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Les Dimensions internationales du Front national

(Jusepe de Ribera : « Un philosophe : l’heureux géomètre », vers 1610)

Première parution : Nicolas Lebourg, « Les dimensions internationales du Front national », numéro spécial « Le Front National », Paris, Pouvoirs, Revue française d’études constitutionnelles et politiques, avril 2016, n°157, pp.105-113.

L’extrême droite est, avant tout, une vision du monde. Cette dernière implique une représentation des relations internationales. La politique est, quant à elle, un art du rapport de force. Les partis d’extrême droite doivent donc concevoir une démarche internationale dans une triple direction : la conception géopolitique, la mise en place de réseaux transnationaux devant leur permettre de gagner une marge de manœuvre qu’ils n’ont pas lorsqu’ils sont isolés dans leur système politique national, leur intégration au système électoral européen. Dans le cas du Front national, cette perspective internationale s’avère permettre de dépasser le clivage entre les deux présidents qu’il a connus et de mieux définir sa nature politique.

Le monde vu du Front national

L’initiative de la création du Front national revient au mouvement néofasciste Ordre nouveau (ON), fondé en 1969. Symptomatiquement, à son congrès de 1972, François Duprat est autant à la manœuvre pour la motion de création du FN que pour celle définissant les conceptions géopolitiques d’on. Il promeut un système qui s’inspire implicitement des conceptions « co-nationalistes » développées en 1933 par Ferenc Szálazi, le guide des Croix fléchées hongroises, et du congrès de Vérone de 1943, lorsque la République sociale italienne prône la constitution d’une fédération européenne des États nationalistes qui engagerait la lutte contre la « ploutocratie mondiale » et organiserait la valorisation de l’Afrique, appuyée sur les nationalistes musulmans. Mais il va plus loin, puisque le but ultime serait la constitution d’un bloc rassemblant Est et Ouest au sein d’une union d’États nationalistes ayant abandonné entre eux les barrières douanières[1].

Si Jean-Marie Le Pen reprend à compter de la guerre du golfe (1991) la formule de Duprat « Nationalistes de tous les pays, unissez-vous ! », il demeure cependant très extérieur à ces conceptions par trop globalisantes – car, justement, c’est bien ce qu’il reproche au « mondialisme », mot qui ne trouve place en sa bouche qu’à cette époque, alors que l’extrême droite radicale en use dès 1968. Le passage à un monde unipolaire permet aux membres de l’extrême droite radicale d’imposer leur grille de lecture d’un monde en voie d’unification sous la houlette d’un capitalisme « américano-sioniste » et/ou mondialiste. Un mois après la chute du mur de Berlin, Bruno Mégret, néodroitier devenu le numéro deux frontiste, lance la revue doctrinaire Identité. Désormais est mise en avant l’opposition planétaire entre les partisans de « l’identité », du Front national à l’islamisme, et ceux du « nouvel ordre mondial » , c’est-à-dire d’un « mondialisme » synonyme de « cosmopolitisme ». Néanmoins, Jean-Marie Le Pen peut bien à cette époque évoquer en alternative géopolitique un projet eurafricain, mais il ne définit pas celui-ci (sachant que le concept d’Eurafrique a servi bien des desseins, des pacifistes de gauche aux ministères du IIIe Reich). L’absence de ligne structurante sera demeurée la règle et, à dire vrai, Jean-Marie Le Pen ne paraît avoir une conception de la géopolitique qu’idéologiquement au service de la nation et qu’instrumentale pratiquement. En 2015, dans l’interview qui a enclenché le processus de son exclusion du Front national, il assène ainsi : « Nous devons impérativement nous entendre avec la Russie pour sauver l’Europe boréale et le monde blanc. L’Europe boréale intègre les Slaves mais aussi la Sibérie[2]. » Ces propos s’inscrivent clairement dans la lignée du dernier Guillaume Faye, membre de la Nouvelle Droite qui s’est fait l’apôtre de « l’Euro-Sibérie » devant mener à l’édification du « Septentrion », un empire racial blanc nordique (en une dimension d’hygiène de la race non présente chez Duprat). Pris en son contexte, cette référence racialiste de Jean-Marie Le Pen n’est pas une conversion géopolitique mais une provocation doctrinale à l’encontre de la direction du FN.

