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Le Front national deviendra-t-il un parti de second tour ?

Travail infographique de Sivkin (DeviantArt)

Travail infographique de Sivkin (DeviantArt)

Première parution : Joël Gombin, « Le Front national est encore loin d’être le premier parti de droite », Le Monde, 5 mars 2015.

L’approche des élections départementales, la perspective des régionales et les sondages d’intention de vote d’ici là remettent le Front national (FN) sur le devant de la scène. Les niveaux envisagés conduisent alors à s’interroger sur les perspectives du FN à moyen terme.

Le baromètre d’image du FN réalisé récemment par la TNS Sofres pour France Info, Canal+ et Le Monde permet de dresser un état des lieux de la place de ce parti dans le champ politique français, qui tranche quelque peu avec le storytelling rebattu de la déferlante frontiste.

Il semble que les effets d’un premier cycle de dédiabolisation se soient à peu près épuisés, plaçant ainsi le FN face à un réel dilemme stratégique. C’est d’abord la faiblesse des thèmes majeurs du FN qui frappe. A peine plus de la moitié des sympathisants FN déclarés sont favorables à la sortie de l’euro – au sein de l’ensemble des répondants, ils ne sont que 25 %, et ce chiffre ne cesse de chuter depuis 2011.

Il en va de même pour la préférence nationale, qui n’est réclamée que par 53 % des sympathisants FN, et dont l’acceptation au sein de la société française (entre 20 et 25 %) est stable depuis quinze ans. A rebours donc d’un discours sur le durcissement de la société dans un contexte de grande crise économique, on n’observe rien de tel.

Proximité des électeurs de Nicolas Sarkozy

On relève en revanche que depuis 2011 la société se durcit sur des questions d’autorité, de défense des valeurs traditionnelles et d’identité. Sur ces trois thèmes, on constate une forme de continuité entre l’électorat de l’UMP et celui du FN, ce dernier n’étant alors qu’une forme extrême de la droite. Ainsi, 73 % des sondés pensent qu’« on ne défend pas assez les valeurs traditionnelles de la France », contre 63 % en 2011.

Ils sont 85 % parmi les sympathisants UMP et 89 % parmi ceux du FN. Sur l’item « il y a trop d’immigrés en France », bien que l’accord général soit aujourd’hui de 10 points inférieur à ce qu’il était en 2005, on constate aussi une forme de proximité des électeurs de Nicolas Sarkozy (67 % d’accord) et de ceux de Marine Le Pen (93 % d’accord) qui les oppose à ceux de gauche et du centre (entre 24 et 33 %).

On retrouve un schéma comparable sur des questions portant sur la perception de l’islam ou encore l’idée qu’« on ne se sent plus chez soi en France », qui reposent d’ailleurs sur un clivage sociologique fort organisé autour du niveau d’éducation. Bref, sur les thèmes que le FN mariniste place au cœur de sa réflexion, l’opinion est peu convaincue et divisée jusque parmi les sympathisants frontistes. Sur des thèmes qui relèvent peut-être plus du « vieux » FN, l’approbation est beaucoup plus large, et la capacité à obtenir des ralliements d’électeurs de l’UMP plus grande.

On peut alors s’interroger sur la stratégie du FN mariniste. Serait-elle irrationnelle ? Disons plutôt que les thèmes mis en avant depuis quelques années permettent au FN de solidifier un noyau dur électoral d’électeurs conservateurs sur le plan de l’identité et de l’autorité, et antilibéraux sur le plan économique. Une stratégie de premier tour en quelque sorte : il s’agit de maximiser la pénétration électorale du FN au sein d’un cœur de cible constitué de classes populaires et de petits indépendants. Gageons que le parti lepéniste n’est pas loin d’avoir réalisé le maximum de son potentiel électoral de ce point de vue.

Demande autoritaire et identitaire

Cette stratégie « nationale-républicaine », comme aiment à l’appeler les partisans de Florian Philippot, est pourtant limitée en comparaison avec les ambitions de Marine Le Pen. En effet, comme on l’a encore vu dans le Doubs récemment, même si le FN parvient à élargir son électorat lorsqu’il parvient au deuxième tour en duel, cela ne lui suffit pas pour l’instant à l’emporter.

On peut alors s’interroger sur la pertinence de la ligne défendue par Florian Philippot et endossée par Marine Le Pen, comme en témoigne le nouvel organigramme du parti : cette ligne n’est-elle pas en décalage avec la demande autoritaire et identitaire des opinions publiques, qui seules semblent à même de permettre au FN de réunir une majorité d’électeurs – au besoin en siphonnant électoralement l’UMP, comme celui-ci n’avait pas hésité à le faire au détriment du FN en 2007 ? D’ailleurs, les électeurs de l’UMP (à 50 %), et plus encore ceux du FN (à 81 %) ne réclament-ils pas une alliance des droites sur cette base ?

On peut sans doute disserter sans fin sur l’état des relations psychologiques entre Marine Le Pen, son principal conseiller, son père ou sa nièce. Mais l’essentiel est ailleurs : si Marine Le Pen entend sérieusement devenir un jour présidente de la République, elle n’a qu’une solution : réorganiser le bloc des droites, en faisant de son parti la principale force de ce bloc. Pour cela, il lui faut consolider son socle d’électeurs fidèles, réaliser les meilleurs scores de premier tour possible pour faire du FN non pas le « premier parti de France », ce qui a fort peu d’importance, mais le premier parti de la droite. A ce moment-là seulement, elle a des chances de parvenir à faire éclater l’UMP et à dicter ses conditions à une alliance avec la droite traditionnelle.

C’est d’ailleurs ce qui se produit de fait dans un département comme le Vaucluse où la réorganisation des droites, pour être chaotique, est déjà bien avancée. Et où la chef locale du FN peut affirmer sans ambages que son parti est de droite, sans que Mme Le Pen s’en émeuve : c’est que la ligne dite « libérale-conservatrice » du FN du Sud ne s’oppose pas à celle « antilibérale » du Nord, elle en est la continuation logique dans des conditions stratégiques différentes.

C’est en gardant ce schéma présent à l’esprit qu’on peut comprendre pourquoi Marine Le Pen tient tant à présenter le FN comme n’étant « ni droite ni gauche » et refuse toute alliance avec la droite en dépit des pressions de sa base électorale. Le Vaucluse est ainsi un laboratoire de ce que pourrait être la situation politique au plan national si le FN devait définitivement s’imposer devant l’UMP, ce qui n’a pour l’heure rien de certain.

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