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Guillaume Faye à l’avant-garde d’une nouvelle théorie du nationalisme blanc

Cet article est la version française de Stéphane François et Adrien Nonjon, « Guillaume Faye (1949-2019): At the Forefront of a New Theory of White Nationalism« , Journal of Illiberalism Studies, vol. 2 n°1, 2022, pp. 17-30.

Guillaume Faye, né en 1949 et décédé en mars 2019, est un théoricien paneuropéen révolutionnaire-conservateur. Il est à l’origine du renouvellement du corpus doctrinal de l’extrême droite identitaire française, et plus largement de l’évolution de l’extrême droite euro-américaine, avec son concept d’« archéofuturisme », forgé au milieu des années 1990 mêlant philosophie postmoderne, éléments issus de la contre-culture occidentale et discours racistes. Guillaume Faye définit ce concept de la façon suivante :

« Penser ensemble, pour les sociétés du futur, les avancées de la techno-science et le retour aux solutions traditionnelles de la nuit des temps. Tel est peut-être le vrai nom de la post-modernité, aussi éloignée du passéisme que du culte idiot de l’“actuel”. Rassembler, selon la logique du et, et non point du ou, la plus ancienne mémoire et l’âme faustienne car elles s’accordent. Le traditionalisme intelligent est le plus puissant des futurismes et inversement. Réconcilier Evola et Marinetti. C’est le concept de “modernité”, né de l’idéologie des Lumières, qu’il faut assécher. Il ne faut pas associer les Anciens aux Modernes, mais les Anciens aux Futuristes. D’ailleurs aujourd’hui, comme l’a remarqué la Nouvelle Droite, les formes politiques et sociétales de la modernité se fissurent ; les formes archaïques resurgissent dans tous les domaines, dont la moindre n’est pas la reprise de la poussée de l’Islam. Enfin, les bouleversements à venir de la techno-science –notamment en génétique – comme le tragique retour au réel qui se prépare pour le XXIe siècle requerront le retour à une mentalité archaïque. C’est le modernisme qui est déjà un passéisme. Mais attention ; il ne s’agit pas de succomber au “traditionalisme” classique, entaché de folklore et rêvant (en arrière toute) d’un retour au passé. La modernité est devenue obsolète. Le futur doit être “archaïque”, c’est à dire ni moderne ni passéiste. »[1]

Son « archéofuturisme » peut donc être défini comme une double opposition : à la fois à la modernité et au conservatisme. Sa pensée a dépassé largement le cadre français pour être lue et commentée par les militants européens et américains. En ce sens, il est un penseur très important de l’extrême droite euro-américaine. Son militantisme a connu deux grandes périodes : de 1970 à 1986, il a été membre de GRECE (Groupement d’Études et Recherches de la Civilisation Européenne) et peut être considéré comme son second théoricien après Alain de Benoist. À l’époque, il défendait une forme de pensée révolutionnaire-conservatrice plutôt pro-arabe. Après un retrait de l’activisme politique (1987-1996) pour travailler dans les médias français (radio, presse et télévision), il est revenu en tant que théoricien identitaire important, avec un discours très violent focalisé sur l’islam et l’immigration arabo-musulmane. De fait, Guillaume Faye est un homme complexe et parfois déconcertant. En raison de cette complexité, nous organiserons notre propos en trois parties. Dans un premier temps, nous reviendrons sur sa biographie et ses évolutions professionnelles. Ensuite, nous analyserons ses deux grandes périodes de militantisme. Enfin, nous étudierons son influence dans les extrêmes droites, française, européenne et américaine.

Entre activisme politique et médias

Guillaume Faye occupe une place à part dans le petit monde de la droite radicale. Il est né le 7 novembre 1949, à Angoulême, une ville moyenne du sud-ouest de la France. Il est issu d’un milieu bourgeois aisé, avec une famille plutôt de droite bonapartiste (une droite autoritaire et nationaliste). Contrairement à beaucoup de membres fondateurs du GRECE, il ne vient pas d’une famille ayant collaboré durant la Seconde Guerre mondiale. Il n’a pas non plus milité au sein des milieux pro-OAS ou nationalistes. Guillaume Faye a fait ses études à l’Institut d’Études Politiques de Paris, où il a animé de 1971 à 1973 le Cercle Pareto, l’association du GRECE dans cette grande École[2]. Il est devenu militant de ce dernier en 1970.

Orateur doué, théoricien assez brillant, il devient durant les années 1980 un permanent du GRECE (il occupe le poste de secrétaire aux « études et recherches ») et l’un de ses principaux auteurs publiant dans les revues de la Nouvelle Droite : (Éléments, Nouvelle École, Orientations, Études et Recherches). Durant les années 1970 et 1980, il est également un journaliste publiant dans plusieurs grands journaux et magazines nationaux français (Figaro magazine, VSD, Paris-Match) et contre-culturels (L’Écho des savanes) français. Ses références intellectuelles étaient les Français Henri Lefebvre, Jules Monnerot, Robert Jaulin, Julien Freund, Michel Maffesoli, Gilles Deleuze, Guy Debord ; les Allemands Friedrich Nietzsche, Hegel, Martin Heidegger, Arnold Gehlen, Jürgen Habermas, Georg Simmel, Ferdinand Tönnies, Carl Schmitt ; les Britanniques Herbert Spencer et Robert Ardrey, l’Américain Christopher Lash. Il ne reconnaît qu’une influence provenant de l’extrême droite, celle du journaliste et philosophe italien Giorgio Locchi, qui joua un grand rôle dans l’élaboration des premières doctrines du GRECE.

