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Les Carrefours migratoires mondiaux comme « zones de mœurs » ou « moral areas » : la Mer Noire, de la concentration de migrations ethniques à la dispersion de transmigrations cosmopolites

Par Alain Tarrius

Résumé de l’article :  Deux populations de migrants internationaux sont prises à témoin dans cet article : des Baloutches Afghans et Iraniens qui vendent, tels des colporteurs, à travers l’Europe, hors taxes, soit à 40% de leur valeur marchande de la grande distribution, des produits électroniques passés par Le Golfe, puis des Géorgiens, accompagnateurs et gardiens de jeunes femmes balkaniques et caucasiennes en Espagne, pour le travail du sexe, et accessoirement passeurs de psychotropes opiacés. Les uns et les autres traversent la Mer Noire, à de multiples reprises pour leurs commerces. Ces navigations et les séjours d’étape dans les ports, ukrainien, russe, abkhaze, géorgiens, turcs, bulgares et roumain, aboutissent à une refondation, sur des bases cosmopolites, des groupes de migrants qui commercialisent les produits d’usages licites et font la découverte de l’altérite.

Trois apprentissages marquent le passage à ces mutations des identités sociales : d’abord, l’acquisition d’un pidgin « universel », le « broken english » réaménagé à la sauce des cheminements transeuropéens, ensuite la pré-connaissance des « territoires circulatoires » qui mèneront jusqu’en Espagne, par les Balkans et l’Italie, en Belgique, par l’Europe centrale et nordique. Ils sont, après leurs pérégrinations maritimes et portuaires, prêts à entrer dans le « poor to poor » mondial qu’ils servent fidèlement pour le plus grand intérêt des majors asiatiques de l’électronique. Ce troisième apprentissage ils l’appellent « la moins value positive »… Désormais nos Baloutches sauront cheminer entre réseaux criminels et réseaux commerciaux de l’officialité. Les groupes géorgiens liés aux réseaux criminels demeurent, eux, dans les strictes frontières de leur identité ethnique, la renforcent même.

La notion de «moral area», ou «zone de mœurs», est utilisée par l’ensemble des sociologues de « l’Ecole de Chicago » ( Ulf Hannerz Explorer la ville, Minuit, 1983, préface Isaac Joseph) pour décrire l’attraction et le brassage, souvent nocturne et dérogatoire de « l’ordre urbain », de populations variées autour d’activités mêlant plaisirs et intérêts. Les « moral areas » jouent un rôle essentiel, bien que non reconnu, masqué, dans les transformations urbaines. Une autre traduction de « moral area » par « district moral » est proposée par Isaac Joseph.

landofgiants1. Transmigrants et économie mondiale de « l’entre pauvres » ou « poor to poor ». Le colportage contemporain : tracer la route.

Les migrants internationaux pauvres ont compris le refus d’hospitalité des nations riches. Un grand nombre d’entre eux –autour de deux cent mille annuellement pour la France, six cent mille pour l’Europe- ne se présentent plus à nous comme é- ou im-migrants, mais comme transmigrants1 : en perpétuels mouvements entre nations, ils sont devenus les colporteurs2 du capitalisme marchand moderne. Qui serait plus qualifié que les transmigrants pauvres pour offrir aux grandes firmes mondiales le vaste marché des pauvres, leur milieu naturellement proche, en passant en Europe, à leurs risques, des produits totalement hors taxes et hors contingentements ? Les majors de l’électronique du Sud-est asiatique, ne s’y sont pas trompés en développant l’économie mondiale « horizontale » du « poor to poor », l’entre-pauvres3, via Le Golfe pour ce qui concerne l’Europe. Ils n’en négligent pas moins l’économie officielle et ses verticalités : experts, commerciaux, locaux, prêts… où se négocient, loin des pauvres et 60% plus chers, les mêmes produits. Contradictions ? les bénéfices de l’une et l’autre économie, imbriquées, que certains nous décrivent comme antagonistes, enrichissent les mêmes firmes.

Environ soixante mille Afghans, de Kandahar à Hérat puis Meched, en majorité4 Baloutches, passent annuellement par les ports turcs et géorgiens ou abkhazes de la Mer Noire, Samson, Trabzon, Poti, Soukhoumi 5: là ils se chargent de produits électroniques du Sud-Est asiatique importés en « destination finale » par les Emirats du Golfe et par Koweït City, hors taxes et hors contingentements. En de nombreuses traversées, les transmigrants Afghans, livrent en Bulgarie, c’est-à-dire en Europe, par les ports de Burgas et de Varna, environ six milliards de dollars6 de ces marchandises, toujours détaxées, mais exfiltrées du Golfe par les « logistiques » de l’économie souterraine mondialisée.

En 2005, j’eus l’occasion de parler7 à un ‘ingénieur commercial représentant, dans les Emirats, un grand industriel de matériels électroniques du Sud-Est Asiatique. C’est la première fois que j’entendais parler littéralement du poor to poor8 l’expression étant rarement utilisée par les transmigrants ;

