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L’Extrême droite à l’échelle internationale

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René Magritte (1934)

φ Jean-Yves Camus, « Il faut mettre le FN dans une perspective européenne », Huffington Post, 14 décembre 2015.

Le tripartisme qui s’installe avec la consolidation du FN au-delà de 25%, existe déjà dans d’autres pays ouest-européens où les droites extrêmes ont franchi ou approchent ce seuil. Les systèmes politiques réagissent différemment à la modification structurelle du paysage idéologique des droites, qui constitue une véritable remise en cause du libéralisme classique comme du conservatisme éclairé. Entre inclusion et « cordon sanitaire », comment cela se passe-t-il en dehors de nos frontières?

La situation française est étroitement liée aux origines historiques du Front national, à son incontestable inscription, à sa fondation du moins, dans la tradition historique et idéologique de l’extrême-droite. C’est cette filiation qui, dès les années 1990, pose problème aux partis populistes xénophobes de droite qui émergent ailleurs en Europe et qui, à l’instar du Parti du Progrès norvégien ou de l’Union démocratique du centre (UDC) suisse refusent, tout comme aujourd’hui les eurosceptiques britanniques de UKIP, d’établir des contacts institutionnels avec le FN. Lorsqu’on trace la carte des droites extrêmes en Europe de l’ouest en 2015, on ne peut qu’être frappé par le fait que les partis ouvertement néo-fascistes ou néo-nazis, dont l’inclusion dans le « mainstream » politique est impossible (ils ne le souhaitent d’ailleurs pas!), sont devenus absolument marginaux.

En revanche, deux autres catégories de mouvements s’inscrivent à la fois dans la durée et la représentativité. Les premiers sont ceux dont les origines se situent à l’extrême-droite mais qui tendent à vouloir « rompre les amarres » avec leur ancrage d’origine sans y réussir complètement: ainsi du FN, des Démocrates suédois, du FPÖ autrichien et du Vlaams Belang (VB) flamand. Les seconds sont les partis nationalistes, identitaires et eurosceptiques qui proviennent de la famille des droites du consensus démocratique, mais qui marquent leur différence avec elle par une vision ethnocentrique et culturaliste de la société. Or ces deux catégories ne sont pas traitées de la même manière par les deux camps politiques qui dominent le paysage idéologique européen, la social-démocratie et le libéral-conservatisme.

En effet, à l’exception du FPÖ autrichien lors de la période pendant laquelle il a été associé au pouvoir, les partis nés de l’extrême-droite sont soumis à un cordon sanitaire total qui pose le problème de sa justification théorique (peut-on exclure durablement du pouvoir un segment de l’électorat équivalent au quart environ de celui-ci, dès lors que les partis concernés ne sont pas factieux?) et de son efficacité pratique? Car à l’exception de la chute massive du VB, passé de 12,6% à 5,9% des voix flamandes, par un phénomène de siphonnage opéré par un parti indépendantiste plus modéré (la NVA), le cordon sanitaire n’affaiblit pas. Lire la suite sur le Huffington post

φ Nicolas Lebourg, « Pourquoi la géopolitique a toujours intéressé le Front national », Huffington Post, 14 décembre 2015.

Le mot « nationalistes » que l’on utilise souvent pour qualifier les extrémistes de droite amène à quelques confusions – et souvent ceux-ci préfèrent le terme de « patriotes », de Maurice Barrès il y a plus d’un siècle à Florian Philippot aujourd’hui. La pensée d’extrême droite n’est pas confinée à l’échelle nationale, son corpus théorique s’appuyant souvent sur une réflexion géopolitique à l’échelle mondiale comme le rappelaient récemment Stéphane François et Olivier Schmitt. Son action non plus, comme le soulignait Jean-Yves Camus pensant les résultats du FN dans leur échelle européenne. En fait, tous les mouvements d’extrême droite contestent l’ordre géopolitique en place: c’est là un élément de définition pour classer un mouvement politique dans ce champ. Par-delà, les renouvellements des extrêmes droites s’avèrent directement liés aux changements géopolitiques.

L’extrême droite, fille de la géopolitique

Historiquement, on considère que le nationalisme français passe de gauche à droite après la défaite de Napoléon III en 1870. La IIIe République qui fait suite est obsédée par la revanche contre l’Allemagne, et cette aspiration se cristallise un temps autour de la personne du général Boulanger, surnommé « le Général Revanche ». C’est là que se forge ce qui a été baptisé « le national-populisme », courant central de l’extrême droite française : le culte d’un Sauveur émergeant du peuple pour balayer des élites défaillantes et redonner fierté et union à la Nation, en gouvernant à coups de référendums afin d’être en lien direct avec le peuple. La Première guerre mondiale donne naissance à l’extrême droite radicale, qui ne souhaite pas seulement régénérer la Nation mais créer un homme défait des tares du libéralisme. Les mouvements les plus connus sont bien sûr le fascisme et le nazisme, mais il en est d’autres, tel le national-bolchevisme, la « plus extrême droite » allemande selon le mot de l’historien Louis Dupeux, qui souhaite l’alliance de la Russie et de l’Allemagne contre l’Occident. Les radicaux projettent des Empires, et certaines de leurs tendances internes rêvent de construire l’Europe.

Réduit à la marge par les États totalitaires, cet européisme est ressuscité lorsque le IIIe Reich a besoin de nourrir le front de l’Est de volontaires européens – la moitié des 900 000 Waffen-SS de la fin de la guerre n’étant pas allemands. Quant à l’Italie fasciste, elle se donne en 1943 pour objectif l’édification d’une Europe fédérant des régimes nationalistes et exploitant les colonies africaines. C’était là une réactivation du thème de « l’Eurafrique », idée de cogestion des colonies inventée après la Première guerre mondiale comme une possibilité de lier les économies française et allemande pour que ces pays ne soient plus en guerre. Au sein du IIIe Reich , l’Eurafrique est un thème porté par le ministère des Affaires étrangères (qui le conçoit comme un système d’exploitation finalement au service des Allemands), et par celui de l’Économie (qui veut organiser une zone de libre-échange où chaque nation aurait une économie spécialisée). Le thème est encore réactualisé en 1948, suite à l’opprobre qui couvre désormais les régimes d’extrême droite, mais alors que vient d’être établi l’Apartheid en Afrique du Sud. Sir Oswald Mosley, l’ancien leader de la British union of fascists, et Oswald Priow, ancien ministre sud-africain aux sympathies pro-nazies, proposent alors un nouveau plan eurafricain: réserver le tiers du continent africain à des nations blanches, les deux autres à des nations noires. Lire la suite sur le Huffington post