Mort aux bolchos [et plus si affinités]
Après la parution de Vive les Soviets. Un siècle d'affiches communistes de Romain Ducoulombier le 20 septembre dernier (voir cet entretien), les éditions Les Échappés publient son pendant: Mort aux Bolchos. Un siècle d'affiches anticommunistes de Nicolas Lebourg. L'éditeur a interrogé l'auteur sur ses choix d'affiches.
Quelle est votre affiche préférée? C'est délicat car il y a des artistes dotés de force talent et d'une grande technique, pour paraphraser Brassens, qui ont effectué des affiches peu sympathiques pour la propagande du IIIe Reich ou de mouvements fascistes.
Il n’est pas possible de dissocier la forme du fond, en louant un génie artistique abstrait. Parmi les affichistes de l’entre-deux-guerres, il est difficile de ne pas être impressionné par la puissance du trait d’André Galland. Celui-ci a su redéployer des techniques d’une pratique l’autre : caricatures de presse, croquis dans les tribunaux, grandes affiches. Au final, il y a un résultat impressionnant. Il y a un dessin de 1936 que j’aime beaucoup, qui présente un enfant à qui on défonce la boîte crânienne pour y faire rentrer un symbole communiste à coups de marteau. C’est une image d’une violence stupéfiante. Ce dessin qu’on hésiterait à faire paraître aujourd’hui tant il serait jugé «gore» émane de milieux ultra-conservateurs. En quelques traits, il nous dit beaucoup sur la virulence des controverses de l’époque.
Quel est le dessin ou le slogan qui vous a le plus impressionné?
C’est un train de wagons à bestiaux qui s’enfonce dans un paysage tout de blanc, une terre et un ciel de neige. Deux cadavres gelés sont le long des voies. Assise sur le toit du wagon de queue, il y a la Mort, engoncée dans une gabardine. En bas en lettres rouges «jamais!». En petit sur le wagon, en rouge aussi, il y a écrit « Sibérie ». C’est une affiche de la propagande allemande. Aujourd’hui, dans notre système référentiel, quand on la voit, on pense d’abord à Auschwitz. On est gêné par ce va-et-vient rétrospectif, on s’interroge. Comment pourrait-on mieux évoquer l’histoire européenne de la première moitié du XXe siècle? Ce dessin nous laisse un goût de cendres tant il y a de choses hors-champ qui nous viennent à l’esprit.
Peut-on mesurer l’impact des affiches sur le public?
Il s’agit d’imposer des représentations mentales, or on ne sonde ni les cœurs ni les reins… En revanche, il est bien certain que le ré-emploi manifeste souvent une capacité d’impact. La première affiche anti-bolchevique célèbre c’est «l’homme au couteau entre les dents», elle date de 1919, et elle a été parodiée un nombre incommensurable de fois. Durant la campagne des présidentielles de 2012, un montage à partir d’une affiche de Vichy a déferlé sur les réseaux sociaux. On avait trafiqué l’image pour affirmer que Nicolas Sarkozy avait emprunté à cette affiche l’expression de «vrai travail» pour la fête du premier mai. L’argument a été repris par Éva Joly ou Jean-Luc Mélenchon. C’était étonnant, car le hasard voulait que, quelques jours auparavant, j’avais écrit le passage dans le manuscrit qui traite précisément de l’affiche originelle. C’est une affiche très construite, emplie de symboles qui font sens dans leur contexte. Or, là, on voyait le document prendre de l’importance des décennies après, sans que plus personne ne perçoive les références qui y sont, mais en y plaquant un nouveau signifié. Cela démontre assez bien la puissance de l’affiche, la faiblesse de la preuve par l’image en matière de vérité, la façon dont l’image n’existe que par sa réception.
Quelle est la période ou l’homme politique qui vous intéresse particulièrement?
Je me suis beaucoup intéressé à François Duprat, l’une des personnes qui a permis la reconstruction des extrêmes droites en Europe après la Seconde guerre mondiale. Il a été mystérieusement assassiné en 1978, alors qu’il était le numéro 2 du Front National. C’est un personnage à tiroirs, très typique de l’époque, et en même temps avec une dimension humaine très riche. Avec Joseph Beauregard, j’ai écrit deux livres et un documentaire autour de cette problématique. J’avais obtenu le la commission en charge des dérogations l’autorisation d’accéder aux archives de l’enquête sur son assassinat, mais la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie avait alors usé d’un droit de veto. Il y a eu diverses complications. J’espère que c’est une affaire que l’on aura l’occasion de rouvrir avec cette méthodologie historique, car je pense que c’est une question démocratiquement importante.