« … nous ne sommes pas aveugles : les centaines de milliers d’appareils « ouverture de gamme » que nous exportons vers les Emirats, légalement sans réexportations possibles9 ne sont pas destinés aux habitants, ni aux touristes, qui recherchent des séries haut de gamme à prix avantageux -par exemple un XXX (marque japonaise) et ses objectifs à six cents euros alors qu’il est vendu treize cents euros en Allemagne-. Et puis, si vous divisez les produits importés par le nombre de résidents, chaque habitant devrait disposer de 500 téléviseurs, d’autant de micro-ordi, etc (…) Tous ces bons appareils photo d’entrée de gamme, à cent euros dans les circuits officiels européens et quarante euros livrés en poor to poor repartent sans déclaration de réexportation, en avion vers Bakou, Azerbaïdjan ou vers les ports turcs de la Mer Noire, par les petits aéroports côtiers… après c’est des Iraniens, des Géorgiens, plein d’Afghans, des Kurdes, qui se chargent de passer les frontières chargés à bloc, des cargos ukrainiens qui chargent à Odessa des containers passés par Samson et débarqués ensuite à Varna ou Burgas, à l’arrivée des Afghans. (…) Il y en a même qui font tout par voie terrestre, par l’Arabie Saoudite et la Syrie –l’Irak est devenue impossible-.(…) Et toutes les marques sont concernées, alors tu vois le tsunami d’appareils. On ne pourrait jamais organiser de telles logistiques (…) Les pauvres en demandent partout, alors c’est un gigantesque marché mondial du « main à main ». (…) Nous fournissons le premier importateur en ‘terminal’, en gros soixante pour cent -ou plus même- en dessous du prix « réimportation zone euro ». Et nous sommes débarrassés de tous les soucis de distribution, de passages de frontières, d’après-vente… Nous sommes, pour l’officiel, des victimes de trafics incontrôlables (…). Mais tu comprends bien que c’est désormais pour nous un extraordinaire marché : le « poor to poor ». Des centaines de millions de consommateurs potentiels : « peer to peer », « poor to poor », même combat. (…) Pour nous il nous revient de trouver les bonnes accointances banques-importateurs pour que le commerce puisse exister, je parle des lignes de crédit les quatre mois nécessaires à la diffusion vers les populations pauvres par les migrants, et de faire passer partout les messages sur les qualités des derniers produits « poor ». (…) Il est impératif, encore, de vendre aux passeurs-commerçants, quelles que soient leurs origines et leurs destinations, des produits neufs et nouveaux : nous produisons des entrées de gammes très bien cotées par la presse pour le marché des pauvres ; les acheteurs ont le sentiment d’être « dans la course » à la modernité technique. Et surtout de ne pas acheter de contrefaçons (…) Pour eux, qui font fonctionner l’économie des pauvres, il n’y a pas de têtes de réseaux commerciaux comme dans le commerce « normal »(…). Commande dans les émirats, livraisons sur les aéroports de la Mer Noire, ou à Djedda. Ils fonctionnent en moyenne sur trois ou quatre mois entre livraison et paiement et nous devons donc nous porter informellement garants pour les avances consenties10. Informellement, c’est-à-dire que nous désignons des importateurs qui n’ont jamais fait défaut et qui dealent avec les contrebandiers du poor to poor. Ils doivent veiller aussi à une diffusion la plus large possible : pour l’Europe, arriver jusqu’au bout de l’Espagne, (…) la voie Moyen-Orient / Balkans n’est bien sûr pas la seule (…). Pour l’Afrique, Djedda, pendant le pèlerinage, vend autant que tous les Emirats du Golfe. (…)C’est partout des deals vers l’Europe ou l’Afrique. Et surtout le matériel de base que nous leur fournissons doit être impeccable. Surtout pas d’appareils jetables, les pauvres n’en veulent pas, c’est pour les jeunes fils de riches : par contre ils nous aident beaucoup pour la vente du matériel supérieur en visibilisant une marque. (…) C’est le bas, directement desservi, qui pousse le haut vers les magasins…»11

« (…) A votre question sur l’immense écart entre la formation de nos commerciaux et nos revendeurs dans les circuits commerciaux officiels et l’absence totale de ces qualifications chez les migrants des économies… comment les qualifier ? pas informelles car sous leur désordre apparent elles sont bien organisées, invisibles ou souterraines ?, je vous réponds encore une fois par le « peer to peer » : des clients de nos « passe-frontières » sont experts, consommateurs qui lisent des revues spécialisées que nous informons, revendeurs officiels qui font du « noir », jeunes qui vont sur les forums des marques ; ce sont les experts du peer to peer ! nous ne mettons pas un pied dans ce monde « auto-organisé » en dehors des règles officielles ; c’est trop risqué, même si nous avons tout intérêt au développement du « poor to poor » dans ce « peer to peer ». D’autre part nos ingénieurs commerciaux formés dans les grandes écoles sont totalement incapables de se débrouiller au milieu des populations pauvres (…) Il s’agit désormais d’un marché majeur, déjà dominant dans certains pays. Mais les vitrines qui exposent nos produits sont bien dans les réseaux commerciaux officiels, que nous devons choyer (…) Notre constat, c’est que le « poor to poor » rétablit de l’égalité entre consommateurs d’un pays où les salaires sont plus de deux fois inférieurs à un autre non touché par le p&p. (…) Mon point de vue tout à fait personnel, puisque je vois fonctionner cette économie mondiale depuis cinq ou six années, c’est que le monde commercial régulé par des lois, des conventions, des organismes douaniers, policiers, etc.., se réduit comme une peau de chagrin ; il ne tient que par les menaces et les répressions : pour combien de temps ? Déjà les majors de l’électronique multiplient les productions pour le « poor to poor ». La logique marchande ultra-libérale du poor to poor est trop alignée sur la philosophie de la globalisation pour céder la première. (…) et la corruption des autorités est une arme terrible qui transforme les frontières en fromage devant des hordes de souris (…) Les pauvres, entre eux, maîtrisent mieux le libéralisme économique, avec leurs accords de poignées de mains, leurs transports par des foules de miséreux, leurs corruptions aux frontières, leurs confusions entre argent sale et presque propre, que les « officiels » qui inventent année après année des règles de protection et, en même temps, les astuces bancaires pour les contourner, qui inventent des profils de spécialistes de plus en plus déconnectés de la réalité des échanges, qui ont remplacé le face à face par la communication électronique bien hiérarchisée. (…) .