Avec d’autres, il participe à la diffusion des thématiques identitaires et révolutionnaires-conservatrices (défense de l’identité culturelle biologique et culturelle, nationalisme européen, anti-américanisme, antilibéralisme, rejet de l’immigration au nom du respect des différences et des particularismes ethnoculturels) ; des thématiques défendues avant lui par différents groupes nationalistes-révolutionnaires ou néonazis. Spirituellement, il est proche depuis cette époque d’une forme de paganisme, mais sans accepter les tentatives de reconstruction de celui-ci :

« Plus que toute autre religion, écrit Guillaume Faye, le Paganisme est à la fois le garant de l’ordre social, de l’ordre cosmique et naturel, garant de la pluralité des croyances et des sensibilités. Il repose sur la logique du “chacun chez soi”, et non sur le fantasme de la mixité universaliste chaotique. Son modèle social associe étroitement les notions de justice, d’ordre et de liberté, ces dernières étant fondées sur la discipline. Il part du principe que l’humanité est diverse, et nullement destinée à s’unifier, que l’histoire est un devenir imprévisible et sans fin. Il suppose, à l’inverse des monothéismes, une humanité hétérogène composée de peuples homogènes, l’essence du politique étant la constitution de l’homogénéité de la Cité, sacralisée par les divinités, dans laquelle l’identité se confond absolument avec la souveraineté. Organique et holiste, la vision païenne du monde considère les peuples comme des communautés de destin. Ainsi que l’on le vit dans le Paganisme grec, la notion de Cité, soudée par le patriotisme et l’identité commune (reflet des divinités et de la nature) est fondamentale dans le Paganisme, où les divinités tutélaires avaient une dimension essentiellement politique et enracinée. »[3]

Il est alors proche de la tendance païenne du GRECE et a participé au Serment de Delphes prononcé au début en 1979 à l’instigation de Pierre Vial, alors secrétaire général du GRECE, serment prononcé à Delphes, devant la Stoa, par plusieurs militants européens païens et radicaux du GRECE. Ce serment consistait en la promesse de ces militants de combattre pour l’identité européenne.

Des divergences intellectuelles et financières avec Alain de Benoist firent qu’il fut marginalisé au sein du GRECE. Il le quitta au printemps 1987. Il s’éloigna alors du militantisme au sein de la Nouvelle Droite pour se concentrer sur ses activités dans les médias. Parallèlement à son activité dans la presse écrite (sous on nom ou sous pseudonymes), il devient animateur (« Skyman ») sur une grande radio française (Skyrock)[4], où il fit la joie de ses auditeurs par ses canulars et son esprit provocateur. Il participa également entre 1991 et 1993 à une émission généraliste d’une chaine publique française. Il affirme avoir également joué dans des films pornographiques. Il publie aussi trois livres destinés au grand public sous le pseudonyme de Skyman, dont deux furent publiés par les Presses de la Cité : Le Guide de l’engueulade (1992) et Le Manuel du séducteur pressé (1993), tous deux avec Jean-Philippe Serrano (1992) et un dernier chez Grancher, Viol, pillage, esclavagisme, Christophe Colomb, cet incompris : essai historico-hystérique, (1992), avec Jean-Christophe Florentin. Enfin, il écrivit des scénarios de bandes-dessinées, une expérience commencée en 1985 avec le roman graphique, Avant-guerre[5]. Il en publiera d’autres dans les années 2000, aux scénarios très militants, dont Chirac contre les fachos[6], en 2002. N’étant pas hostile à l’homosexualité et au transsexualisme, il écrit durant cette période pour la revue homosexuelle Gaie France, où il fit parfois l’éloge de l’homosexualité adolescente (pour ne pas dire pédophilie) au nom du paganisme[7].

