Quelques symboles visuels des extrêmes droites

L’esthétique joue un rôle fondamental dans l’extrême droite radicale. Les emblèmes y importent donc particulièrement, en charge tout à la fois de porter vers l’extérieur une vision du monde, et d’assurer l’unité du corps militant qui s’en réclame. En ce sens, ils résument une idéologie en un logotype. En outre, l’usage de drapeaux permet d’identifier les organisations militantes dans les manifestations de l’extrême droite, mais aussi les contenus idéologiques les unes par rapport aux autres. Ces tendances manient excellemment l’utilisation des symboles pour les insérer dans une logique performative.
Les nationalistes-révolutionnaires
Parmi les symboles les plus utilisés depuis la seconde moitié des années 1980 dans les milieux extrémistes de droite français, mais également par plusieurs organisations politiques européennes, notamment allemandes, italiennes ou russes, il y a le logotype, national-bolchevique, du groupuscule Résistance (Widerstand) d’Ernst Niekisch dans l’Allemagne des années 1920 et 1930, associant le rouge et le noir à un aigle impérial ayant dans ses serres un glaive et une faucille, avec un marteau sur le torse.

Ce logotype associe des couleurs et des symboles révolutionnaires (le rouge, le noir, le marteau et la faucille) à l’aigle impérial du Reich, symbole du nationalisme allemand de cette époque (le rouge et le noir renvoyant alors également aux couleurs prussiennes). Cette association de symboles venant de différentes traditions politiques est intéressante, car elle est synthétise la conception idéologique de cette tendance de l’extrême droite : un attrait pour les questions révolutionnaires et l’anticapitalisme (ces milieux se voient comme les « vrais » révolutionnaires), mais qui s’inscrit dans le cadre d’un nationalisme radical. Il renvoie aussi à l’histoire, à la généalogie, de cette tendance, en évitant de mettre en avant celles, trop connotées, héritées de la Seconde guerre mondiale, en particulier le fascisme et la République sociale italienne. Le recours à Niekisch, celui-ci ayant été un opposant (d’extrême droite) au nazisme, est donc d’un usage discursif habile.
Les grandes références théoriques des nationalistes-révolutionnaires à partir des années 1980 et 1990 sont les théoriciens de la Révolution conservatrice allemande des années 1920, le théoricien belge du national-communisme Jean-François Thiriart, l’Américain Francis Parker Yockey se substituant aux anciennes, issues des années 1930. Les nationalistes-révolutionnaires puisaient aussi beaucoup dans les théoriciens du tiers-mondisme, comme les textes des grands acteurs de la libération nationale des différentes colonies qui renvoyaient à des exemples locaux de libération nationaliste, ce qui leur permettait, dans un retournement sémantique typique, de développer un argumentaire de libération nationale, considérant que l’Europe serait occupée par les États-Unis. Enfin, ils tissèrent des liens avec les militants nationalistes clandestins vivants derrière le Rideau de fer.
Le courant nationaliste-révolutionnaire, s’il est un courant minoritaire au sein de l’extrême droite française, a joué un rôle important en tant qu’école de cadre. En effet, la formation théorique y était importante. Dans les années 1990, ce courant, via l’organisation Nouvelle Résistance, est à l’origine de la naissance d’Unité Radicale, évoluant dans la tendance du nationalisme-révolutionnaire, en associant des militants venant de plusieurs formations, comme des membres du GUD, de Jeune résistance, de L’œuvre française et du Parti Nationaliste Français et Européen (PNFE). Ces militants (en particulier Fabrice Robert et Philippe Vardon), une fois Unité Radicale dissoute à la suite de la tentative d’assassinat sur Jacques Chirac par Maxime Brunerie, ont fondé une autre structure, dont les drapeaux nous intéressent : le Bloc identitaire, devenu en 2016 Les Identitaires.
Le lambda et le casque spartiate des Identitaires
Les symboles utilisés par les identitaires sont particulièrement forts, comme le lambda, qui renvoie à Sparte et à son histoire. Ils utilisent aussi un casque spartiate, stylisé parfois différemment, mais dont les principales représentations viennent du casque hoplite de la structure de jeunesse du GRECE, Europe Jeunesse – par-delà c’est la revue Europe-Action, matrice de la Nouvelle droite, qui mit la première ce symbole dans l’imaginaire extrême droitier français.