Les régulations des échanges bancaires liées à la Crise, et réclamées lors d’une intervention commune au Qatar en 2007 par Messieurs Nicolas Sarkozy et Gordon Brown, interdisent désormais à ces migrants de bénéficier des lignes internationales de crédit que leur consentaient des banques émiraties pour le prépaiement12 des marchandises. Les réseaux criminels suppléent à cette « moralisation » des circulations de capitaux en prêtant les sommes équivalentes d’argent à blanchir et, en contrepartie en exigeant des Afghans qu’ils cultivent les pavots à opium illégalement implantés en Turquie, en Géorgie, en Abkhazie et, depuis peu, en Ukraine. En somme, ces nouvelles accointances associent migrants internationaux, milieux criminels et firmes de l’électronique asiatique. Pour ce qui concerne la transmigration commerciale afghane, les rythmes de départ sont conditionnés par les phases culturales du pavot : semences, puis trois à quatre mois après, selon l’altitude, sélection des plants suivie de l’incision des bulbes quatre à cinq mois après, et de la confection des boules d’opium. Les transformations en morphine et en héroïne, réparties dans l’ensemble des nations riveraines et assumées directement par les milieux criminels, à l’exclusion des transmigrants, provoquent de multiples navigations, sur la Mer Noire entre les divers ports turcs et caucasiens, Samson, Trabzon, Poti, Soukhoumi, Sotchi (Russie), Kertch, Odessa, et les ports européens de Bulgarie, Burgas et Varna, et, accessoirement, de Roumanie, Constantza. Les héroïnes provenant de ces ports sont offertes à la vente sous la dénomination nationale, « l’afghane », la « turque », la « géorgienne », la « russe », l’ « ukrainienne » respectivement à 12, 10, 8 , 6 et 9 euros le gramme pour des achats d’au moins 250 grammes en 2010 à Trabzon. Les variations des prix, à partir de bases-opium identiques, tiennent à la nature des coupages et à la notoriété des origines.

Le « décor est dressé 13» : il reste à connaître les destinées migratoires qui se construisent autour de la Mer Noire, dans cet apparent désordre des circulations de colporteurs de produits d’usages illicites, nous prendrons à témoin les Géorgiens, et d’usages licites, nous prendrons à témoin les Afghans.

2. Désirer le voyage. Replis identitaires et destins cosmopolites : les lieux du changement. Nécessités économiques et logistiques du brassage.

Les routes des Baloutches, Afghans ou Iraniens, qui circulent par groupes de sept à dix personnes, « c’est plus facile de se louer pour des travaux des champs ou du bâtiment », passent minoritairement par l’Azerbaïdjan et la Géorgie, jusqu’aux rives de la Mer Noire, et surtout par la Turquie, de Van à Trabzon. La deuxième voie est la plus commode : les Baloutches Afghans, en effet, peuvent facilement acquérir des passeports iraniens dès lors que leur patronyme est commun avec celui de Baloutches iraniens ; la traversée de la Turquie en est facilitée puisque aucun visa n’est nécessaire entre Turcs et Iraniens, mais la voie transfrontalière irano-turque est parfois coupée par les opérations militaires contre les Kurdes. En fait les groupes les premiers disponibles prennent la voie turque au moment des débuts de phases culturales du pavot et les retardataires empruntent la voie azérie et géorgienne, où le décalage cultural varie entre deux et quatre semaines. Dans l’un et l’autre cas les groupes demeurent soudés et affirment leur identité Baloutche :

« Ce n’est pas le moment de faire bande à part 14; les itinéraires par le Caucase sont très dangereux ; guerre chronique en Tchétchénie et en Ossétie ; et ceux par la Turquie ne sont guère plus rassurants ; l’armée iranienne nous contrôle plusieurs fois par jour et le passage des zones kurdes nous coûte autant, en bakchichs, que la traversée de la Géorgie.(…) Disons que l’hiver il vaut mieux prendre la route de la Turquie (…) et puis, attendre la marchandise à Trabzon, c’est plus agréable qu’à Poti. »

Avec surprise nous constatons que les groupes qui se constituent après les allers-retours sur la Mer Noire, pour passer le « chargement » de produits livrés par des avions cargos dans les petits aéroports côtiers turcs et géorgiens, sur les routes qui quittent les rives bulgares, roumaines et ukrainiennes sont mixtes : Baloutches, autres Proche-orientaux, Turcs ou/et Polonais, lorsque les transmigrants empruntent les « voies du nord », vers l’Allemagne ; ils sont rejoints par des Ukrainiens, des Abkhazes et d’autres Afghans débarqués à Odessa. Quelques Russes, après avoir effectué le parcours maritime de Sotchi à Odessa, se mêlent à eux. La mixité de ce cosmopolitisme circulatoire est intense. Il en va de même pour ceux qui empruntent la « voie du Sud », par la Bulgarie, la Macédoine et le Kosovo, l’Albanie, l’Italie du Sud puis l’Espagne : les Baloutches se mêlent à des Bulgares, des Roumains, des Serbes, et des Albanais. Comme si, après une spécialisation ethnique dans le premier itinéraire vers le Mer Noire, et une forte mobilité de port à ports sur cette Mer, les groupes étaient recomposés dans la plus grande diversité.

Sur la Mer Noire les Baloutches effectuent en moyenne huit traversées, chargés des produits « passed by Dubaï », d’usages licites donc, pour une valeur globale d’environ cent mille dollars chacun : le port de destination est quasi exclusivement celui de Burgas, en « Europ Bulgare » selon l’expression consacrée ; les ports de retour et de chargement sont Poti, en Géorgie, Trabzon, Samson, en Turquie, et parfois, pour des déchargements de marchandises passées par la Bulgarie et en provenance de la Communauté Européenne, Soukhoumi, en Abkhazie, Odessa, en Ukraine et Sotchi, en Russie. Depuis ces trois derniers ports des navires abordent Trabzon pour faire le plein de marchandises passées par le Golfe et, accessoirement, pour débarquer toutes sortes de marchandises, souvent artisanales, fabriquées dans la CEI15 , revendues, en gros ou en détail, dans le grand marché russe du port. Des cargos Iraniens, Egyptiens, Libanais et Syriens, chargent ces multiples arrivages. L’absence d’Istanbul, porte méditerranéenne de la Mer Noire est évidente16.