(œuvre de Philippe Caza)

Toxicomane, clochardisé[8], il revient à la politique en 1998 avec un livre important publié par un grand éditeur de l’extrême droite française L’Æncre, L’Archéofuturisme, après lequel il enchaîne avec La Colonisation de l’Europe en 2000. Dès lors, il multiplie les activités avec toutes les tendances de l’extrême droite. Il fait des conférences avec des proches du GRECE, avec des royalistes, avec des jeunes catholiques traditionalistes, avec des néopaïens, etc. L’année 2000 voit les attaques d’Alain de Benoist et de ses proches, qui l’accusent de racisme. Le moment est mal choisi pour Faye et son éditeur, L’Æncre : les deux étaient poursuivis en justice pour incitation à la haine raciale, suite à la parution de La Colonisation de l’Europe. Guillaume Faye est finalement exclu du GRECE par une assemblée fédérale des cadres convoquée en mai 2000 par Alain de Benoist, afin de donner une apparence de légitimité à la vindicte de ce dernier. Faye évoluera ensuite dans les milieux identitaires, participant au groupe Terre & Peuple, fondé par les anciens grécistes Pierre Vial, Jean Mabire et Jean Haudry, jusqu’à son exclusion en 2007 à la suite de la parution de son ouvrage La Nouvelle question juive[9].

La pensée de Guillaume Faye, entre postmodernité et identité

Intellectuellement, Guillaume Faye fait partie des inclassables du GRECE : il n’éprouve pas la nostalgie du völkisch (Pierre Vial, Jean Haudry ou Jean Mabire) ; il n’a aucun intérêt pour les théoriciens de la « Tradition » comme Julius Evola ou René Guénon, pour l’ésotérisme ou pour les tentatives de réinvention de cultes païens. Il n’est pas non plus un réactionnaire, ni un Moderne : « Les traditions sont faites pour être expurgées, épongées, sélectionnées. Car beaucoup d’entre elles sont porteuses des virus qui explosent aujourd’hui. Quant à la modernité, elle n’a probablement pas d’avenir. »[10]. Il insiste au contraire sur le fait qu’

« Il faut redonner au mot “archaïque” son vrai sens, positif et non péjoratif : selon la signification du substantif grec archè qui signifie à la fois “fondement” et “commencement”, autrement dit “impulsion fondatrice”. Il a également le sens de “ce qui est créateur et immuable” et se réfère à la notion centrale d’“ordre”. Attention : “archaïque” n’est pas “passéiste”, car le passé historique a produit la modernité égalitaire qui échoue, et donc toute régression historique serait absurde. »[11]

En effet, selon Faye,

« Il ne faut pas être “anti-moderne” mais “non-moderne” » car « […] l’alternative à la modernité ne saurait être le retour en arrière du traditionalisme et du passéisme, puisque ces derniers possèdent la même vision linéaire du temps que la modernité, sauf s’il s’agit de régresser et non plus de progresser, deux attitudes parfaitement contraires à la vision sphérique et dynamique du temps. »[12]

De fait, il se trouve à mi-chemin des courants « culturaliste » et « biologique » du GRECE. Il fut très influencé par les philosophes et sociologues postmodernes français (Michel Maffesoli notamment). Il participe à la diffusion d’une identité à la fois culturelle et biologique. Surtout, contrairement à une majorité de militants d’extrême droite, il n’est pas hostile à l’hypermodernité et à la libération des mœurs, à laquelle il a consacré deux livres : en 1983 Sexe et idéologie et en 2011, Sexe et dévoiement. En 1983, il écrivait la chose suivante :

« Dans une conception païenne de la société — à la fois libertaire et souveraine, conviviale et régalienne, animée par le principe de plaisir comme par la volonté de puissance — tout peut coexister de manière organique et polythéiste : l’ascèse sexuelle, le libertinage, l’esprit de jouissance, la déviance, l’homosexualité, le saphisme, la sublimation, l’esthétisme. Chacune de ses attitudes correspond à une fonction, à un ordre, normé par des codes rigoureux. »[13]

Sa conception de la sexualité est depuis cette époque très « libérée », « païenne » selon lui. Elle va à l’encontre du discours moralisateur dominant de l’extrême droite. Elle porte aussi en elle une révolution culturelle, sapant les fondements de la morale chrétienne. Selon lui,

« […] il faut en revenir à une vision archaïque des choses : intégrer la débauche et l’“orgiasme” — dont parle Michel Maffesoli dans L’ombre de Dionysos — à l’ordre social. Plus ce dernier est fort, plus l’orgiasme peut se déployer sous son ombre, en secret, comme savaient le faire les sociétés antiques. C’est la simple sagesse. Le “principe d’ordre” est conforme à des millions d’années de lois sur la reproduction de l’espèce et la transmission à la progéniture, de la culture et des valeurs. Le “principe de plaisir” doit être toléré et hypocritement géré parce qu’il est humain et inéradicable, mais sans jamais le laisser devenir norme dominante, sans qu’il ne s’érige jamais en ordre. Subalterne, mais existant, selon la loi de la vie, dans un certain “silence social”. […] Je suis pour les partouzes, les fêtes, les plaisirs dionysiaques, mais subordonnés à l’ordo societatis, articulés par lui. […] Plus l’ordre social est puissant, plus le principe de plaisir, l’orgiasme, peuvent se déployer sous son ombre sans nuire à la cohésion de la société. »[14]

La libération sexuelle permettrait donc l’acceptation d’un régime autoritaire.

