Ressources sur le camp de Rivesaltes

Photographie d’Olivier Amsellem, 2015.
φ Propos de Nicolas Lebourg et Abderahmen Moumen recueillis par Julien Licourt, « «Le camp de Rivesaltes, c’est la tour de Babel» », Le Figaro, 16 octobre 2015.
Quelle est l’origine du camp de Rivesaltes?
Nicolas LEBOURG. – C’était un terrain militaire, sur lequel, en 1938, l’armée a décidé d’installer un camp, notamment pour accueillir les troupes coloniales. L’année suivante, à cause de la guerre d’Espagne, 450.000 républicains franchissent les Pyrénées pour trouver refuge en France. On les installe dans des camps civils grâce à un décret permettant l’internement des «indésirables étrangers». En 1940, l’armée, qui vient de subir l’armistice signé par Pétain, cède l’usage d’une partie intérieure du camp de Rivesaltes, afin de soulager le réseau de camps surpeuplés.
À partir de ce moment, de nombreux groupes et populations différentes vont y être internés, jusqu’à sa fermeture en 2007. Est-il possible d’en établir une liste?
NL. – Avant et au début de la Seconde Guerre mondiale, on y trouve les troupes coloniales, des Espagnols, des juifs européens, des Gitans. En novembre 1942, ce sont les troupes allemandes qui s’y installent. Avec la fin de la guerre, le gouvernement envisagea de l’utiliser pour les franquistes espagnols qui fuiraient leur pays, au cas où le régime de Franco tomberait après ceux de Mussolini et Hitler. Le camp va recevoir encore des Espagnols, mais servir surtout pour les petits collaborateurs français et des prisonniers de guerre, essentiellement Allemands.
Abderahmen MOUMEN. – On a ensuite des anciens harkis et leurs familles, puis d’ex-déserteurs de l’armée française de la guerre d’Indochine, et des soldats guinéens, accompagnés de leurs familles. Enfin, le centre de rétention administrative (CRA), juste à côté du site, au départ imaginé pour centraliser les clandestins espagnols, va surtout recevoir des Marocains.
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φ Propos de Nicolas Lebourg et Abderahmen Moumen recueillis par Dominique Albertini, « A Rivesaltes, «un siècle de relégation des minorités» », Libération, 16 octobre 2015.
Quels sont les différents groupes ayant transité par Rivesaltes ?
Nicolas Lebourg : Sous diverses formes, le site a contenu des républicains espagnols, puis des Juifs européens. Ces derniers furent d’abord des Allemands ayant fui le nazisme, mais placés-là en tant comme ressortissants d’une puissance ennemie ; puis des victimes des politiques antisémites, et des Gitans. Après-guerre, le camp sert pour les prisonniers de guerre allemands et quelques Italiens, le transfert de groupes russes, et enfin les collaborateurs.
Abderahmen Moumen : Jusqu’à l’après-guerre c’est donc un carrefour européen. Rivesaltes devient ensuite un carrefour méditerranéen, et même mondial. Il y a eu un centre de formation pour les travailleurs nord-africains, un centre militaire pour les appelés et engagés algériens de l’armée française, un centre pénitentiaire pour les prisonniers du FLN, les harkis suivis de militaires déserteurs de l’ex-Indochine, et des soldats guinéens. Et enfin, à partir des années 1980, un centre de rétention administrative, où l’on trouve surtout des Marocains, mais aussi des Sud-américains, etc.
Quel est le bilan humain de ces internements ?
Nicolas Lebourg : Plus de 21 000 personnes sont internées à Rivesaltes jusqu’à ce que l’armée allemande prenne le camp en 1942; 215 y sont mortes, dont 51 bébés d’un an et moins. 2313 juifs ont été envoyés à Drancy, et de là vers Auschwitz, dont 157 qui ont survécu à ce dernier. Les Espagnols ont beaucoup été utilisés comme travailleurs contraints, avec une violente malnutrition. Fin 1941, les services médicaux notent qu’un tiers de l’effectif est cachectique et que 200 sont en danger de mort. Les conditions climatiques atteignent des extrêmes, l’hygiène est déplorable : l’eau consommée est souillée par le rejet des matières fécales à proximité de l’un des deux puits d’approvisionnement, et la douche, collective, n’est assurée que tous les quinze jours. Seules les pouponnières (et les bureaux) sont chauffés.
Les choses sont bien sûr différentes après la guerre, mais les conditions sanitaires restent mauvaises. En ce qui concerne les violences sexuelles faites aux femmes c’est un problème assez important lors de l’internement des collaborateurs, mais durant la phase vichyste on a des femmes espagnoles que l’on prostitue (elles ont besoin quant à elles de nourrir leurs enfants). De 1939 à 1946, le marché noir est un problème structurel.
