En attendant le « monde d’après »

Source inconnue
Stéphane François a publié une longue note quant à la façon dont la pandémie pourrait être aussi le risque d’une revalorisation d’idées radicales, réinsérées dans les débats présents : L’éternel retour du « monde d’avant », Chaire citoyenneté, Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, mai 2020.
Vous pouvez lire l’étude directement sur le site de la Chaire.
Elle est parue en partenariat avec Libération, qui a proposé plusieurs compléments :
La pandémie de Covid-19, le réchauffement climatique et «monde d’après» ne sont pas fatalement annonciateurs d’un monde plus social et plus écologiste. Ils pourraient aussi nourrir l’émergence d’un monde plus racial et raciste. La «panique morale» qui a saisi divers éditorialistes au sujet de banlieues dites insoumises au confinement en a été un exemple saisissant : elle n’était pas sans évoquer les tendances survivalistes aujourd’hui très à la mode, mais en réalité aussi très liées à la radicalité de droite. Dans cette idéologie, le territoire national serait voué à s’autodétruire par l’affrontement des cités à peuplement allogène et les zones de repli des Blancs.
Ces représentations de temps de crise ne surgissent pas du néant, elles ont été longuement produites dans des niches sociales. Certains, à l’extrême droite, espèrent voir la crise sanitaire justifier, au nom de l’écologie et de la souveraineté industrielle, cette proposition localiste. Le discours est devenu si commun qu’il a même été adopté par Marine Le Pen, laquelle l’a fait réapparaître pendant l’épisode du confinement. Pour que «le meilleur» puisse «ressortir du drame» de la crise sanitaire, a-t-elle dit, il faudrait «changer un modèle économique ultralibéral qui nous appauvrit» pour lui préférer le localisme. Celui de la droite radicale s’accompagne d’une politique agricole nationaliste : le localisme, ici, veut dire «enracinement», et s’oppose à l’«idéologie du nomadisme» de l’économie mondialisée.
Tribune de Stéphane François : « Covid-19 : le «localisme» ou comment l’extrême droite rêve un «monde d’après» raciste » que vous pouvez retrouver ici.
La crise du Covid-19 a remis l’écologie au premier plan des préoccupations et l’extrême droite entend bien en tirer profit, en contestant à la gauche son magistère vert. Avec une pensée qui relève plus d’un souci ethniciste que de la protection de l’environnement. «La dimension écologique du patriotisme est certaine, […] la gauche n’a aucune légitimité dans ce domaine !» vient ainsi d’affirmer Marion Maréchal au journal turc Aydinlik. Et d’ajouter que «la problématique du réchauffement climatique a en quelque sorte vidé de sa substance la véritable écologie». Car pour la nièce Le Pen, la protection de l’environnement est réactionnaire, faite de frontières, de nations («Je trouve le slogan « Réponse globale au problème mondial » absurde», dit-elle notamment) et de foi catholique. Une vision du monde développée de longue date par les penseurs d’extrême droite.
En France, cette forme d’écologie s’enracine dans les mouvements les plus radicaux qui s’inspirent à la fois de la «révolution conservatrice» allemande de l’entre-deux-guerres et des théories nazies, détaille l’historien et politologue Stéphane François dans une note pour la chaire «citoyenneté» de Sciences-Po Saint-Germain-en-Laye, en partenariat avec Libération.
Un grand dossier réalisé par les journalistes Maxime Macé et Pierre Plottu : « Ecologie : l’extrême droite se camoufle en brun et vert« .
Peut-on résumer la montée en puissance de l’écologie dans le discours d’extrême droite à une passade opportuniste ?
Cela dépend des courants et des générations. Si on remonte à 1968, les radicaux d’extrême droite ont cherché un second souffle en tentant de reprendre des mots et des thèmes des gauches à la mode dans leur pays : en Italie avec le maoïsme, en France avec le trotskisme, aux Etats-Unis avec la contre-culture et en Allemagne avec l’écologie. Les radicaux allemands de l’époque se revendiquaient aussi beaucoup d’Otto Strasser, un cadre important du parti nazi qui avait fait scission avant la prise du pouvoir par Hitler et qui défendait une union européenne régionalisée avec une économie partiellement socialisée. Ce thème de la défense des communautés locales a souvent servi de passerelle. Certains ont complètement évolué, par exemple Henning Eichberg qui avait théorisé le concept d’ethnopluralisme et est devenu un homme de la gauche écologique. Chez les néonazis américains, c’était intégré à la passion antisémite, le racisme étant aussi le culte d’un état de nature fantasmé ; et à la fin des années 1970 en France, on a des néonazis eurorégionalistes très écologistes. Quand au Front national, il a eu un grand mal à considérer que la blague rituelle sur les «écologistes pastèques» («verts à l’extérieur et rouges à l’intérieur») ne suffisait pas à solder la question de l’écologie. Quand le FN des années 1990 parlait d’écologie, c’était une manière d’euphémiser un discours sur la race : pour beaucoup à l’extrême droite, la question de la société multiethnique et multiculturelle est le seul vrai sujet.
Un entretien complémentaire avec Nicolas Lebourg : « Le localisme est une manière de s’adapter à la demande électorale« .