Les cargos utilisés pour les échanges intra-Mer Noire sont généralement mixtes, c’est-à-dire sont aménagés pour transporter des voyageurs, le plus fréquemment des accompagnateurs des marchandises. Enfin ces circulations génèrent une abondance de mouvements de petits caboteurs, ou de grandes barques, chargés de récupérer les « marchandises sensibles », c’est-à-dire passées hors taxes et souvent en dérogation des contingentements, à quelques heures de l’arrivée à destination, pour les débarquer dans des petits ports de pêche où leurs propriétaires viennent les récupérer, après s’être libérés des démarches d’importation de quelques marchandises débarquées vers des destinations officielles17LandofGiants2

Ces premières mobilités portuaires autour de la commercialisation des marchandises d’usages licites sont complétées par celles pour la répartition et la diffusion des marchandises d’usages illicites, les drogues opiacées en premier lieu : bien sûr les cargos requis sont en apparence les mêmes que ceux transportant des produits d’usages licites, mais les passagers, eux, sont différents : alors que les Afghans, au fur et à mesure de la répétition des traversées de Trabzon ou de Poti vers Burgas, puis de Burgas vers les mêmes ports et vers Sotchi et Odessa, se mêlent avec les habitants des cinq ou six (Abkhazie) nations qui bordent la Mer Noire, augmentés de Polonais et de Serbes attirés par les sources d’arrivage des produits passés par le Golfe, les transports de cargaisons de dérivés d’opium ne supportent que des accompagnateurs d’identités uniques… Géorgiens, ou Russes ou Ukrainiens. Il en va de même lors des escales dans les hôtels des ports, puis, plus tard, lors des accompagnements par les voies terrestres. Les femmes, pour le travail du sexe dans les ports turcs, embarquent à Sotchi lorsqu’elles sont originaires des républiques caucasiennes et à Odessa lorsqu’elles sont Moldaves ou Ukrainiennes et se rendent vers une destination unique en Italie du Sud ou sur les côtes du Levant espagnol.

3- Devenir « voyageur » transmigrant.

« (…) c’est pendant le mois des traversées que nous apprenons la langue universelle : le ‘broken english’ que nous parlons de l’Afghanistan à la Mer Noire, se charge de mots russes , polonais et bulgares, ajoutés une fois pour toutes ou à utiliser selon les lieux.(…) et ça, le renouvellement du broken, on le fera ensuite selon les chemins qu’on prend. (…) on apprend pendant ce mois sur mer et dans les ports à parler à tous, comme si on avait inventé la langue passe-partout, alors tu es bien dans tous les ports et après, si on va vers l’Europe ; les gestes restent les mêmes, le broken english organise la parole, et les mots nouveaux apparaissent selon où tu es et à qui tu parles.(…) » (un Baloutche Iranien de Meched circulant en compagnie d’un Baloutche Afghan d’Hérat).

« (…) moi, ce qui m’a le plus secoué, et qui a fait que j’ai poursuivi la route vers l’Italie, c’est de constater que je pouvais parler à tous, mais surtout d’entendre des anciens revenus déjà d’Espagne, nous dire que tout le long du chemin il y a des terres des croyants.(…) tu sais que c’est plus facile pour la prière et pour du travail en route, et on te dit qu’un tel de Kandahar ou de Farah s’est marié avec une fille de croyants et maintenant travaille comme berger, ou boucher, ou agriculteur en Macédoine ou en Italie.(…) là où il est, ça devient une étape. (…) j’ai appris aussi, dans nos discussions à Trabzon, et quand j’ai navigué avec des Polonais ou des Ukrainiens, que peu importe la religion pour faire du commerce de parole chez les pauvres. Au contraire, plus tu circules avec des compagnons de langues et de religions différentes, plus tu as des chances d’aller loin et de faire de plus grands projets (…). J’ai aussi compris, sur la mer, que si j’allais vers le nord, je serais toujours avec des Turcs, oui mais comme patrons, et des Polonais ; et au Sud c’est beaucoup plus mélangé, tu n’es pas aussi encadré ; peut-être un peu par des Marocains ; (…) bien sûr j’ai choisi le sud(…) tout ça, c’est à Trabzon et dans les autres ports, Odessa, Burgas qu’on l’apprend avec ceux qui ont déjà fait la route, avec ceux qui arrivent pour la première fois (…) et tu as confiance ou non, quelle que soit l’origine(…) ». (Baloutche Afghan de Farah).

3.1-L’entité « rives de la Mer Noire » : les mélanges, les recompositions pour prendre la « bonne route ». Un port emblématique : Trabzon ou Trébizonde.

Trabzon, port situé au nord est de la Turquie, non loin de la frontière géorgienne, est emblématique des brassages sociaux, ethniques et économiques caractéristiques des ports de la Mer Noire. Lieu de sortie de produits vivriers, de minéraux et de populations Moyen orientales à destination de l’Europe et passant par la ville turque de Van, il est situé entre deux autres grands ports sur la Mer Noire, Samson et son important trafic industriel de fabrications turques en sous-traitance européenne, et Poti, nouveau port polyvalent géorgien. Cette ville, presque millionnaire, est le fruit d’une histoire cosmopolite à la hauteur de celle d’Istanbul : capitale de « l’empire Byzantin de Trébizonde » du XIIIème au XVème siècle, après la chute de Byzance, elle fut peuplée jusqu’au début du XXème par de fortes minorités Grecques et Arméniennes, partiellement déportées et massacrées entre 1915 et 1923. Ces populations sont encore présentes, augmentées d’Italiens, attirant des communautés des différentes Eglises chrétiennes18, et donc perpétuant le commerce de proximité ou de transit avec les différentes nations riveraines de la Mer Noire et de grands ports méditerranéens.