Abderahmen Moumen : Le centre pénitentiaire des nationalistes algériens a eu une brève existence et a rassemblé 487 prisonniers. Pour le groupe social harki, on peut estimer à 22 000 personnes, le nombre d’anciens supplétifs et membres de leurs familles ayant transité par Rivesaltes entre 1962 et 1964. C’est-à-dire que plus d’une famille sur deux de ce groupe social a connu ce camp. Les problèmes sanitaires sont structurels. De nombreux cas de tuberculose sont fréquemment dépistés. Au moins 136 personnes sont décédées dans le camp, et majoritairement des enfants de moins de deux ans.
Quant au centre de rétention administrative, il ouvre en 1986 avec un effectif réduit. Mais il dépasse les 1000 entrées en 1994. Il a été déménagé à côté du camp en 2007, pour ne pas interférer avec le mémorial, et cela a permis de tripler sa capacité.
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φ Nicolas Lebourg, « À Rivesaltes, ce 16 octobre a des allures de 11 janvier », Slate, 15 octobre 2015.
Le 11 janvier, c’est par où? Entre le triomphe en librairie d’un brûlot antisémite, les débats sur la race blanche, les paniques quant aux réfugiés, vous avez peut-être été en quête de ses nouvelles. La bonne nouvelle, c’est qu’une trace en est présente ce vendredi 16 octobre, qu’elle parle encore d’une information libre envers et contre tout. La mauvaise, c’est qu’elle est résiduelle, individuelle et non collective. C’est l’histoire d’un journaliste, Joël Mettay, qui a eu contre lui les services de l’État et quasiment toutes les «élites» de l’époque. Et qui a assez résisté pour que les dominants soient obligés de changer de pied.
Ce vendredi, Manuel Valls vient inaugurer le mémorial de Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales. On a déjà parlé dans cette chronique de ce camp où, de 1939 à 2007, furent entassés républicains espagnols, juifs européens, collaborateurs, prisonniers de guerre allemands, supplétifs indochinois, guinéens, harkis puis immigrés clandestins. Reste à raconter comment la mémoire de ce lieu fut réveillée par un scandale, et comment on tenta de l’étouffer.
Quand on pense «liberté de la presse», notre imaginaire mobilise les images des «Hommes du président»: c’est l’idée de la «grande presse» que représenterait par excellence les grands quotidiens nationaux. Le 7 janvier a bien montré que cela est plus complexe, mais, en l’occurrence, ici l’histoire commence dans la presse quotidienne régionale.
Sous la signature de Joël Mettay, le quotidien roussillonnais L’Indépendant du 8 mai 1997 révèle qu’un particulier a trouvé à la déchetterie de Perpignan des liasses de documents originaux relatifs aux internés juifs du camp de Rivesaltes et à leur déportation. Le préfet de Perpignan réagit.
Monsieur Moumen, vous êtes historien et vous venez de publier avec Nicolas Lebourgle livre « Rivesaltes, le camp de la France de 1939 à nos jours » aux éditions Trabucaire. Comment est venu ce projet d’écrire un tel livre ?
Avec Nicolas Lebourg, nous avons travaillé sur cette question après notre doctorat tout simplement parce que quand, dans la fin des années 1990, la décision est prise de créer un mémorial à Rivesaltes, il n’y a pas encore eu de recherche sur l’histoire à long terme de ce camp, hormis le travail universitaire d’Anne Boitel sur les années 1941-1942, et qui donne lieu à un ouvrage. L’histoire du camp de Rivesaltes de 1939 à 2007 est ainsi pratiquement inconnue, ce qui empêche légitimement d’ouvrir un mémorial sur ce camp. Dans le cadre de nos travaux de recherche pour le mémorial que l’on a poursuivi après la fin de notre mission, et ayant soutenu pour ma part une thèse sur les rapatriés d’Algérie, je me suis intéressé à la période du camp de Rivesaltes durant la guerre d’Algérie, tandis que Nicolas Lebourg, spécialisé des extrêmes-droites en Europe, s’est occupé des périodes relatives à la Seconde Guerre mondiale et après 1965 jusqu’au Centre de rétention administrative. Nous avons ainsi dépouillé une masse importante d’archives relatives à l’histoire du camp, et rencontré de nombreux témoins de cette histoire.
trouver sur ce site diverses ressources sur l’histoire du camp de Rivesaltes.
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