Le passage du flambeau entre père et fille n’a pourtant pas porté un changement radical de conceptions. Certes, le souverainisme étant la pierre angulaire du néolepénisme, la thématique de la « France seule » s’approfondit. On le constate aisément dans l’évolution des slogans : en 1984 les frontistes défilaient en détournant le slogan nationaliste-révolutionnaire d’origine italienne « Europe ! Jeunesse ! Révolution ! » en « Europe ! Le Pen ! Liberté ! », alors qu’au 1er mai 2015 il n’est plus que « France ! Marine ! Liberté ! ». Dans les discours de l’extrême droite post-11 Septembre, la globalisation est perçue comme une orientalisation. Marine Le Pen présente le mondialisme tel un phénomène englobant mondialisation et post-modernité : ce serait un libéralisme intégral que promouvraient l’Union européenne à l’échelle continentale et ses partis séïdes dans les nations, produisant un homme sans autre identité que sa consommation, sans racines temporelles ou spatiales. Face à ce processus, elle en appelle à un souverainisme tout aussi intégral (démographique, culturel, économique, politique), afin d’assurer une enclosure protectrice.

Pour autant, la présidente du fn ne mésestime pas l’apport nationaliste-révolutionnaire sur la préférence pro-russe pour assurer la multipolarité, telle que construite dans l’extrême droite radicale sous l’influence des thèses d’Ernst Niekisch et de Jean Thiriart[3]. Il est vrai que l’un de ses premiers conseillers en géopolitique est un ancien d’ON empreint de ces références[4]. Le soutien permanent du FN à Vladimir Poutine a, certes, une plus-value intérieure de différenciation politique. En outre, il permet de lier ensemble les thématiques, et ainsi Marine Le Pen écrit-elle :

« S’appuyer sur la Russie aujourd’hui, c’est créer le véritable espace européen de l’Atlantique à l’Oural, l’Europe des patries poursuivant leurs intérêts nationaux et associées dans une communauté de civilisation, bien éloignée du modèle communautariste ultralibéral américain vers lequel l’Union européenne nous conduit[5]. »

L’orientation à l’Est est donc tant un moyen géopolitique qu’une fin humaine : retrouver l’homme différencié contre l’homme mondialisé. Néanmoins, cet axe n’est pas suffisant : il lui faut le mythe mobilisateur du choc des civilisations. Marine Le Pen a certes limogé en 2015 son conseiller aux relations internationales, Aymeric Chauprade, lui reprochant de faire l’apologie de ce choc alors qu’elle dit vouloir l’éviter. Mais, a contrario, la nomination même d’Aymeric Chauprade à ce poste signifiait bien que l’idée était consubstantielle de sa représentation géopolitique.

Les réseaux transnationaux

Lors du congrès d’ON lançant le FN, trois groupes européens sont représentés : l’Action Nouvelle Droite allemande (née par scission du néonazi Parti national-démocrate en 1972, sur une ligne nationaliste-révolutionnaire ethnopluraliste), le Mouvement social italien (MSI; parti néofasciste fondé en 1946, ayant alors le vent en poupe grâce à une stratégie de rassemblement des extrêmes droites), et l’ON belge (créé en 1971 avec l’accord d’Ordre nouveau, mais se basant sur des militants ethno-régionalistes). Le cadre demeure donc celui de l’extrême droite radicale, et d’une Europe réduite aux pays limitrophes de la France. De plus, la constitution du FN se situe dans le cadre d’une acclimatation en France des méthodes du MSI. Depuis 1969, les principaux cadres d’on font des visites aux missini et, selon les Renseignements généraux, les Français se placent alors « sous la tutelle du parti italien ». Cette inclinaison péninsulaire n’est pas l’apanage des cadres dirigeants. À la base, dans les réunions de section, on suit et on discute les résultats électoraux du parti frère. Il est certain que le MSI ne ménage pas sa peine pour aider ON. Lors du lancement de ce dernier parti, il a livré deux mille insignes en forme de croix celtique, ainsi que deux séries de cinq mille affiches. Pour la création du FN, François Duprat et l’ancien milicien François Brigneau font le voyage à Rome et obtiennent un soutien en termes d’impression de matériel électoral pour l’équivalent de 1 300 000 francs. Pour les élections législatives de 1973, le MSI eût fourni au FN cent mille affiches de format classique en novembre et décembre 1972, cinq cent mille de grande taille en janvier et février 1973, cinq cent mille journaux à la même date et un million de papillons autocollants[6].