Les quartiers de la « ville basse19 », autour du Port, abritent, dans les mêmes rues, des immeubles délabrés, étapes de nombreux migrants de passage, et des hôtels modestes pour les marins d’origines variées de par le monde, ou de classe internationale dans lesquels nous avons rencontré des cadres commerciaux du Golfe, d’Iran, du Liban, d’Ukraine et de Russie20. Les rez de chaussée sont occupés par des restaurants populaires offrant des plats turcs, exposés en devanture.

Les rythmes nocturnes débutent à huit heures par l’ouverture des restaurants qui mêlent, autour de repas aux prix variant de deux à quinze euros, et à l’exclusion des restaurants de la ville haute21, l’ensemble des populations hébergées dans la ville basse portuaire. Les transmigrants Baloutches, qui enchaînent jusqu’à dix allers-retours de Trabzon ou Poti à Burgas ou Varna, interpellent d’autres transmigrants, Kurdes, Pakistanais, Irakiens, Abkhazes, Ukrainiens,…, qu’ils ont déjà croisés au cours de leurs pérégrinations sur la Mer Noire et ses ports. Les uns et les autres changent de tables et recomposent des groupes originaux, changent d’hébergement pour continuer les discussions ; il est souvent question de l’au-delà des ports bulgares, de cette route encore mystérieuse que certains choisiront peut-être de parcourir à travers l’Europe.

Au même moment les prostituées22 prennent leur repas dans les salles d’accueil des hôtels, avant d’arpenter les rues ou de se tenir dans des couloirs d’hôtels délabrés, dans la plus grande mixité d’origines : encore une fois les populations caucasiennes et Balkaniques du pourtour maritime sont présentes, les Russes dominant. Les marchands de psychotropes offrent la gamme des « appellations » d’héroïne et de morphine, afghane, géorgienne et turque, puis ukrainienne et russe, dont les prix par gramme varient, suivant des critères de notoriété, de huit à douze euros. Nous n’avons trouvé aucune trace de rixes opposant ces vendeurs ; par contre les chaussées jouxtant les portes de bars à bière ‘Ephes’, sont fréquemment le théâtre de bagarres généralisées, passé minuit : plus que de rivalités ethniques, les protagonistes se réclament de tel ou tel équipage. Les clients des restaurants, qui occupent les salles durant plusieurs heures, s’interpellent de table à table, expérimentant là leur « broken universel » en cours d’acquisition ou bien déjà maîtrisé : leur registre linguistique trahit alors la pratique des itinéraires nord ou sud européens. L’ajustement langagier nord-sud est rapidement réalisé.

Tout, dans ces sociabilités nocturnes comme dans les activités économiques diurnes, est occasion de mixité cosmopolite. Parmi les échanges diurnes il faut noter le rôle des deux marchés dans le brassage des populations : le « marché russe », proche du port de pêche, un kilomètre à l’ouest du port marchand et industriel, où sont proposées toute sorte de marchandises fabriquées dans la CEI, du peigne en plastique aux icônes et aux fleurs moulés dans la même matière, en passant par les jumelles soi-disant militaires, aux lentilles toujours de plastique. Ces ventes se doublent d’un ballet incessant de camions venus là charger des cartons au contenu mystérieux. Le second marché est celui du souk artisanal traditionnel attenant, car là, il n’y a plus de ville haute ou basse, mais une pente douce menant des collines périurbaines à la mer et peuplée de maisons basses traditionnelles qui hébergent les boutiques. De très nombreux restaurants, dans ou près des marchés, accueillent des milliers de consommateurs pour des repas de midi à bon prix, consommés debout dans la rue ou sur des terrasses qui empiètent quelques heures sur la chaussée. Les bagarres nocturnes entre équipages sont relayées par les bruyantes altercations, klaxons à l’appui, entre garçons de service et conducteurs empêchés de circuler. Là se rejouent, plus brièvement, les scènes de mixité observées le soir près du port. Chaque jour ce spectacle se reproduit mêlant acteurs locaux d’origines diverses et voyageurs, marins et transmigrants, d’origines plus variées encore.

Les prostituées ne figurent pas dans les interactions de midi, sinon comme consommatrices des repas pris en terrasses, mais de nombreuses femmes sont là, qui achètent ou vendent des légumes et d’autres marchandises dans les nombreuses échoppes regroupées ou dispersées le long des rues sinueuses et étroites. Les sociabilités nocturnes mêlent toutes les personnes qui ont à voir avec les commerces trans-Mer Noire, en un lieu aussi composite que spécialisé et selon des rythmes sociaux autres, en rupture avec ceux de la société locale ; par contraste, malgré l’apparente ressemblance des bruits et des visages, les sociabilités de midi arriment ces mêmes populations à la société urbaine locale la plus traditionnelle.

3.2- Territoires circulatoires et nouveaux métissages langagiers : vers un pidgin universel et un cosmopolitisme migratoire.

