Pourquoi Poutine est notre allié ?

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Parution d’Olivier Schmitt, Pourquoi Poutine est notre allié ?, Hiraki, Lille, 2016.
φ Présentation de l’éditeur : Il existe en France un courant pro russe qui transcende les partis politiques, allant de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, en passant par la droite souverainiste et la gauche jacobine : tous souhaitent un rapprochement avec Moscou, et un éloignement de l’Union Européenne et de l’OTAN. Quatre justifications sont régulièrement avancées : Poutine serait un « vrai » et « grand » dirigeant par rapport à la classe politique européenne actuelle ; les « valeurs » russes seraient proches des valeurs françaises et justifieraient un rapprochement ; il serait ainsi dans « l’intérêt » de la France de se rapprocher de la Russie ; et enfin, les Russes ne seraient pas pires (et même certainement mieux) que les Américains.Ce livre étudie chacun de ces motifs en les remettant en contexte dans une perspective historique et politique. Il offre ainsi au lecteur intéressé une grille d’analyse intellectuelle permettant de se faire sa propre opinion sur la validité et l’intérêt de ces arguments.
L’auteur, Olivier Schmitt, est professeur de science politique au centre d’études sur la guerre de l’université du Sud-Danemark, et secrétaire général de l’Association pour les Études sur la Guerre et la Stratégie (AEGES). Ses travaux portent sur les conflits armés contemporains, les théories des relations internationales et les politiques de défense en Europe. Il a reçu plusieurs prix nationaux et internationaux pour ses travaux de recherche (prix Alexander George, prix Patricia Weitsman, prix du Conseil Supérieur pour la Formation et la Recherche Stratégique) et a récemment codirigé avec Joseph Henrotin et Stéphane Taillat l’ouvrage Guerre et Stratégie. Approches, Concepts, publié aux Presses Universitaires de France en 2015
φ Radio France International ayant classé l’ouvrage « Livre international de la semaine » vous pouvez retrouver ici un entretien avec l’auteur.
φ Slate a publié des « bonnes feuilles » de l’ouvrage, sous le titre « Comment la Russie réécrit l’histoire de la Seconde Guerre mondiale » :
C’est dans le contexte d’une large diffusion des pseudo-sciences, d’interprétations historiques fantaisistes et de relativisme absolu que s’inscrit la volonté politique récente du gouvernement russe d’interpréter l’histoire afin d’orienter le sentiment patriotique dans le sens d’un soutien au pouvoir. En 2009, il créa la «Commission de lutte contre la falsification de l’histoire au détriment des intérêts de la Russie», dont le but, comme son nom l’indique, était bien de falsifier l’histoire, mais dans les intérêts du gouvernement. La commission fut dissoute en 2013, le gouvernement se concentrant sur la question de l’éducation dans la lutte contre la «falsification» dans le pays, notamment à travers l’instauration d’un manuel d’histoire unique. Mais la relecture sélective de l’histoire est aussi le fait de nombreuses déclarations publiques.
L’un des principaux thèmes sujet à une forme de révisionnisme historique de la part du Kremlin est la Seconde Guerre mondiale. En 2014, Vladimir Poutine a brisé un tabou en défendant le pacte germano-soviétique d’août 1939, ou pacte Molotov-Ribbentrop, comme ayant été dans les intérêts de la Russie. Ce faisant, il signifie qu’il ne fallait pas résister à Hitler en 1939, puisque c’est ce que Staline a fait, et qu’il a eu raison de le faire. Les propagandistes du régime russe ont d’ailleurs bien compris le signal, le directeur du bureau de New York de l’Institut de la démocratie et de la coopération (un organisme du gouvernement russe qui possède également un bureau à Paris) déclarant que Hitler jusqu’en 1939 était le «bon Hitler».
Mais, de fait, Vladimir Poutine crée une mémoire de la guerre très différente de celle des pays occidentaux, pour qui il fallait résister à Hitler en 1939, une idée qui est au cœur de l’établissement de la République fédérale d’Allemagne après le conflit. Implicitement, il critique aussi la Pologne, la première victime de la Seconde Guerre mondiale. Berlin tenta pendant cinq ans (1934-début 1939) d’obtenir une alliance avec Varsovie pour attaquer l’URSS, qu’il n’obtint jamais. En revanche, il suffit de trois jours à Ribbentrop en 1939 pour que l’URSS accepte, avec enthousiasme, une alliance qui allait aboutir à la destruction de la Pologne. Après la défaite polonaise, l’Armée Rouge organisa un défilé commun avec la Wehrmacht, tandis que les officiers du NKVD, la police politique soviétique, traquaient et éliminaient l’élite polonaise.
Vladimir Poutine a justifié le pacte Molotov-Ribbentrop par l’idée selon laquelle l’URSS s’était sentie trahie par les puissances occidentales à Munich et n’avait pas d’autre choix, une interprétation complaisamment relayée par les compagnons de route de son régime en France, comme Jacques Sapir. C’est oublier l’action soviétique au moment de la crise des Sudètes. Les Soviétiques attendaient de la crise l’occasion de s’étendre en Europe centrale, et indiquaient vouloir déployer des troupes pour protéger la Tchécoslovaquie, ce qui pour de simples raisons géographiques aurait nécessité l’invasion de la Pologne, de la Roumanie, ou des deux. Quatre groupes d’armées soviétiques furent ainsi positionnés le long de la frontière polonaise.
Comme l’a bien montré Timothy Snyder, la crise des Sudètes a été l’occasion pour l’URSS d’entamer un nettoyage ethnique des individus d’origine polonaise sur son territoire: les instructions données au NKVD étaient claires et stipulaient que «les Polonais doivent être détruits». 1.226 éliminations furent conduites durant la crise de Munich, soit entre le 15 et le 28 septembre 1938. En occultant, et indirectement justifiant ces massacres, Vladimir Poutine recrée une histoire qui efface les victimes polonaises du grand récit.
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φ La parution de cet article a amené Jacques Sapir a réagir, sur twitter puis sur son blog, sous le titre « Propagandes, propagandes« .
φ Ci-dessous, une capture d’écran de la lecture qu’Olivier Schmitt fait de ce billet :