La référence à Sparte et à l’histoire spartiate est un lieu commun de l’extrême droite dite identitaire. En effet, on la retrouve par exemple chez le théoricien néofasciste Maurice Bardèche (Sparte et les sudistes, 1969, réédité en 2019 par Alain Soral). Elle reste présente, de façon discrète aujourd’hui, chez Les Identitaires, en particulier dans son ancienne association de jeunesse, Génération Identitaire. Celle-ci, et son premier mouvement de jeunesse, Une autre jeunesse, utilise également le lambda, qui renvoie explicitement à la cité de Lacédémone, c’est-à-dire Sparte. Ce dernier symbole est utilisé comme logotype sur leur drapeau depuis 2007.
L’ancien responsable identitaire Philippe Vardon, passé ensuite au Rassemblement national et soutenu aux récentes élections législatives par Reconquête !, est à l’origine de l’utilisation du lambda chez les Identitaires – le film « 300 » ayant joué un rôle certain pour déclencher cette esthétique, les radicaux de droite n’hésitant pas à puiser dans la pop-culture. Il présente Sparte de la façon suivante, insistant sur la bataille des Thermopyles, et sur l’origine ethnique des Spartiates :
« Il a fallu trois jours pour que 300 000 Perses viennent à bout de 300 des fils de Sparte. Citoyens-soldats (les Périèques, libres mais pas citoyens, et les Hilotes, dont le statut se rapprochait de celui des serfs médiévaux, subvenaient à leurs besoins), minoritaires dans leur propre cité depuis sa fondation par les Doriens venus d’un Nord mythique, les Spartiates ne se permettaient pas de faiblesses. Déjà mentionnée dans L’Illiade, grande rivale d’Athènes et cité dominante jusqu’au 4ème siècle avant J-C, Sparte est aujourd’hui encore un mythe vivace. Mythe sanctifié par le sacrifice du roi Léonidas et de ses guerriers au défilé des Thermopyles.[1] »
La référence à Sparte joue un grand rôle dans l’imaginaire identitaire : outre cette entrée, Philippe Vardon en consacre trois autres à des thématiques proches dans son abécédaire identitaire, paru en 2011 : « Lambda », « Léonidas » et « Thermopyles »[2]. Sa conclusion est très intéressante pour nous : « Face à l’Autre absolu, les cités grecques ont dépassé leurs antagonismes et forgé la conscience d’un Nous. On retrouvera ce même élan lorsque les Européens seront confrontés aux Musulmans (c’est dans sa chronique de la bataille de Poitiers qu’Isidore de Séville utilise pour la première fois le terme d’Européens pour désigner les chevaliers chrétiens coalisés). »[3] Par conséquent, « cet exploit martial, ce sacrifice au nom de quelque chose de plus grand, est là pour nous rappeler que, même à 300 contre 300 000, aucun combat n’est vain. »[4] Nous trouvons ici plusieurs idées-forces : 1/ l’Autre est inassimilable et foncièrement hostile ; 2/il faut défendre « notre identité » et « notre sol ». Enfin, il ressort du propos de Philippe Vardon un lieu commun de l’extrême droite : le militant identitaire doit être un spartiate, c’est-à-dire qu’il doit se construire intellectuellement, apprendre à se battre et devenir dur. L’idéologie est, là-encore, mise en drapeau.
Le sacré cœur bleu blanc rouge des traditionalistes : catholicisme et nationalisme
Enfin, le dernier item que nous voudrions présenter ne vient pas de cette mouvance radicale et identitaire. S’il partage le nationalisme du premier, il s’éloigne du racialisme européen et païen des deuxièmes. Il s’agit de la mouvance nationale catholique, dans sa tendance traditionaliste. Ces mouvements se reconnaissent dans le patriotisme, sans pour autant se reconnaître dans la République, bien au contraire. Leur drapeau, qui date de la Grande Guerre, a fait sa réapparition durant les manifestations contre le « mariage pour tous ».

Il associe des éléments venant de deux mondes : le sacré cœur de Jésus et le drapeau tricolore de la République. Il joint donc des éléments conservateurs (la symbolique catholique) et d’autres, hérités de la Révolution française (les trois couleurs). Le slogan « espoir et salut de la France » renvoie également au national-catholicisme. La dévotion au Sacré-Cœur a pris un sens particulier pendant le XIXe siècle, associant l’expiation et la réparation des crimes et les atrocités de la Révolution – un usage amplifié par la question de la construction de la basilique du Sacré-Cœur sur la butte Montmartre après la Commune. Surtout, il place la France (et non pas la République) sous le patronage et la protection du catholicisme, comme cela était le cas sous l’Ancien Régime, christianisant ainsi le drapeau tricolore.
Enfin, ce national-catholicisme est souvent empreint de royalisme et parfois de nostalgie pour le régime pétainiste. Il reste profondément contre-révolutionnaire, privilégiant, dans la lignée de la pensée de Maurras, un nationalisme intégral. Ce drapeau est devenu le marqueur de la droite catholique nationaliste radicale. Il est largement utilisé dans leurs lieux de culte, lors de leurs rites publics (pèlerinages, processions, etc.) et lors de manifestations politiques auxquels ils participent, telle la « manif pour tous », autour de partis comme l’Institut Civitas, « lobby catholique traditionaliste », proche des intégristes catholiques de la fraternité Saint-Pie X.
Tous ces emblèmes permettent aux militants de se placer sous une identité commune, rassembleuse, incarnée par l’organisation, son histoire et sa culture. Les éléments picturaux qui y sont représentés, ou mis en avant, expriment en effet l’idéologie et l’identité de ces formations. De ce fait, les militants se placent sous le patronage d’une histoire, la leur, et d’une idéologie, celle représentée par le groupe. Il s’agit d’un symbole communautaire (le groupe) et identitaire (l’idéologie) fort, dans un milieu profondément divisé, aux idéologies parfois divergentes, voire opposées.
Notes
[1] Philippe Vardon-Raybaud, « Sparte », Éléments pour une contre-culture identitaire, Nice, IDées, 2011, , p. 232.
[2] Respectivement p. 143, p. 148 et pp. 243-244.
[3] Ibid., p. 244.
[4] Ibid., p. 244.