En somme, nous sommes là à l’école de « l’universalisme migratoire » : découverte et attraction de l’altérité par ceux, tels nos Baloutches primo-migrants, qui jusque là s’étaient protégés par l’accompagnement identitaire ethnique. Cette pédagogie du cosmopolitisme permet la poursuite du voyage, l’entrée dans la transmigration européenne :

« C’est dans les ports de la Mer Noire, quand nous (Baloutches Iraniens) attendons les marchandises ou bien nous essayons de trouver des compagnons de voyage, que nous préparons vraiment le grand voyage, celui qui peut aller jusqu’en Espagne et durer un an (…). D’abord nous apprenons à parler, et on se comprend, à tous ceux qui passent pour le commerce : tu me comprends, et pourtant tu es français et tu n’as jamais vécu en Iran, et moi pas plus en France23. (…) parce que c’est très important de tout entendre, à la table à côté où on peut toujours aller si ce qui se dit est vraiment intéressant : d’où viennent telles marchandises, où elles peuvent se vendre, comment faire les prix, combien il faut en prendre et comment on sera réapprovisionné en route ; où sont nos amis, chez qui on peut s’arrêter, à condition de voyager avec qui et qui encore. Bref, savoir la route, mais une route qui n’est pas seulement un sens de circulation, une longue route large de plusieurs kilomètres, avec des maisons où on peut s’arrêter une heure ou dix jours, où d’autres, qui faisaient la route, se sont parfois définitivement arrêtés, bloqués par un mariage, un travail (…) et puis on ne les oublie jamais : même si nous ne les connaissons pas, même s’ils sont Kurdes et nous Baloutches, nous arrivons et nous disons : « à Trabzon on m’a dit… », et c’est l’accueil, les discussions, le repas et l’hébergement. (…) on lui montre les marchandises et il va au village chercher des clients, c’est son importance ici. Donnant-donnant. (…) »

Nous nommons ces entrelacs de sociabilités, ces topiques relationnelles qui font couloirs migratoires et étapes les « territoires circulatoires ».

« Ceux qui reviennent d’une grande tournée en Europe disent tous qu’ils ont découvert des couloirs d’accueil qui n’en finissent pas (Kurde et Baloutche Iraniens), (…) dans les Balkans, la trace des Sultans est toujours là ; déjà en Bulgarie, des Slaves musulmans, oui, blonds avec les yeux bleus (les Pomaks, ndla) , puis quelques kilomètres et les Albanais musulmans sont en Macédoine, et aussi en Italie, à Brindisi et près de Rome24, mais aussi dans toutes les grandes villes, comme en France et en Espagne (…). Partout ils sont pauvres et nous accueillent pour le commerce, pas parce que nous sommes surtout des musulmans, mais ça compte, ils sont maltraités, et c’est pour ça qu’ils sont accueillants pour nous. Ils nous accueillent parce qu’ils sont pauvres, nous aussi et nos clients aussi (…) Bon, tout le long on a la possibilité de passer par telle route ou telle autre dans le vaste couloir de nos amis.(…) on circule dans la vaste nation des pauvres, donc dans le monde sans frontières des « parents-par-la-pauvreté ».(…) »

Pour nos Baloutches, et tant d’autres, les chemins étroits organisent cartographiquement le voyage entre semblables, en unités ethniques, de chez eux aux rives de l’entité « Mer Noire » ; les passages de la Mer lors des nombreux allers-retours de livraisons, les interactions sociales développées dans les ports et sur les cargos, transforment l’identité en altérité, et le chemin en territoire. Dès lors certains d’entre eux sont prêts à poursuivre, en Europe, leur migration qui devient transmigration25 : savoir entrer-sortir et faire étape. La pédagogie de l’ « étape Mer Noire » ne s’arrête pas là : le temps et l’expérience des traversées est aussi formation profonde à la logique économique du « poor to poor » : la maîtrise de la « moins-value positive ».LandofGiants3

En contraste avec ce récit « heureux » de l’autogestion de leur migration par des Baloutches, Afghans et Iraniens, à partir de leur entrée dans l’univers des altérités de la Mer Noire et de leur découverte de territoires des circulations européennes, les migrants Géorgiens qui se sont, dès la fin du socialisme et la liberté retrouvée de circuler, spécialisés dans des activités criminelles26. Ces migrants « mono-identitaires » formèrent rapidement l’ossature de réseaux criminels pour les trafics de femmes vers l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne et d’autres pays nordiques ; nous les retrouvons, dans nos enquêtes27, dans les réseaux de distribution de psychotropes en Europe de l’Ouest, comme dans la protection de lieux de prostitution, tels les « Clubs » du Levant espagnol, ou les routes et autoroutes françaises. Ce contraste est important pour la compréhension des dispositions à l’altérité des transmigrants commerçants de produits d’usage licite. Les croisements et les brefs accompagnements entre réseaux criminels et transmigrants du poor to poor n’aboutissent jamais, à notre connaissance, à une fusion des deux formations mondialisées.

4- Devenir « entrepreneur ». Moins-value positive et circulation transmigratoire entre réseaux de l’officialité et réseaux des activités criminelles. La Mer Noire comme moral area de la mondialisation.

Bakhan, Baloutche iranien installé, de 2006 à 2011, comme aconier au port bulgare de Burgas, à propos de la « moins value positive » :

« on (les Afghans, ndla) cultive le pavot en Turquie et en Géorgie, comme ouvriers agricoles de passage, (…) les trafiquants turcs transforment l’opium. Il est cédé aux clients Russes, Italiens, Bulgares qui revendent rapidement de l’héroïne et de la morphine, et tout cet argent sale, c’est nous qui le blanchissons avec le commerce des marchandises passées par le Golfe. (…) c’est comme quand nous cultivons les pavots, nous ne connaissons pas les crapules qui transforment la drogue (…) nous sommes des ouvriers agricoles (…) un peu dans le même monde des commerces cachés, mais pas criminels (…) pour blanchir l’argent des trafiquants, nous cédons environ 40% de nos marchandises à des marchands officiels, installés dans les villes, comme les Syriens à Sofia ; ils vendent au prix fort et nous, nous pouvons avoir l’avance pour les commerçants de Dubaï et baisser encore nos prix avec l’argent que les trafiquants acceptent de perdre dans le blanchiment.(…) ».