Ses premiers ouvrages, parus au début des années 1980, sont à la fois une critique de la société de consommation, un refus de l’uniformisation et un rejet de l’occidentalisation du monde[15]. Il s’agit de l’une des grandes constantes intellectuelles de Faye : il défend depuis cette époque un différentialisme radical, au point de proposer, dès le début des années 1980, le retour des immigrés extra-européens dans leur aire civilisationnelle, l’objectif du droit à la différence étant selon lui le rejet de la société multiraciale car une telle société serait multiraciste. Il condamne également et fort logiquement le multiculturalisme et ce qu’il appelle « l’ethnomasochisme ». Selon lui, « Le combat culturel n’est pas celui de la défense de toutes les cultures, mais d’abord de la culture européenne qui doit se penser comme supérieure »[16]. Les propos de Faye ne sont que du racisme exprimé de manière édulcorée.

À l’instar de certains théoriciens de gauche, en particulier ceux de l’École de Francfort, il considérait que l’Europe était colonisée par les valeurs américaines. Le rejet des États-Unis qui en découlait le plaçait alors dans le courant nationaliste-révolutionnaire, bien qu’il refusât le nationalisme au profit d’un nationalisme européen. Cette influence se retrouve dans sa géopolitique qui condamne « l’axe américano-sioniste » et propose en retour une alliance avec les régimes arabes, en particulier baasistes :

« Le groupe de pression que constituent en France les cercles d’opinion sionistes pousse les gouvernants français dans la voie funeste d’une mésentente avec les Arabes, nos alliés naturels. Aux États-Unis, ainsi que l’a justement rappelé le président Assad de Syrie — après d’autres dirigeants arabes —, le “Lobby sioniste” voit des visées se confondre avec l’intérêt géostratégique de la puissance américaine : l’ordre américain, les groupes d’opinion sionistes (notamment en France) et l’État d’Israël ont de puissants intérêts communs, à la fois géostratégiques et culturels. On ne saurait le reprocher, car c’est la loi de la vie. Mais du moins faut-il comprendre que ces intérêts sont contraires à ceux des Arabes, des Européens, et peut-être à la cause de l’ensemble des peuples du Tiers-Monde… » [17]

Après son retour dans l’arène politique, Guillaume Faye a inversé son discours : il soutient Israël et les États-Unis contre le monde arabo-musulman. En effet, il est devenu un idéologue identitaire important, au discours violemment anti-immigration et islamophobe, au nom d’une défense des intérêts ethniques européens. Il se fait, à partir la fin des années 1990, le chantre d’un racialisme virulent digne des années 1900-1930 :

« L’enracinement est, écrit-il dans son manifeste Pourquoi nous combattons, la préservation des racines, tout en sachant que l’arbre doit continuer à croître. […] L’enracinement s’accomplit d’abord dans la fidélité à des valeurs et à un sang. […] Il doit impérativement inclure une dimension ethnique fondatrice. »[18].

Adepte d’un droit du sang fondé sur le concept d’allogène, il souhaite une campagne nataliste et eugénique pour les Européens au sens ethnique du terme. Il définit son ethnocentrisme comme la « Conviction mobilisatrice, propre aux peuples longs-vivants, que celui auquel on appartient est central et supérieur et qu’il doit conserver son identité ethnique pour perdurer dans l’histoire »[19]. Il reprend aussi la thématique darwiniste-raciale national-socialiste de la « lutte pour la survie » considérant les autres civilisations comme des ennemies à éliminer : « C’est la loi du plus fort, du plus capable, du plus mobilisateur qui domine toujours. Vae Victis, mort aux vaincus, telle est la loi de la vie ; et il n’est pas né, le philosophe qui la changera ou qui prouvera le contraire »[20]. Il conclut en affirmant que « l’ethnocentrisme européen ne repose pas sur du vent. L’apport de la civilisation européenne (relayée par son fils prodigue et adultérin américain), à l’histoire de l’humanité dans tous les domaines, dépasse celui de tous les autres peuples »[21]. Il fait donc appel à la « conscience ethnique » des Européens, c’est-à-dire à « la conscience individuelle et collective de la nécessité de défendre l’identité biologique et culturelle de son peuple, indispensable condition au maintien dans l’histoire de sa civilisation et à l’indépendance de cette dernière »[22]. Nous ne pouvons constater que l’extrême violence de ce discours ouvertement raciste. Allant au bout de sa logique, Guillaume Faye développe enfin l’idée d’une immigration extra-européenne (africaine, arabo-musulmane, asiatique) qui ne serait qu’une forme de colonisation :

« Plus que d’“immigration”, il faut parler de colonisation massive de peuplement de la part des peuples africains, maghrébins et asiatiques, et reconnaître que l’islam entreprend une conquête de la France et de l’Europe ; que la “délinquance des jeunes” n’est que le début d’une guerre civile ethnique ; que nous sommes envahis autant par les maternités que par les frontières poreuses ; que, pour des raisons démographiques, un pouvoir islamique risque de s’installer en France, d’abord au niveau municipal puis, peut-être, au niveau national. […] Nous courrons à l’abîme : si rien ne change, dans deux générations, la France ne sera plus un pays majoritairement européen et ce, pour la première fois de toute son histoire. L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique et la Hollande suivent la même loi funeste avec quelques années de retard. […] Jamais l’identité ethnique et culturelle de l’Europe, fondement de sa civilisation, n’aura donc été aussi gravement menacée. »[23]