Sitôt l’opération « FN » lancée, l’éditorial de Pour un Ordre nouveau s’écrie qu’il s’agit de « la Victoire de l’Unité ! », la couverture du journal s’ornant de la flamme frontiste reprise de celle du MSI et légendée : « Front national : Avec nous avant qu’il ne soit trop tard ! » – ce slogan, qui est aussi la première affiche frontiste, est emprunté à une affiche du MSI : « Con noi prima che sia troppo tardi »[7].

Néanmoins, le FNpris en main par Jean-Marie Le Pen ne devait pas conserver cette direction. Certes, il souhaite participer à la liste de l’Eurodroite menée par le MSI aux élections européennes de 1979 et s’en fait évincer car jugé obsolète. Cette disposition perdure lorsque le rapport de force s’inverse : les partis électoraux cherchent à marquer ou à se démarquer de leurs homologues étrangers selon l’image qu’ils leur apportent. Car, après des premiers succès locaux, le FN joue sa nationalisation aux élections européennes de 1984. Il ne souhaite plus de l’ombre du MSI, comme son cadre d’alors Jean-François Touzé s’en souvient :

« Le MSI était un sujet tabou au Front national. À plusieurs reprises, ses dirigeants nous avaient invités à leur congrès, mais Le Pen avait toujours refusé d’y aller. Il les traitait de “fascistes”. Il avait même interdit à Stirbois [Jean-Pierre Stirbois, numéro deux du FN de 1979 à 1988] d’y envoyer des délégués du Front… Au moment des européennes, il ne voulait absolument pas que le FN puisse être considéré comme un mouvement d’extrême droite[8]. »

De même, sa pratique partisane demeure franco-centrée. Au congrès de 1997, Jean-Marie Le Pen annonce la création d’une internationale nationaliste : Euronat. Celle-ci restera une coquille vide. Comme le signifiait Jean-Yves Camus, l’expérience Euronat démontre surtout que « le FN, contrairement à Ordre nouveau et à l’Eurodroite, ne cherche pas à donner de cohérence à une définition du camp national au niveau européen, et ne connaît même pas, dans certains cas, l’orientation idéologique de certains de ses associés[9] ». Bruno Gollnisch, nommé dès 1994 vice-président du fn en charge des affaires internationales, en tire un bilan moins sévère :

« Nous avons noué des relations avec plusieurs mouvements, dirigeants ou élus étrangers, même si parfois en effet ces relations ont été décevantes (par exemple l’attitude néfaste et stupide des Roumains de Romania Mare sous la direction de Vadim Tudor). Il y a des réseaux, des amitiés, des alliances, des coopérations qui subsistent et qui continuent de fonctionner. Un bilan mitigé, c’est sûr. Qui a dit : “l’union est un combat”[10] ? »

Depuis les débuts avec le MSI, nul autre partenariat semble avoir été aussi solide que celui de la nouvelle direction avec la Russie. Il est vrai que l’intérêt est réciproque : la France occupe un poste permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Depuis l’échec de Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2012, le Kremlin a donc massivement investi dans l’extrême droite française. En décembre 2012, Marion Maréchal-Le Pen a été reçue par le président de la Douma Sergueï Narichkine, camarade de chambrée de Poutine à l’école des cadres du KGB. En juin 2013, Marine Le Pen a passé une semaine à arpenter l’espace néorusse. Elle commence en Crimée, non encore annexée, par un séminaire où la finance semble l’emporter sur la politique. Elle poursuit à Moscou par une visite à la Douma. Elle rencontre le président de la commission des affaires étrangères du Parlement, puis le vice-Premier ministre, Dimitri Rogozine, l’homme du complexe militaro-industriel mais surtout du camp politique national-patriotique. Elle prononce un discours à l’Institut d’État des relations internationales, qui a formé l’élite de la diplomatie avant comme après le communisme. Elle termine son périple par une réception à la Douma de Saint-Pétersbourg. À chaque fois, elle répète qu’elle admire Vladimir Poutine et cette Russie qui combat le « nouvel ordre mondial », soutient le régime syrien et partage les valeurs sociétales frontistes. Le Kremlin l’apprécie également : une banque russe a prêté 9 millions d’euros au FN en septembre 2014, la direction du parti russe Rodina paraissant avoir également poussé en ce sens[11].