Au passage de la Mer Noire, l’héroïne, en Europe de l’Est, double sa valeur : autant d’argent à blanchir, dont 20% pourront être réinjectés, comme « moins value positive28 », dans l’abaissement des coûts des marchandises passées par le Golfe. Nouvelle « qualité », économique cette fois, des apprentissages lors des traversées de la Mer Noire29. Désormais le territoire circulatoire est balisé de ces lieux-ruptures de valeurs des psychotropes qui enrichissent les réseaux criminels, nourrissent en « moins values positives » les commerçants transmigrants et créent les opportunités de réapprovisionnements en marchandises « passed by Dubaï » et, pour partie, cédées aux commerçants « officiels », pour le plus grand bénéfice des majors du Sud-est Asiatique : l’alliance des mondialisations est caractéristique des morals areas migratoires. Autres lieux de survalorisation des psychotropes : le passage de la Mer Adriatique avec doublement du prix des produits opiacés, et la Méditerranée, d’Italie du Sud à l’Andalousie, avec encore 25% d’augmentation… quoi d’’étonnant à ce que les transmigrants soient réapprovisionnés en marchandises, depuis le Golfe, dans l’extrême sud italien ? C’est ainsi que les territoires circulatoires des transmigrants, topiques de mémoires et d’interactions sociales en mobilité, sont charpentés par des réseaux criminels d’une part et par la distribution officielle d’autre part. Ces derniers créent l’illusion d’une organisation en réseaux de la mobilité des transmigrants, alors que le cheminement partagé, comme le commerce parmi les pauvres, sont affaire de rencontres, d’opportunités et de transactions directes, horizontales :

« …des réseaux, c’est quoi ? pour quoi faire ? les clients c’est les pauvres, ils sont partout, en face, à côté, derrière toi, ils te paient de suite, et même t’accueillent chez eux.(…) Pas de magasins, pas de crédit, pas de papiers, pas de remboursements, pas de reprises ni de réparations donc pas de réseaux.(…) C’est nous les réseaux ? mais même quand nous nous associons avec d’autres peuples, en Mer Noire, nous ne choisissons nos nouveaux compagnons que par amitié, comme nos frères quand nous partons d’Hérat. Alors c’est quoi les réseaux ? » (Afghan d’Hérat, propriétaire d’un commerce d’appareils photographiques, après cinq années de colportage transmigratoire).

La Mer Noire, avec ses pulsions d’attraction des groupes de migrants ethniques et de dispersion des mêmes, après brassages, en milieux cosmopolites, avec l’intensité de ses échanges portuaire et en navigation, ressemble typologiquement à la « moral area » du Chicago de Robert Ezra Park des années 30 et de sa postérité d’ethno-sociologues, jusqu’à aujourd’hui30.

L’enquête empirique nous a appris que ces nouvelles « moral areas » de la mondialisation migratoire sont à aborder en termes de temporalités -interactions, rencontres, transactions, circulations, tournées- qui affectent de sens les lieux supports aux mobilités31 et disent les nouvelles frontières suggérées par les circulations des transmigrants, du continent à l’enclave urbaine.

« …allons, retournons, après tant d’escales dans les mondes des Dieux nous connaîtrons mieux nos villages ». Ulysse,Odyssée.

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Bibliographie :

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La mondialisation par le bas, les nomades des économies souterraines. Balland, 2003.

La remontée des Sud, Afghans et Marocains en Europe méridionale, l’Aube, 2007.

Migrations internationales et nouveaux réseaux criminels. Trabucaire, 2010. Avec Olivier Bernet.

Transmigrants et nouveaux étrangers.Hospitalités croisées entre jeunes des quartiers enclavés et migrants internationaux du poor to poor. 2013-PUM. Avec Lamia Missaoui et Fatima Qacha.

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S. Yérasimos, Istanbul, approche géopolitique d’une métropole, Hérodote, 103.2001.

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Notes

1 Ces transmigrants ne se confondent évidemment pas avec les immigrants « traditionnels » : par exemple, si les transmigrants Afghans entrent en Europe par la Bulgarie, les immigrants Afghans « de la misère » (c’est ainsi qu’on les désigne) passent en Europe par la Grèce. Ce sont ces derniers que l’on retrouve vers Calais, essayant de franchir la Manche, et que, à cadence régulière, les autorités brandissent en suggérant des images très dégradées des migrants pauvres … qui, somme toute, invisibilisent les transmigrants, hors de portée des logiques brutales et simplistes du migrant-« misère du monde ». On lira les travaux de Smaïn Laacher pour comprendre ces tentatives immigratoires vers l’Angleterre.

2 Retour sur le devant de la scène économique de pratiques commerciales anachroniques, de « replis de l’histoire » (Yves Barel , bibliographie) si précisément décrites, en ce qui concerne les colporteurs, par Laurence Fontaine (bibliographie).

3 C’est ainsi que, depuis 2003 environ les grandes marques asiatiques (Nikon, Canon, Sony, Olympus, Fuji, etc. .. développent des produits d’entrée de gamme à des prix variant de 60 € pour la commercialisation officielle à 25 ou 30 € par le poor to poor. Les nations pauvres, dernières de la classe mondiale, comme les populations pauvres des nations riches, dernières de la classe locale, accèdent à ces produits…

4 Enquêtes 2007 et 2010 Alain Tarrius et Université de Sofia, Professeur Katia Vladimirova. Des Baloutches Iraniens sont aussi du voyage. Les Baloutches Afghans, apparentés aux Iraniens, demandent des passeports aux autorités iraniennes, qui y consentent : ainsi ils peuvent aborder la Turquie sans visa (accords bilatéraux).