Son discours est une complète inversion de ses positions du début des années 1980, lorsqu’il soutenait la nécessité d’une alliance euro-arabe pour lutter contre l’hégémonisme américain, il condamne encore l’américanisation des mœurs :

« L’américanisme est une attitude mentale, conséquence de l’américanisation, qui fait perdre aux Européens identité et souveraineté, et dont la cause est une soumission volontaire des Européens plutôt qu’un “impérialisme américain”. L’américanisation est linguistique, alimentaire, culturelle, vestimentaire, musicale, audiovisuelle, etc. Elle substitue des mythologies et des imaginaires américains à ceux des Européens. »[24]

Toutefois, il affirme que l’Amérique n’est que l’« Adversaire principal mais non pas l’ennemi principal qui, lui, est composé des masses allogènes qui colonisent l’Europe, de tous ses collaborateurs (États étrangers ou cinquième colonne) et de l’islam »[25]. L’évolution est manifeste.

Enfin, il y a aussi chez lui la volonté de mettre à bas la démocratie libérale pour faire face à ce qu’il appelle la « convergence des catastrophes » qui nous menacerait, pour reprendre le titre de l’un de ses ouvrages à la teneur survivaliste et apocalyptique, qu’il a signé du pseudonyme de Guillaume Corvus[26]. Selon lui, les pays occidentaux seraient menacés par différents périls : la cancérisation du tissu social européen ; le déclin démographique ; la menace d’un Sud chaotique ; la crise financière mondiale ; la montée des intégrismes religieux et notamment musulman ; l’affrontement Nord/Sud sur des bases ethnico-religieuses ; et enfin, l’aggravation d’une pollution incontrôlée. Pour éviter l’effondrement civilisationnel et écologique, il propose de mettre en place un régime autoritaire sous l’égide d’un « chef né », d’un dictateur, qu’il définit dans un autre ouvrage comme n’étant « pas le tyran oppressif, mais celui qui “dicte”, qui tranche et qui sauve dans les situations d’urgence » et qui surtout, bien entendu, « met en mouvement son peuple et protège son ancestralité, son identité »[27]. Toutefois, s’il y a bien un risque de catastrophe écologique, il ne pense pas, contrairement aux écologistes radicaux qu’il qualifie de « naïfs », que la Nature soit en danger. Seule l’humanité le serait, la Terre se remettant du bouleversement climatique : « La Terre (Gaïa) n’est pas “menacée” par l’homme qui est son hôte ; elle possède encore plusieurs milliards d’années devant elle et peut promouvoir d’autres espèces sur le chemin de l’évolution phylogénétique ; et puis elle a connu des cataclysmes écologiques tellement plus graves… »[28].

Une œuvre de plus en plus commentée

Guillaume Faye entretient de longue date des liens avec divers groupes et correspondants. Dès les années 1980, il est traduit en italien, en allemand et en espagnol, des pays où il existe des groupes néo-droitiers et nationalistes-révolutionnaires. Ceux-ci traduisirent plusieurs de ses ouvrages parus entre 1980 et 1985 : Le Système à tuer les peuples (1981); La NSC, la nouvelle société de consommation (1984) ; Les Nouveaux enjeux idéologiques (1985) ; Petit lexique du partisan européen (1985), coécrit avec les militants Belges Pierre Freson et Robert Steuckers[29]. Ses articles furent également traduits dans les versions allemandes et italiennes d’Éléments et de Nouvelle École. Durant cette première période, Guillaume Faye participa à des colloques universitaires en Grèce (les « colloques d’Athènes » organisés par Jason Hadjinas entre 1982 et 1985) et en Belgique (université de Mons sur les liens euro-arabes en 1985). Il enseigna même la sociologie de la sexualité à l’université de Besançon. Surtout, il fit des conférences dans les cercles néo-droitiers européens. Durant sa période « médias », il abandonna ses interventions militantes. Cependant, ses premiers livres et ses articles de la période néo-droitière continuèrent d’être traduits et commentés par les militants européens, mais aussi par les militants américains dans la mouvance qui fut appelée ultérieurement « Alt-Right »[30].