Le FN au Parlement européen

Si le FN s’est installé définitivement dans la vie politique française aux élections européennes de 1984, il n’y a pas toujours connu le succès espéré par la suite : en 1989, Jean-Marie Le Pen pariait que sa liste passerait le cap des 20 %, elle fit 11,7 % – ce qui n’empêcha nullement médias et frontistes de parler rituellement de séisme… Les élections européennes de juin 2014 ont fait l’objet d’une attention toute particulière, devant permettre au parti de donner chair au slogan « Premier parti de France » qu’il avait lancé en 2013 suite à sa victoire dans une élection cantonale partielle à Brignoles (commune de 16 454 habitants). De plus, ce scrutin devait être l’occasion de doter les cadres de l’argent nécessaire pour qu’ils puissent se concentrer sur la préparation de l’élection présidentielle de 2017 : le salaire d’un eurodéputé est de 7 956 euros bruts par mois, auxquels s’ajoutent 4 299 euros de frais généraux mensuels. Chaque eurodéputé reçoit en outre 21 209 euros par mois pour rémunérer ses assistants. Avec 24,9 % des suffrages, le FN a fait élire vingt-trois eurodéputés. Parmi les vingt-neuf collaborateurs qu’ils ont engagés se retrouvent diverses personnalités issues de l’extrême droite radicale, que le parti peut ainsi utiliser et satelliser de façon discrète[12]. Le FN a attiré l’attention de la justice sur ces assistants, par une maladresse qui paraît redevable aux combats internes au parti. En effet, le numéro deux du FN, Florian Philippot, n’a été classé que quatrième par les suffrages des militants lors du congrès de novembre 2014, alors que Marion Maréchal-Le Pen était première. Pourtant, en février 2015, Marine Le Pen a publié un nouvel organigramme du parti où les amis de sa nièce sont marginalisés et où son premier conseiller a la part du lion. Mais cet organigramme, affichant fièrement les nombreux pôles dévolus au numéro deux élu numéro quatre, portait vingt noms d’assistants du Parlement européen ainsi dévolus aux tâches partisanes. L’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales a donc entamé une enquête pour abus de confiance, le montant de la fraude étant estimé à 7,5 millions d’euros.

Un autre objectif aussi politique que financier s’est avéré prioritaire : la construction d’un parti européen. Le FN avait contribué à l’Alliance européenne des mouvements nationaux (AEMN), fondée en 2009, reconnue comme parti politique européen en 2012 et présidée par Bruno Gollnisch. En 2013, Marine Le Pen exige que Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch quittent cette structure, ce qu’ils font. L’AEMN était une véritable auberge espagnole, s’y trouvant, avec des statuts d’association variés, outre le FN, le Mouvement social républicain (Espagne), le Jobbik (Mouvement pour une meilleure Hongrie), le MSI-Flamme tricolore (Italie), le Parti national britannique, le Front national (Belgique), les Démocrates nationaux (Suède), Liberté (Ukraine), le Parti national rénovateur (Portugal), le Parti national-patriotique bulgare et l’Intérêt flamand (parti nationaliste flamand de Belgique). L’AEMN n’avait donc aucune cohérence idéologique ou programmatique, regroupant des mouvements qui ont des conceptions totalement divergentes tant sur la question nationale que sur les projets européens, des radicaux autant que des démocrates. Ses membres se reconnaissaient juste des convergences quant à leur vision du monde. L’Alliance européenne pour la liberté, reconnue comme parti européen en 2012, représente une ligne politique centrée sur l’islamophobie, en réunissant le Front national de Marine Le Pen, le Parti pour la liberté de Geert Wilders (Pays-Bas), la Ligue du Nord (Italie), l’Intérêt flamand et le Parti autrichien de la liberté (fpö).

Pour Marine Le Pen, l’objectif était clair : fonder un parti puis un groupe parlementaire européens excluant les radicaux insérés dans la filiation fasciste. Son attitude s’inscrit dans le comportement de tous les partis de l’extrême droite populiste européenne depuis trente ans : éviter que leurs contacts internationaux ne leur valent d’être dénoncés comme « fascistes » auprès de leurs opinions nationales. Conséquemment, en octobre 2014 a été fondé le Mouvement pour l’Europe des nations et des libertés (MENL), qui regroupe les eurodéputés des cinq partis susmentionnés. Parmi ceux-ci, seul le FN adopte une conception économiquement interventionniste de l’État ; leur point commun est l’islamophobie et le rejet de l’immigration extra-européenne. C’est donc sur une ligne libérale-identitaire non conforme à sa campagne des élections européennes de 2014, mais en conformité avec celle des élections régionales de 2015, que Marine Le Pen parvient à former un groupe parlementaire en juin 2015, sans Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch, mais avec, outre les eurodéputés du MENL, une eurodéputée exclue de l’UKIP (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, présenté comme d’extrême droite pour cause d’euroscepticisme, alors même que le FPÖ et l’Intérêt flamand ne sauraient être qualifiés d’eurosceptiques) et deux eurodéputés polonais du Congrès de la Nouvelle Droite (soit un pis-aller à rebours de la stratégie de normalisation, puisque le leader de ce parti fit la campagne des élections européennes en affirmant qu’Hitler n’était pas au courant de l’entreprise génocidaire et en mettant en cause le caractère non consensuel des viols [13], mais il a été remplacé à son poste en janvier 2015). Le groupe Europe des nations et des libertés jouit ainsi d’une enveloppe de 17,5 millions d’euros pour la mandature.

