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Éric Zemmour et le champ des extrêmes droites

Quelle position Éric Zemmour occupe-t-il dans le champ des extrêmes droites ? Pour répondre à cette question vous trouverez ci-dessous deux points de vue complémentaires.

Par Stéphane François

S’il existe différentes tendances à l’extrême droite, aujourd’hui, Éric Zemmour les agrège. Ce journaliste issu d’une famille juive d’Algérie, connu pour ses positions racistes et ses sorties antisémites, a adopté les thèses de l’extrême droite la plus radicale, telle l’idée d’une immigration perçue à la fois comme une forme de colonisation (le « grand remplacement ») et comme une source de criminalité. Il développe également un discours ouvertement décliniste (voir Le Suicide français, 2014), reprenant là encore une vision propre à l’extrême droite (elle imprégnait déjà Les Décombres, pamphlet collaborationniste de l’écrivain Lucien Rebatet paru en 1942).

Plutôt conservateur et souverainiste à l’origine, Éric Zemmour a radicalisé son discours dans un sens ouvertement raciste à partir de 2015, à la suite du succès de son livre Le Suicide français, qui défendait déjà Pétain. Depuis lors, il reprend l’idée, en l’accentuant progressivement, de la dangerosité de l’islam en France, chassant les traces d’une islamisation et d’un multiculturalisme prétendument destructeur d’identité jusque dans les prénoms, dont certains seraient l’expression d’un refus d’intégration. Ainsi, il s’oppose à l’immigration, aux mariages mixtes et au modèle actuel d’intégration, jugé trop laxiste et pas assez assimilationniste. Il reprend aussi, depuis 2009, les thèses de l’existence des races humaines, en particulier celle d’une continuité ethnique des populations européennes. Ses positions sur l’immigration lui ont ouvert les portes de l’extrême droite, en particulier celles de la Nouvelle droite, comme l’a montré sa séance de dédicace le 26 septembre 2018 à la Librairie Nouvelle tenue par François Bousquet, un proche d’Alain de Benoist – l’un des principaux théoriciens de la Nouvelle droite – et actuel rédacteur en chef d’Éléments. Zemmour a ainsi donné plusieurs longs entretiens à Éléments, réalisés à chaque avec François Bousquet.

Du fait de ses prises de position publiques, Éric Zemmour a été plusieurs fois condamné pour incitation à la haine raciale. La dernière date du 17 janvier 2022. Ces condamnations attirent les éléments les plus radicaux de l’extrême droite, séduits par la teneur de ces discours. Seuls les plus antisémites (Soral, Jérôme Bourbon, l’actuel directeur de publication du journal Rivarol, fondé en 1951 par des rescapés de la Collaboration, etc.) refusent encore de le suivre. Ce rôle fédérateur a longtemps été dévolu à Jean-Marie Le Pen, qui avait réussi à unir une grande partie de l’extrême droite française sous son nom.

Malgré tout, des négationnistes, des identitaires, des nostalgiques du régime de Vichy ou de l’Algérie française, des néo-droitiers, des catholiques traditionalistes et même un nombre grandissant de cadres du Rassemblement national (Chantal Dounot-Sobraquès, Nicolas Bay, Damien Rieu, Jean Messiha, Gilbert Collard, Jérôme Rivière, etc.) se reconnaissent dans sa candidature. Parmi ses soutiens, nous pouvons citer Philippe Randa, Jean-Yves Le Gallou, Philippe Millau, Tristan Mordrelle, Albéric Dumont, Karim Ouchikh (un proche de Renaud Camus), Philippe Schleiter (le neveu du négationniste Robert Faurisson), Bruno Mégret et, à quelque distance, Charles Million et Marion Maréchal, cette dernière étant en passe de le rejoindre. Plusieurs conservateurs ou membres des Républicains ont également rejoint Zemmour : Guillaume Peltier, Thierry Mariani (passé entre-temps au Rassemblement national), Jean-Frédéric Poisson, Laurence Trochu, Christine Boutin, etc., sans compter des électrons libres comme Paul-Marie Couteaux, Jacline Mouraud, une ancienne figure des Gilets Jaunes, ou Joachim Son-Forget… Zemmour attire aussi des violents, parfois issus des Zouaves et de Génération Identitaire, qui se sont fait remarquer par leur agression de militants de SOS Racisme lors de son congrès au parc des expositions de Villepinte le 5 décembre 2021.