Sa notoriété grandit à l’étranger à compter de son retour en politique. Durant les premières années de celui-ci, entre 1998 et 2006, il renoua des liens avec les milieux identitaires issus du GRECE et de la nébuleuse nationaliste-révolutionnaire. Ainsi, il participa à des réunions et des colloques organisés par des militants de l’« Eurosibérie », sorte d’empire fédéral regroupant les peuples de « race blanche » tant en Europe qu’en Amérique du Nord. Les rencontres furent organisées en 2005, en Espagne, et 2006, en Russie. En Espagne, il se retrouva aux côtés de militants très radicaux, aux marges du nazisme : italien, avec Gabriel Adinolfi, allemands avec Pierre Krebs, qui le traduisit et le publia en allemand dans les années 1980, et Andras Molau, et enfin, Ernesto Mila. En Russie, il côtoya de nouveau Pierre Krebs ; l’Espagnol Enrique Ravello ; les Français Pierre Vial et Yann-Ber Tillenon, anciens cadres du GRECE ; le Grec Iephterios Ballas, l’Ukrainienne Galina Lozko et enfin les Russes Vladimir Ardeyev, Anatoli Ivanov et Pavel Tulaev.

L’objectif de ces rencontres était de mettre en place une structure défendant l’« avenir du monde blanc » : le Conseil des peuples d’origine européenne qui regroupe des groupuscules allemands, autrichiens, espagnols, flamands, français, italiens, portugais, russes, serbes, wallons (Belges francophones) et québécois. Dans la continuité, il proposa, lors de la Conférence Internationale sur « L’avenir du Monde blanc » qui se déroula à Moscou les 8 et 10 juin 2006, une alliance entre l’Eurosibérie et tous les peuples blancs d’origine européenne. C’est ce qu’il appelle la « notion de Septentrion ». Il s’agit selon lui de créer des « ethnosphères », c’est-à-dire d’« ensembles de territoires où règnent des peuples ethniquement apparentés »[31]. Cette notion se structure sur l’idée qu’il existerait une « racine biologique d’un peuple et d’une civilisation, [sur laquelle repose] son socle ethnique »[32]. Il devient alors une figure importante du « national-occidentalisme ». Cette idée fut reprise et discutée par le site « alt-right », counter-currents.com[33]. Au vu de ce suprémacisme blanc, il n’est pas étonnant de le voir copieusement cité sur le site Internet néo-nazi américain, Racial Nationalist Librairy, au côté des négationnistes français Robert Faurisson et Maurice Bardèche[34], ou qu’il participe, à partir de 2006, aux réunions de l’association suprémaciste blanche The American Renaissance.

Toutefois, la parution en 2007 de La Nouvelle question juive provoque une rupture avec ses anciens amis, très souvent antisémites : les nationalistes-révolutionnaires européens et les identitaires issus du GRECE le considèrent comme trop « sioniste ». Ses positions non hostiles à Israël et au judaïsme font qu’il est rejeté également par les négationnistes et les catholiques traditionalistes. Si ce livre provoque des ruptures, le philosémitisme de Faye lui ouvre les portes d’associations juives radicales, tant en France qu’aux États-Unis.

Cette même période voit la multiplication des traductions des ouvrages de Faye, liée au contenu violemment anti-musulman et anti-Islam de ceux-ci. Les ouvrages les plus importants de sa seconde période paraissent en anglais chez l’éditeur londonien Arktos Media, un éditeur radical, qui a des liens avec l’« alt-right » : The Archeofuturism, The Colonisation of Europe, Why we fight (Pourquoi nous combattons), The Convergence of catastrophes (La Convergence des catastrophes), Sexe and Deviance et Archeofuturism V 2.0 (L’Archéofuturisme V 2.0)[35] et sont traduits dans d’autres langues[36]. Ils sont d’ailleurs discutés sur le site counter-currents.com et dans ses publications. Son dernier livre, paru de façon posthume, Guillaume Faye étant décédé le 7 mars 2019 la veille de sa parution[37], est publié par Daniel Conversano (pseudonyme de Daniel Didier), qui se présente comme un suprémaciste blanc, comme un occidentaliste et un « communautariste blanc ». Surtout, il est préfacé par le journaliste américain Jared Taylor, théoricien important du nationalisme blanc et du suprématisme racial[38], fondateur du magazine et du think tank éponyme American Renaissance, responsable de la New Century Foundation et membre directeur de The Occidental Quarterly.

Enfin, les thèses de Guillaume Faye sont discutées par Telos. Pourtant, si Faye a des références communes avec la Nouvelle Gauche américaine (par exemple Jürgen Habermas, Carl Schmitt, Martin Heidegger, etc.), il s’en éloigne sur la question de la puissance, dont la raison instrumentale peut être un outil selon lui et, évidemment, sur la question du racisme. Paul Piccone soutenait l’idée que la Nouvelle Droite était une sorte de « nouvelle Nouvelle Gauche », mais le GRECE n’a rien de gauche, il ne fait que reprendre la stratégie national-révolutionnaire d’une extrême gauche de l’extrême droite.

