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Fascisme français : trois portraits

Affiche du PPFPar Nicolas Lebourg

On a tout dit du fascisme en France : qu’il n’y avait jamais existé ou qu’il y était né. Le terme même de « faisceau » n’était pas inconnu de l’extrême droite française : l’agitateur populiste nationaliste et antisémite de Morès publie en 1896 sa « doctrine du Faisceau » visant à instaurer un socialisme national. L’un de ses disciples, Paul Lanoir, affirme en 1902 au premier conseil national des Jaunes dont il est le leader qu’il faut « unir en faisceau » les producteurs, et lance alors un slogan : « Patrie, Famille, Travail ».Verbiage socialiste, action contre-révolutionnaire, fièvre nationaliste, antisémitisme, irrationalisme du culte de la « terre et des morts » … tout cela fait certes penser au fascisme, n’en est pas fatalement éloigné, mais tout cela ne fait pas un fascisme et encore moins un fasciste. Pour voir des fascistes français, il faut attendre l’entre-deux-guerres. Et de la galerie de portraits, trois se détachent.

Georges Valois

La première formation fasciste en France est l’œuvre de Georges Valois (1878-1945). Militant syndicaliste-révolutionnaire adepte des œuvres de Sorel et Proudhon il rejoint l’Action Française en 1906. Maître d’œuvre du Cercle Proudhon il cherche à y fondre tout ensemble syndicalisme-révolutionnaire et nationalisme-intégral. Si Valois reconnaît à l’Italie d’avoir donné son nom et ses manières au fascisme il ne cesse jamais d’affirmer que cette idéologie c’est celle du nationalisme fin de siècle en France et que son fondateur c’est Maurice Barrès, socialiste nationaliste républicain et antiparlementaire ayant su regrouper autour de lui des hommes de gauche et de droite.

C’est le conflit qui fait évoluer Valois ; « la guerre a été pour nous tous une prodigieuse école » écrit-il en 1921. Il fait scission de l’Action Française en 1925 pour fonder la Faisceau : le nom est symptomatique, le choix de la date aussi : c’est le 11 novembre. Dans les discours de Valois il est toujours très clair que ce sont les anciens combattants de la Première guerre mondiale qui doivent mener la révolution fasciste pour sauver encore une fois la nation. Pour Valois, le fascisme c’est l’aboutissement de la Révolution française, trahie par le parlementarisme et le libéralisme, et du socialisme, trahi par le marxisme.

Mais, en une période de ressac du communisme, la violence anticapitaliste verbale du Faisceau effraye les petits bourgeois, fait se dégager les financiers, et induit l’échec. Valois se rapproche de la gauche dans les dernières années d’avant-guerre, entre ensuite dans la Résistance. Arrêté par les Allemands en 1941, il meurt dans le camp de Bergen-Belsen en 1945.

Jacques Doriot

Jacques Doriot (1898-1945) fut le seul leader fasciste en Europe à provenir du prolétariat. Syndicaliste-révolutionnaire, soldat courageux durant la guerre, il intègre le parti communiste lors de sa fondation. A vingt-six ans il est l’un de ses leaders mais s’oppose à la ligne « classe contre classe », estimant que face au péril fasciste les communistes doivent s’allier aux socialistes. Après le six février 1934 il anime un comité antifasciste. Sa position lui vaut d’être exclu par les staliniens. Doriot entre alors en contact avec l’extrême droite, en particulier Drieu la Rochelle qui publie en cette année 1934 son Socialisme fasciste. En 1936, il fonde le Parti Populaire Français, principal parti fasciste français par sa taille. Le PPF est violemment antisémite, organise le culte de la personnalité de Doriot. Mais il connaît le même problème que Valois : d’abord soutenu par les industriels le tassement de la vague révolutionnaire lui vaut une baisse de ses finances faisant reculer son mouvement.