Cela fait partie de la stratégie d’Éric Zemmour, qui est un partisan de la « droite hors les murs » et de l’« union des droites ». Ces concepts renvoient à l’idée d’agréger, ou d’unir, des militants de droite et d’extrême droite autour d’une personnalité forte n’étant pas connue pour son implication dans une organisation militante. Elle a été portée par des individus comme Patrick Buisson, Robert Ménard, Charles Fillon, et déjà Éric Zemmour, après les « Manifestations pour tous »… Il s’agit d’unir des militants autour d’un projet ouvertement conservateur sur le plan des mœurs et autoritaire sur le plan politique, avec un rejet affirmé de l’immigration extra-européenne, dans une logique identitaire. Longtemps considérée comme un échec par certains observateurs, cette stratégie semble payer pour Zemmour, qui se présente aux élections présidentielles de 2022.

Les militants sont à la fois attirés par son discours sur l’immigration et sa conception de l’histoire, en particulier celle de la Seconde Guerre mondiale et de la décolonisation, jouant sur les mémoires des rapatriés d’Algérie, qui relèvent à la fois d’une méconnaissance criante de l’Histoire et d’une réécriture idéologique (du régime de Vichy notamment), comme l’ont brillamment montré Laurent Joly et le collectif d’historiens qui a publié récemment Zemmour contre l’Histoire. En effet, le polémiste reprend allégrement les lieux communs typiques de l’extrême droite française sous le couvert de l’« anticonformisme ». Surtout, Éric Zemmour offre à l’extrême radicale, discréditée politiquement et idéologiquement, une voix qu’elle n’a plus depuis 1945, une voix face aux historiens « officiels », lesquels diffusent selon lui des « bobards ». Ainsi, la fondation Polémia de l’identitaire Jean-Yves Le Gallou décerne tous les ans des « bobards d’or », visant le supposé « politiquement correct » des « médias officiels ».


Ce texte est extrait de Stéphane François, « Territoires de l’extrême droite française« , La Vie des idées, 1er mars 2022.

Par Nicolas Lebourg

L’expression « Extrême droite » apparaît dans les années 1820 pour désigner un homme en colère car les institutions et élites provoqueraient une décadence menant la France au chaos. Il veut donc donner un coup de balai pour réinstaurer l’ordre. On reconnaît aussi un trait que l’historien considère comme structurant : les extrêmes droites se présentent comme des élites de rechange contre celles qui ont failli. Pour Éric Zemmour, élus, historiens et journalistes auraient livré la nation à sa déconstruction et au « grand remplacement ». Seule une perspective qui croirait naïvement que « l’extrême droite » renvoie aux divers régimes autoritaires et fascistes peut faire abstraction de ces concordances.

Depuis deux siècles, la notion a bien sûr recouvert bien des courants en bien des pays. Deux traits fondamentaux se retrouvent toujours. Sur le plan intérieur, l’extrême droite veut régénérer une société qu’elle conçoit comme un tout organique. Au plan extérieur, elle souhaite une redéfinition du système de relations internationales. Le premier point est le plus évident : considérant qu’il s’agit de sauver le pays d’un changement biologique, le candidat défend un nationalisme ethnique et réclame l’abrogation des législations prohibant la discrimination qui aboutiraient à ce que deux civilisations se partagent le sol français. Il récuse l’ordre international : généralisation de la primauté du droit français sur l’européen, subsidiarité entre Union Européenne et nations, dénonciation des instances juridiques supranationales, etc. Ce n’est donc pas par « doxa universitaire », selon l’expression zemmourienne, qu’aucun historien interrogé sur la question se refuse à classer le candidat ailleurs qu’à l’extrême droite, mais parce qu’il correspond à ce qu’est l’extrême droite depuis deux siècles.

Nationalisme ethnique, libéralisme économique, préférence nationale, principe de subsidiarité européenne et assimilation de la délinquance au djihad ont pour points communs d’avoir tous déjà été portés ensemble par les membres du Club de l’Horloge, tels que Jean-Yves Le Gallou et Bruno Mégret – qui, cohérents, soutiennent le candidat. Aucun politiste n’a jamais classé les Horlogers et le mégretisme ailleurs qu’à l’extrême droite. Le soutien de l’arc radical à Reconquête fonctionne selon le principe du « compromis nationaliste » qui existe depuis 1934 dans l’extrême droite française et était la règle du Front national.

Reste un axe : celui de l’illibéralisme cher à Viktor Orban. Rejetant explicitement que le Conseil constitutionnel, la Cour de justice européenne ou toute autre instance puissent limiter l’action de l’Etat français au nom de l’état de droit, M. Zemmour est un illibéral accompli.

Éric Zemmour a donc une vision du monde cohérente, relevant d’un nationalisme ethnique et illibéral d’extrême droite. Seul un changement des qualifications utilisées par l’histoire et la science politique permettrait de le sortir de ce champ.


Ce texte était le premier jet, trop long pour le format de parution, d’un billet publié dans L’Express, 3 mars 2022.

(source inconnue)

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