S’il discute avec les militants américains, Guillaume Faye n’en oublie pas pour autant de faire la promotion de la Russie, dans laquelle il séjourne à plusieurs reprises à partir de 2006. À l’invitation du militant identitaire Pavel Tulaev, leader de l’organisation Athenaeum connue pour ses liens avec Synergie Européenne et Terre et Peuple, Guillaume Faye donne cette année-là à Moscou et Saint-Pétersbourg une série de conférences en compagnie de Tillenon et du solidariste Emmanuel Leroy[39]. En plus de promouvoir ses principaux ouvrages à l’International Fund for Slavic Literature and Culture et à l’Institut des Recherches Sociales Complexes de l’Université de St-Pétersbourg, l’auteur est amené à rencontrer plusieurs figures hétéroclites de la droite nationaliste russe telles que le député du parti Rodina Andrey Savelyev, les activistes du National Sovereignty Party of Russia (NSPR) ou le védiste du mouvement néo-païen « Solstice » Artëm Talakin[40].

Fort de ce voyage remettant au goût du jour ses théories dans un espace qu’il juge clé, Guillaume Faye multiplie les collaborations. Elles déboucheront dès 2007 sur la traduction en russe de deux de ses ouvrages et l’écriture en 2012 d’une brochure inédite intitulée Regard d’un Français sur la Russie dont il fait la promotion en octobre de la même année auprès de l’Institut de l’Europe de l’Académie des sciences de Russie[41].

Aussi bien pédagogique qu’utopiste, cet ouvrage entérine l’orientation « pro-russe » de Guillaume Faye. Se présentant comme russophile, Guillaume Faye y livre un aperçu critique des images françaises de la Russie tout en évoquant à travers un « programme politique » les difficultés rencontrées par la Fédération de Russie après la chute de l’URSS. Outre la nécessité d’instaurer une politique endogène et une relance économique afin de pouvoir contenir la puissance chinoise, Guillaume Faye plaide pour la renaissance de la Russie à travers son concept d’« Eurosibérie » qu’il remanie et débaptise au profit d’ « Eurorussie ».
Si à première vue cette nouvelle mouture de l’empire continental semble peu différer de celle initialement conçue dans l’Archéofuturisme, elle se caractérise néanmoins par un certain réalisme géopolitique et un russo-centrisme. Pour lui, l’Occident ne doit plus se tourner vers la Sibérie en tant que simple espace géographique exploitable mais bien en tant que sujet historique d’un Etat appartenant « à la même souche génétique, ethnique et civilisationnelle »[42].

S’inscrivant de fait contre la dimension pluriethnique et orientalisante de l’Eurasisme douguinien, Guillaume Faye entend défaire les encerclements otaniens par la constitution d’un bloc militaro-politique continental purement défensif avec les pays d’Europe et la Russie. Puissances initiatrices, la France et la Russie devraient conclure de manière préliminaire un « pacte de protection » nucléaire continental, devant se substituer à terme au « parapluie américain qui fuit »[43]. En affirmant cela, Faye se place dans la continuité de la géopolitique de la Nouvelle Droite des années 1990 qui faisait, à la suite de la mouvance nationaliste-révolutionnaire française, la promotion d’un « axe Paris-Berlin-Moscou » conçu tel un vecteur de stabilité hégémonique. Il se place de nouveau également dans le sillage de ses théories nationalistes-révolutionnaires foncièrement anti-américaines des années 1980, avec une évolution néanmoins : il défend l’idée que les États-Unis soutiendraient en fait les islamistes et Daech. En 2015, il confirme cette évolution, en publiant un autre article sur son site, J’ai tout compris, affirmant que Poutine serait le « seul allié sérieux » de l’Europe contre Daech[44].

À l’instar donc de la grande majorité de l’extrême droite française[45], Guillaume Faye se fait promoteur de Vladimir Poutine et de sa politique. C’est en ce sens qu’il adopte dès 2014 à l’heure des évènements de la révolution ukrainienne du Maïdan, un argumentaire justifiant l’attitude de la Russie sur la scène internationale. Contrairement aux Identitaires qui gardent une vision avant tout locale où le conflit ukrainien serait un prétexte pour une « union eurocrate » de ne pas résoudre ses problèmes internes, Guillaume Faye cultive à l’inverse la vision internationaliste d’une lutte des puissances libérales anglo-saxonnes contre la Russie, et dans laquelle les nations européennes « soumises » seraient contraintes de participer[46]. Si son anti-américanisme le pousse à reprendre le narratif largement répandu au sein de l’extrême droite de la « révolution de couleur » pilotée par la CIA appuyée par des forces « fascistes » ou « néo-nazies », son désir de puissance et d’indépendance à l’échelle de l’Europe est la matrice d’un discours fondé sur l’héritage gaulliste en Russie. S’inscrivant dans « l’esprit de 1966 » revendiqué par une certaine frange du paysage politique et intellectuel français[47], il n’hésite pas ainsi à comparer dans son blog le président Vladimir Poutine au général de Gaulle en soutenant que le président russe « défend une vision gaullienne de l’Europe et du monde, ainsi que de la souveraineté de la Russie »[48]. Si le président russe représente un leader charismatique sur le plan international capable d’asseoir un nouvel équilibre des puissances au même titre que De Gaulle aux yeux de Guillaume Faye, ce dernier n’en oublie pas d’en faire une figure providentielle garante dans une période de « l’ethno-géopolitique » d’une troisième voie. Il balaye ainsi les critiques formulées en Occident :