Conclusion

La perspective internationale permet de mieux situer le fn. Sa conception du monde s’articule à la désignation d’un ennemi principal à la fois intérieur et extérieur : le communisme, puis le mondialisme cosmopolite, enfin l’islam. Ce système de représentations est typique des extrêmes droites. Son logiciel idéologique fluctue bien selon les évolutions géopolitiques, et il récuse toujours l’ordre géopolitique en vigueur. Ce sont bien là deux traits consubstantiels des extrêmes droites. La famille politique européenne du fn se situe dans le bloc des droites, et la participation de ses partenaires européens à des coalitions se fait sur des programmes économiquement euro-libéraux, complétés par la lutte contre l’immigration. Les partis nationaux-populistes permettent ainsi de construire un bloc sociopolitique interclassiste assurant le suivi de politiques euro-libérales, en les inclinant en un sens pour eux essentiel : la lutte contre l’immigration et le combat identitaire. Le discours social-interventionniste de la campagne des élections européennes de 2014 n’est donc pas le signe d’un glissement « à gauche » du fn, mais doit se comprendre dans le cadre d’un libéralisme ethnicisé sous les contrecoups de la crise géopolitique de 2001 et de la crise financière de 2008.


Notes

[1] « Un Programme de politique étrangère : nationalisme et Occident », Ordre nouveau, supplément à Pour un Ordre nouveau, juin 1972, p. 226-261.

[2] Rivarol, 9 avril 2015.

[3] Ernst Niekisch a fondé la ligne « national-bolchevique » dans l’Allemagne des années 1920, appelant entre autres à une union Allemagne-Russie contre l’Occident libéral. Il a été remis à la mode après la chute du mur de Berlin, d’abord par les nationalistes-révolutionnaires, puis par les néodroitiers. L’ancien collaborationniste wallon Jean Thiriart proposait l’édification d’un État-nation eurafricain à dimensions eurasiatiques, qu’à partir du début des années 1980 il espérait voir la Russie imposer.

[4] Caroline Monnot et Abel Mestre, Le Système Le Pen. Enquête sur les réseaux du Front national, Paris, Denoël, 2011, p. 55-60.

[5] Marine Le Pen, Pour que vive la France, Paris, Grancher, 2012, p. 225.

[6] Direction centrale des Renseignements généraux, « Ordre nouveau devient un parti traditionnel », Bulletin hebdomadaire, 17 juin 1972, p. 1, AN F7/15575, « Les rapports d’on avec le msi », 27 juin 1973, p. 7, AN 19860581/39, et « Ordre nouveau et les élections législatives », Informations hebdomadaires, 4 novembre 1972, p. 2, AN F7/15576.

[7] Pour un Ordre nouveau, 15 octobre-15 novembre 1972.

[8] Jean-François Touzé, entretien avec Joseph Beauregard, 25  juin 2012, cf. Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, Dans l’Ombre des Le Pen. Une histoire des n°2 du Front National, Nouveau Monde, Paris, 2012.

[9] Jean-Yves Camus, « La structure du “camp national” en France », in Jean-Yves Camus (dir.), Les Extrémismes en Europe : état des lieux en 1998, La Tour-d’Aigues, L’Aube, 1998, p. 211-213.

[10] E-mail de Bruno Gollnisch, 5 juillet 2012.

[11] Sur les relations entre la Russie et les extrêmes droites européennes, cf. Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg, Les Droites extrêmes en Europe, Paris, Seuil, 2015, p. 247-292.

[12] Abel Mestre et Caroline Monnot, « Le fn et les radicaux : “Je t’aime, moi non plus” », Droites-extremes.blog.LeMonde.fr, 19 décembre 2014.

[13] Cité par Gilles Ivaldi, « Euroscepticisme, populisme, droites radicales : état des forces et enjeux européens. », L’Europe en formation, n° 373, 2014, p. 7-28.

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