, Philippe Baillet, Pierre Krebs et l’éditeur négationniste Jean Plantin, de la revue Sparta. Ordre vital Perspective ethnoraciale Critique sociale15, aux thématiques proches de certains doctrinaires du national-socialisme. Enfin, Jean Haudry a publié des ouvrages aux Éditions du Lore16, un éditeur qui se présente comme identitaire, mais qui édite des fac-similés d’ouvrages nationaux-socialistes17, ainsi que chez Akribeia18, un éditeur négationniste lyonnais proche des idéaux nationaux-socialistes et du « nationalisme blanc ».

L’engagement politique de Jean Haudry se retrouve surtout dans sa vision des Indo-Européens. Plusieurs de ses hypothèses sont plus que controversées, empreintes d’influences intellectuelles raciologiques et en particulier d’inspiration nordiciste, reprenant les thèses d’un nationaliste indien du début du XXe siècle, Bal Gangadhar Tilak (1856-1920). Le spécialiste de l’archéologie indo-européenne Colin Renfrew se montre sceptique vis-à-vis de certaines reconstructions lexicales développées par Haudry19. En effet, il ethnicise le concept linguistique d’« indo-européen » :

« Pour trouver une langue qui ne soit pas le moyen d’expression d’un peuple, il faut faire abstraction de son passé, ce qui est facile pour toutes celles dont on ignore les états antérieurs. Mais quand l’origine d’une langue internationale ou véhiculaire est connue, on constate qu’il s’agit initialement de la langue d’un peuple, étendue par les évènements historiques ou les relations commerciales à d’autres peuples.20 »

En fait, il ne fait que reprendre le principe de Gustav Kossinna, archéologue nationaliste et nordiciste allemand du début du xxe siècle, qui utilisa l’archéologie pour exalter le passé germanique et les revendications territoriales pangermanistes. Il postulait l’équation « culture archéologique = ethnie », une équation encore sujette à de vives discussions dans les milieux scientifiques21. Haudry a repris également les postulats de Lothar Kilian, un archéologue allemand, qui se situe dans l’héritage de Kossina, et qui soutenait l’origine nord-européenne des Indo-Européens22.

Il développe ces différentes vues dans plusieurs ouvrages, dont Les Indo-Européens précédemment cité et dans La Religion cosmique des Indo-Européens23, paru en 1987, dans lequel il expose de nouveau ces postulats mais de façon plus subtile. Il soutient que ces mythiques Indo-Européens auraient constitué un ensemble humain, spirituel et matériel de première importance au sein de l’humanité. En effet, une frange radicale et identitaire de l’extrême droite, dont Haudry fait partie, est persuadée qu’il y a eu chez les différents peuples européens un « idéaltype » racial dominant, forcément nordique, lequel renverrait à l’aspect physique originel. Ce type physique serait important, voire dominant, pour deux raisons : il est soit le type de l’aristocratie (nous retrouvons le vieux discours sur l’origine germanique de l’aristocratie européenne), soit le type dominant numériquement. La première hypothèse aurait tendance à valider les théories de Marija Gimbutas sur l’asservissement des populations pré-indo-européennes par les Indo-Européens, tandis que la seconde valide les théories racistes sur les liens entre langues et races. Il exposa ses thèses en 1997 dans le numéro 49 de Nouvelle École consacré aux Indo-Européens, coécrit avec Alain de Benoist, et exprima ses idées dans Réfléchir & Agir, un magazine identitaire, voire néonazi, dans un article portant sur « Le type physique des Indo-Européens »24.

Malgré tout, un universitaire reconnu

Haudry a été un professeur de l’université de Lyon III (après 1998 un professeur émérite), dont il fut un doyen, et un directeur d’études à la quatrième section de l’École Pratique des Hautes Études (EPHE) à compter de 1976. Agrégé de grammaire, il fut remarqué par Georges Dumézil, qui le soutint. Il collabora à de prestigieuses revues spécialisées, dont l’une des plus importantes revues spécialisées dans ce champ d’étude, le Journal of Indo-European Studies et entretint de très bonnes relations avec son responsable, Edgar Polomé.

Haudry est connu pour avoir créé au début des années quatre-vingt, à Lyon III, l’Institut d’Études Indo-Européennes qui publiait la revue Études Indo-Européennes. Cet institut, animé par Jean Haudry et deux autres néo-droitiers, Jean Varenne et Jean-Paul Allard (ce dernier étant en outre l’ancien responsable du GRECE à Lyon25 et le président de la section française de Synergies Européennes), était dépendant administrativement de Lyon III jusqu’en 1998, date de sa dissolution. Toutefois, il ne s’agissait pas d’une vraie structure de recherche mais plutôt d’une structure marginale. À la suite de l’enquête missionnée par le ministère de l’Éducation nationale en 2001, l’institut est devenu indépendant, provoquant la transformation des Études Indo-Européennes en une revue savante elle aussi indépendante. L’institut et la revue se retrouvaient fréquemment au cœur de virulentes controverses portant à la fois sur la scientificité des textes publiés et sur l’orientation idéologique de ses principaux animateurs, tous proches de la Nouvelle Droite ou de Synergie Européenne, deux d’entre eux, Jean-Paul Allard et Jean-Claude Rivière, étant par ailleurs liés au milieu négationniste.

Avec le décès de Jean Haudry, l’extrême droite radicale perd l’un de ses intellectuels les plus importants, l’ayant nourri doctrinalement depuis la fin des années 1970. N’en doutons pas : plusieurs revues et sites lui rendront hommage. Cela a déjà commencé avec le site d’Éléments26, qui annonce un numéro qui lui sera consacré, ainsi qu’avec celui de l’Institut Iliade27.