5 Des flux Ukrainiens, par Odessa, Géorgiens, par Poti et Soukhoumi, entretiennent les mêmes mobilités vers la Bulgarie d’une part, la Pologne d’autre part (chiffre d’affaires évalué imprécisément par la faculté d’Etat, section internationale, à 5 milliards de dollars. D’autre part la filière Golfe/ Djedda, par le pèlerinage/ Dakar/ Miami/ Amérique Latine, commercialise en poor to poor le montant cumulé des transactions-Mer Noire.

6 Prix de vente dans les réseaux commerciaux européens officiels (ex : FNAC) soit 2,4 milliards de dollars hors taxes (prix importation Dubaï).

7 Entretien rapporté dans Alain Tarrius, Lamia Missaoui, Fatima Qacha, Transmigrants et nouveaux étrangers. Quand les populations françaises enclavées accueillent les migrants internationaux de l’économie mondiale du poor to poor. A paraître fin 2012.

8 Deux entretiens enregistrés, d’environ deux heures chacun, à Damas, en marge d’un colloque international organisé par le gouvernement syrien et l’ambassade de France : Mondialisation et régulation internationale : vers une nouvelle solidarité mondiale ? du 9 au 13 décembre 2005, Université de Damas.

9 La précision est importante : à cette condition d’exclusivité ces produits bénéficient d’un ‘sans taxe’ quasiment intégral (OMC).

10 Une banque anglaise très connue ouvre systématiquement des agences dans les villes moyen-orientales signalées comme carrefours de transmigrants.

11 Pour ces logiques marchandes, voir A. Tarrius La mondialisation par le bas Balland 2002 et Arabes de France dans l’économie souterraine mondiale L’Aube, 1995 ;

12 Environ 30 % de la valeur hors taxe des marchandises, soit globalement et annuellement environ 720 millions de dollars.

13 Erwin Goffman à propos de la description des contextes des situations d’interactions étudiées.

14 Le « broken english-etc. .. » est transcrit ou traduit en français conversationnel.

15 CEI, Communauté des Etats Indépendants, formée d’ex « Républiques Socialiste » sœurs, et pratiquant l’interdépendance économique depuis longtemps dans le cadre du Comecom.

16 Le port d’Istanbul est historiquement (XXème) évité par les acconiers d’Odessa, très souvent Grecs, et de Burgas, pour de profonds différends politiques. Actuellement les surveillances exercées sur le Bosphore par les Américains (7 tours-radars et un satellite géostationnaire qui identifient un objet de 25 cm) découragent la pratique des déchargements clandestins mais massifs pratiqués, avant l’arrivée sur les quais de déchargement des autres ports de la Mer Noire…nos transmigrants disent qu’Istanbul est « voué aux tapis et aux marchandises chinoises ». On comprend que la route des Baloutches, Kurdes, etc, bifurque à Van vers Trabzon.

17 Nous avons recensé fin Mai 2008 quotidiennement, 65 passages de cargos mixtes, des diverses origines signalées, dans le port de Trabzon, 52 à Poti et 87 à Burgas.

18 Présence de nombreuses Eglises Orthodoxes autocéphales, de l’Eglise catholique (couvent Ste Marie, dominant le port), avec leurs écoles et collèges et leurs diverses associations caritatives ; chaque communauté nationale, qui aujourd’hui se reconnait dans ces appartenances religieuses, s’enorgueillit de ses implantations commerciales, visibles généralement sur le Port.

19 Dénominations qui tiennent au fait que le port et les immeubles qui le jouxtent sont construits au bas d’une falaise sur laquelle la « ville haute » héberge populations et activités locales et régionales.

20 Enquête mai juin 2008. Voir Alain Tarrius et Olivier Bernet, Migrants internationaux et nouveaux réseaux criminels. Ed Trabucaire, 2010.

21 Restaurants de la ville haute surtout situés autour des haltes d’autobus et de taxis collectifs régionaux. L’espace de la ville basse portuaire est quasiment réservé exclusivement aux voyageurs, migrants et marins internationaux.

22 Nous en avons compté plus de 24o chaque soir des dix journées d’enquête,  sur les deux ares et demi de surface de chalandise, soit environ une femme pour 10 m2.

23 Entretien retranscrit « littérairement » ; la copie littérale des échanges réels, gestes et « langage », dans ce pidgin, est incompréhensible et peu réalisable.

24 Il s’agit de migrations albanaises, depuis plusieurs générations, qui ont été fixées par les autorités dans la zone montagneuse des Abruzzes, à l’est du Latium.

25 En juin 2008 nos enquêtes dénombraient 2160 Afghans au passage de Kjustendil et Kriva-Palenka, sur la frontière bulgaro-macédonienne.

26 Depuis 2006 l’entrée en Bulgarie est interdite aux Géorgiens, sources de violences sous couvert d’entreprises de « gardiennage », « protection », etc.. .

27 Alain Tarrius, La remontée des Sud. Afghans et Marocains en Europe méridionale. L’Aube, 2007, et Alain Tarrius et Olivier Bernet, Migrations internationales et nouveaux réseaux criminels, Trabucaire, 2010.

28 Bajhan, l’aconier de Burgas, revendique la paternité de cette notion : par dérision « de ceux de la City », dit-il.

29 Le même phénomène ne se produit pas au retour avec la cocaïne dont le prix de vente devient trop élevé à l’est de la Mer Adriatique et est supplantée par une métamphétamine, le speed ou ice drogue de synthèse au prix nettement plus bas et aux effets immédiats proches mais plus dévastateurs à court terme.

30 Les approches actuelles se sont enrichies de l’apport de l’interactionnisme symbolique en complément des pratiques ethnographiques des premiers sociologues de « l’Ecole de Chicago ».

31 L’identité revendiquée n’est plus celle du lieu d’origine ou d’arrêt, devenus moments du départ et étape, mais du moment de la circulation : Alain Tarrius, Les nouveaux cosmopolitismes, mobilités, identités et territoires, L’Aube 2001 ;

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