La Féminisation de l’extrême droite

Les femmes, à l’extrême droite, n’ont joué, durant longtemps, qu’un rôle secondaire. Les principaux théoriciens, les principaux tribuns politiques d’extrême droite étaient des hommes. Cela a changé à partir du milieu des années 1980 avec le Front national. Jean-Marie Le Pen n’a pas hésité à mettre des femmes en avant, telles Marie-France Stirbois ou Marie-Christine Arnautu. La féminisation a continué avec le rôle joué par ses filles : Yann, Marie-Caroline et, évidemment, Marine Le Pen.
Si cette mise en avant est patente à compter des années 2010, cela ne veut pas pour autant dire qu’auparavant les femmes n’étaient pas présentes. Leur rôle était plus discret. Dans les années 1990, il y a eu des militantes néopaïennes d’extrême droite qui insistaient, voire théorisaient, sur le rôle traditionnel de la femme dans des sociétés païennes, sur leur féminité, sur le fait que, donnant la vie, elles seraient proches des cycles cosmiques et de la Nature, sur leur rôle éducatif dans la transmission des valeurs identitaires-païennes, etc.
Certaines mettaient aussi en avant la liberté des femmes dans le monde nordique antique, anticipant le discours « féministe » droitier actuel. Il y même eut même des figures internationales comme la théoricienne néonazie Savitri Devi (qui fut aussi une pionnière dans la pensée antispéciste), mais il faut reconnaître qu’elles n’étaient pas nombreuses.
Aujourd’hui, ces militantes ont investi des formations identitaires et y jouent un rôle de premier plan. Certes, il y a une volonté communicationnelle : elles donnent une meilleure image des groupuscules, offrent une meilleure vitrine, moins agressive et plus « glamour », plus lisse, que celle que pourraient donner de vieux militants identitaires, passés par le GUD, Unité radicale ou la mouvance skinhead d’extrême droite… Cela ne signifie pas pour autant qu’elles ne sont là que pour faire de la figuration ou pour changer l’image de ces groupuscules, au contraire. Ce sont des militantes ayant des convictions politiques. Les femmes sont des extrémistes de droite comme les autres.
Le collectif Némesis se présente ainsi comme féministe et féminin, s’appliquant à dénoncer les violences sexuelles perpétrées par des migrants. Cediscours sur le « migrant violeur » ou plutôt sur « l’immigré violeur » est ancien. Pour ne prendre qu’un exemple de l’après-guerre : on le trouve dès les années 1960 dans la revue Europe Action, dont le leader était Dominique Venner. La revue, dans un contexte post guerre d’Algérie, en avait fait l’un de ses leitmotivs racistes. Mais l’équipe éditoriale d’Europe Action était masculine. Ensuite, il ne faut pas oublier la capacité de l’extrême droite de reprendre et retourner des concepts forgés à gauche. C’est le cas du féminisme : entre les années 1960 et les années 2010, les féministes n’étaient que des folles furieuses haïssant les hommes selon l’essentiel de ces milieux.
Cependant, depuis les années 2000 les identitaires insistent sur le fait que la civilisation européenne, païenne et permissive, s’opposerait à un monde arabo-musulman, forcément patriarcal, réactionnaire, misogyne et hostile aux valeurs européennes. Ce fut le cas, par exemple, de Guillaume Faye (décédé en 2019), une grande référence de cette mouvance. Il est donc logique de voir dans ces formations des militantes mises en avant.
En fait, le discours identitaire d’extrême droite est un renversement des concepts identitaires et décoloniaux formulés par une extrême gauche des années 1970. C’est d’abord à gauche que l’identité a été théorisée, dans un contexte de décolonialisme, et la Nouvelle Droite l’a récupéré, ainsi que ses théoriciens, pour élaborer son discours sur l’identité européenne. Pour ses théoriciens, il fallait pousser la logique jusqu’à son extrême et décoloniser l’Europe. D’abord de la « coca-colanisation » américaine et, à partir des années 1980, d’une colonisation inverse provoquée par une immigration de peuplement non-européenne. A partir de cette date, on a vu apparaître un discours sur la nécessité de préserver la femme française/européenne, c’est-à-dire sans décodeur, de la femme blanche. C’est un rejet du métissage. On est proche sur le plan intellectuel de la fameuse phrase de « 14 mots » des néonazis/suprémacistes américains : « Nous devons préserver l’existence de notre peuple et l’avenir des enfants blancs » (« Car la beauté de la femme aryenne blanche ne doit pas disparaître de la terre. »).
A cet égard, le discours de la militante Solveig Mineo est intéressant : contrairement aux formations identitaires qui rejettent l’Occident (vu comme une expression de l’américanisation du monde et donc expression d’une forme de décadence), elle l’accepte et le revendique. Surtout, elle oppose l’Occident et ses valeurs, dont l’hédonisme, à un Islam qui lui serait foncièrement hostile. Elle rejette également les valeurs chrétiennes. En ce sens, son discours est cohérent, refusant les systèmes religieux supposés hostiles aux femmes. L’éloge de l’hédonisme, de l’Occident, du nativisme et de l’eugénisme, l’« ancestralisme » (en fait une forme de paganisme, en fermant « la parenthèse chrétienne » qui permettrait aux Européens de redécouvrir leurs racines) et enfin de la technique donne un aspect particulier à son discours. Ce sont les thèses que Guillaume Faye a développé dans les années 1990, en particulier dans un livre intitulé L’Archéofuturisme, devenu une référence dans les milieux de l’alt-right et dans la mouvance identitaire. Par contre, elle s’éloigne de l’extrême droite par sa promotion d’une forme de libertarianisme démocratique.
Par-delà, existe, y compris à gauche, une crispation identitaire et une focalisation sur l’islam, qui a permis à la parole d’extrême droite de se libérer. L’insistance depuis une vingtaine d’années, voire au-delà, sur un islam forcément réactionnaire, hostile aux femmes, etc. qui ignore la diversité des pratiques religieuses musulmanes ainsi que l’évolution du statut des femmes dans cette religion a permis à une petite musique, raciste, de se diffuser et d’entrée en résonance avec les thèses de l’extrême droite. D’ailleurs, on n’entend guère ces féministes sur le statut des femmes chez les ultra-orthodoxes juifs, évangéliques ou catholiques. Pourtant, il y a, là-aussi, des points à relever.