Notes

1 Bernard Sergent, « Penser – et mal penser – les Indo-Européens », Annales ESC, nº 37, juin-août 1982, pp. 669-681 ; Maurice Olender, « Au sujet des Indo-européens », Archives des sciences sociales des religions, 1983, volume 55, numéro 2, pp. 163-167.

2 Bernard Sergent, « La religion cosmique des indo-européens (note critique) », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, vol. 45, n° 4, juillet-août 1990, pp. 941-949.

3 Jean Haudry, Les Indo-Européens, Paris, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 1981. Ce texte est reparu dans une version anglaise très augmentée : Jean Haudry, The Indo-Europeans, Lyon, Institut d’Études Indo-Européennes, 1994.

4 Pierre-André Taguieff, « La stratégie culturelle de la “Nouvelle Droite” en France (1968-1983) », in Robert Badinter (dir.), Vous avez dit fascisme ?, Paris, Montalba/Artaud, 1984, p. 53.

5 Bernard Marillier, Indo-Européens, Puiseaux, Pardès, 1998, p. 9.

6 Jean Haudry, Les Indo-Européens, 2010, pp. 171-176.

7 Jean Haudry, « De la quête à la conquête », in Collectif, Liber amicorum Alain de Benoist, Paris, Les Amis d’Alain de Benoist, 2004, pp. 108-109.

8 Pierre Vial, « Préface », in Jean Haudry, Les Indo-Européens, 2010, non paginée.

9 Alain de Benoist, « Les Indo-Européens », Éléments, n° 138, janvier-mars 2011, p. 8.

10 Fondé en 1988 par Bruno Mégret et Jean-Yves Le Gallou. Il a existé jusqu’en 1999 et était composé de 36 intellectuels, venant principalement de la Nouvelle droite et du Club de l’Horloge.

11 Jean Haudry, « Aux sources indo-européennes de notre paganisme », in Pierre Vial, Païens !, Forcalquier, Éditions de la forêt, 2001, p. 77.

12 Jean Haudry, « Climatologie des indo-européens », Sparta. Ordre vital, perspective ethnoraciale, critique sociale, n°3, pp. 41-44. La rédaction (Gaëtan Audenarde, Philippe Baillet, Jean Haudry, Pierre Krebs, David Rouiller et Tomislav Sunic) a jugé nécessaire de publier un encadré à la suite de cet article, sur la « position clairement “climatosceptique” défendue par l’auteur [qui] ne fait pas l’unanimité au sein de la rédaction de Sparta. » (p. 44).

13 Jean Haudry, « De la quête à la reconquête », in Collectif, Liber Amicorum Alain de Benoist, Paris, Les Amis d’Alain de Benoist, 2004, p. 110.

14 Cf., Jean Haudry, « L’Afrique du sud et Israël : deux poids deux mesures dans l’information », Études et recherches pour la culture européenne, n°6, « Médias et désinformation », été 1988, pp.79-84.

15 Sparta. Ordre vital Perspective ethnoraciale Critique sociale, vol. I, éditions Aidôs, 2020. La revue est présentée comme « une publication sans périodicité ». Le directeur de la publication est Jean Plantin et le directeur de la rédaction Philippe Baillet.

16 Bhagavad-Gîtâ. Le chant du Bienheureux, traduit du sanskrit par Emile Burnouf et présenté par Jean Haudry, Éditions du Lore, Chevaigné, 2013.

17 Par exemple, Alfred Rosenberg, La Grande conjuration de Bâle (1897) ; Adolf Hitler, Discours méconnus de l’année 1941 ; Adolf Hitler, La Jeunesse allemande veut le travail et la paix ; Heinrich Himmler, L’Esprit de la SS ; Reichsführer Heinrich Himmler, La SS. Organisation de combat antibolchevique, etc.

18 Akribeia est le titre d’une revue puis le nom d’un éditeur négationniste. Les deux ont été fondés par Jean Plantin, historien formé à Lyon III, dont les diplômes (maîtrise et DEA) ont été annulés en 2004 à la suite de ses publications antisémites et négationnistes. La revue Akribeia est née en 1998 pour diffuser ses idées. Elle se transforme en maison d’édition en 2000, dont fut actionnaire Robert Faurisson. Conséquences de plusieurs procès, la revue Akribeia disparaît et est remplacée par une seconde, Tabou, qui existe toujours. Jean Haudry y a préfacé la réédition d’un ouvrage d’Adriano Romualdi, un militant radical italien des années 1970, La Question d’une tradition indo-européenne, Saint-Genis-Laval, Akribeia, 2014.

19 Colin Renfrew, Archaeology and Language. The Puzzle of Indo-European Origins, London, J. Cape, 1988.

20 Jean Haudry, « Les Indo-Européens étaient bien… des Européens », Éléments, nº 100, mars 2001, p. 49.

21 Voir par exemple, Jacques-Pierre Millotte, « Archéologie, racisme et nationalisme. À propos de l’interprétation des vestiges archéologiques », Dialogues d’histoire ancienne, Vol. 4, n° 4, 1978, pp. 377-402.

22 Jean Haudry, « Les Indo-Européens étaient bien… des Européens », art. cit., p. 49.

23 Jean Haudry Les Indo-Européens, op. cit. ; La Religion cosmique des Indo-Européens, Milan/Paris, Archè/Les Belles Lettres, 1987.

24 Jean Haudry, « Le type physique des Indo-Européens », Réfléchir & agir, nº 14, printemps 2003, pp. 26-29.

25 Allard était le vice-président, en 1977, du Cercle Galilée du GRECE.

26 https://www.revue-elements.com/mort-de-jean-haudry-les-etudes-indo-europeennes-sont-en-deuil/. Consulté le 01/06/2023.

27 https://institut-iliade.com/disparition-de-jean-haudry/

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