Idéologiquement, le PPF n’a cessé de dévier du fascisme vers des positions qui, derrière la logomachie, relèvent de la réaction ultra : autant le fascisme de Valois est un « fascisme de gauche » autant celui de Doriot est franchement de droite. Il est toutefois parvenu à avoir plus de 50 000 adhérents (ce qui n’en fait pas un parti de masse mais est une réussite fabuleuse pour l’extrême droite française) largement issus des couches prolétariennes.

En juin 1941, Doriot fait partie des fondateurs de la Légion des Volontaires Français (LVF) et s’y intègre : il combat sur le Front de l’Est et revient régulièrement à Paris pour tenter d’y prendre le pouvoir. Le PPF s’intègre tant au Nouvel ordre européen qu’il organise un meeting le 15 février 1944 où l’intellectuel Lucien Rebatet finit son discours par « Mort aux Juifs, vive la révolution national-socialiste, vive la France ». Doriot est en 1944 des réfugiés français à Sigmaringsen où il tente d’organiser une contre-offensive. Il est finalement assassiné le 22 février 1945.

Marcel Déat

Intellectuel brillant, député de la Section Française de l’Internationale Ouvrière, Marcel Déat (1894-1955) est très influencé par les socialismes utopiques et en particulier par Proudhon. Antifasciste et pacifiste il considère qu’il faut disputer à l’extrême droite la clientèle des classes moyennes et pour cela anime un courant néo-socialiste qui rompt avec le marxisme pour définir le triptyque « Ordre-Autorité-Nation ». Il rompt avec la SFIO en 1933, pour s’engager plus avant dans le néo-socialisme et le pacifisme. C’est lui qui signe le célèbrissime article « Faut-il mourir pour Dantzig ? » le 4 mai 1939.

Au nom de l’Europe en paix il fonde avec Pierre Laval le Rassemblement National Populaire en 1941 et participe à la fondation de la LVF. Il passe l’essentiel de la guerre à essayer de faire du RNP le parti unique et à tenter de prendre le pouvoir ; il n’intègre qu’en février 1944 le gouvernement, devenant secrétaire d’Etat au Travail et à la Solidarité Nationale.

Son adhésion à la Collaboration est absolu : lorsque l’effondrement du régime vient à pas de géant il est persuadé qu’Hitler ne laisse pénétrer les Alliés que pour mieux les écraser avec des armes secrètes, les Alliés à quelques kilomètres de Paris il affirme que c’est une ruse d’Hitler qui a réactivé le pacte germano-soviétique et va écraser avec l’aide de Staline l’alliance juifs-Anglais-Américains… Il est le symbole de ce pacifisme qui passe à la Collaboration pour finir par un soutien hystérique au nazisme avec la volonté proclamée publiquement de couvrir la France de camps de concentration.

Caractéristiques structurelles

A l’instar de ses ténors, le fascisme français est empli de paradoxes. Le premier étant, que légitimé par le pacifisme découlant de la Première guerre mondiale et le refus de faire une nouvelle guerre contre l’Allemagne, il est dénué de dimension expansionniste (ce qui, si on se place une seconde dans le vocabulaire et la vision fascistes, signifie qu’il est émasculé). La germanophobie typique de l’extrême droite française se mue même en collaborationnisme : des deux grands chefs du fascisme français l’un choisit d’endosser l’uniforme allemand (Doriot) , l’autre celui de la Milice, c’est-à-dire de la guerre civile contre la Résistance (Déat, juin 1944). Un second paradoxe est que, constitué sur les bataillons de l’extrême droite, l’essentiel de ses leaders proviennent de la gauche. Un troisième est qu’il a donc manqué aux fascismes français ce qui fait le fascisme : les masses. Un quatrième est qu’il ne correspond en rien à la représentation pyramidale du fascisme : il est un réseau, un rhizome, une galaxie de groupuscules et groupements qui s’interconnectent. Un ultime est son rapport au nationalisme : ultra-nationaliste dans leurs valeurs les fascismes français ne cessent de parodier les fascismes italiens et allemands dans leurs pratiques et coutumes dans les années trente, renient leur patrie pour l’Axe lors de la guerre, en légitimant cet acte par une foi et une propagande européistes.