« Poutine exaspère l’hyperclasse intellectuelle, politicienne et médiatique, parce qu’il défend des valeurs identitaires, parce qu’il traite de décadentes les sociétés européennes, parce qu’il adopte les positions de la révolution conservatrice.  Parce qu’il veut redonner son rang à son pays. Péché capital.  Bien sûr, la Russie n’est pas le paradis terrestre (le sommes-nous ?) mais la présenter comme une dictature dirigée par un nouveau Néron qui a tort sur tous les dossiers relève de la désinformation la plus inconséquente. »[49] 

Partisan de la Russie jusqu’à la fin de sa vie, Guillaume Faye livre ainsi à plusieurs reprise ses éléments d’analyse à différents médias et agences de presse russe comme RIA Novosti.[50] Agissant comme une caution intellectuelle au même titre que d’autres « spécialistes » issus de son spectre politique, il soutiendra fort logiquement l’ensemble des actions entreprises par la Russie à l’étranger comme le rattachement de la Crimée le 18 mars 2014 :

« Dans l’esprit du Kremlin et de Poutine, la Crimée appartient historiquement à la Russie : elle est majoritairement russophone et abrite une partie de la flotte. Poutine veut rétablir la Russie, non pas tant dans les frontières de l’URSS que dans celles de la Grande Catherine, de l’Empire russe, dont l’ambitieux Vladimir se veut le défenseur. Et alors ? Bien évidemment, Vladimir Poutine veut apparaître auprès de son peuple comme celui qui a fait revenir la Crimée (jadis russe) à la mère patrie et qui veut restaurer la puissance internationale russe. »[51]

Par son engagement politique constant en faveur de nouvelles synergies Est/Ouest à l’échelle du continent européen, Guillaume Faye a pu ainsi jouer un rôle dans le développement du système de représentation russe en France au sein de l’extrême droite. La question de l’Eurosibérie et de l’Archéofuturisme suggère, par sa postérité au sein des mouvements nationalistes russes de tout type, une influence relative sur leur idéologie. Mais c’est au sein de l’extrême droite ukrainienne qu’elle se révèle plus prégnante sinon d’une toute autre épaisseur. Nonobstant son orientation pro-russe, c’est dans le cadre du projet Intermarium du parti nationaliste Corps National[52] que les théories de Guillaume Faye sont commentées et utilisées.

Conçue par la philosophe et responsable des relations internationales du Corps National, Olena Semenyaka et Andriy Voloshyn de l’association archéofuturiste ARFA, l’Intermarium est un projet d’union des Etats de la Baltique à la Mer Noire reprenant celui développé par le maréchal polonais Jozef Piłsudski au cours des années 1920 et le géopolitologue ukrainien Yuri Lypa. Modèle avant tout défensif contre la Russie, voulu comme une forme de désengagement par rapport à l’OTAN, l’Intermarium serait aussi vue comme le moyen ultime d’unifier et de créer une civilisation est-européenne fondée sur des attributs, une identité et des racines culturelles communs. Pour ses partisans, les nations de l’Intermarium seraient au seuil de deux mondes : l’Occident et l’Orient. Cette position d’interface matérialiserait un équilibre moral entre les extrêmes du « fondamentalisme oriental » et du « progressisme occidental » dont découlerait une culture politique et une ascendance et appartenance communautaires régionales :

« L’idée d’un centre et d’un être au milieu chevauche à son tour le thème mythopoétique de l’âge d’or: le maximum de potentiel ontologique (existentiel) et l’origine de toutes choses. Il n’est pas étonnant que les anciens Chinois aient perçu leur «empire céleste» comme un «royaume du milieu». En effet, Intermarium représente non seulement un milieu (équilibre) spatial, mais aussi temporel, qui signifie: culturel et politique. Après tout, spatialement, il ne s’agit pas non plus des zones géographiques abstraites Est et Ouest. Même les voies de transit ont avant tout une importance culturelle et non économique. Par conséquent, Intermarium est un espace où se rencontrent différentes époques et les conceptions mêmes du temps: tradition et histoire, valeurs conservatrices et progrès, autocratie orientale et droit occidental, collectivisme et personnalité. »[53]

 L’Intermarium sous tendrait ainsi pour l’extrême droite ukrainienne l’intuition du « primordialisme » et de « l’ethnofuturisme ». Reposant sur la thèse de « l’ethnogénèse » aussi bien développée par l’ethnographe Lev Gumilev que réadaptée avec les idées de Faye par le mouvement de jeunesse du parti estonien EKRE Sinie Äratus (Eveil bleu) ; et dans laquelle les organismes biosociaux sont considérés comme symbiotiques les uns avec les autres, l’ethnofuturisme s’affranchit des clivages nationaux existants au profit de synergies ethno-régionales plus larges. En mettant ainsi l’accent sur la coopération plutôt que sur la concurrence entre les peuples d’une même région, l’ethnofuturisme éviterait le piège de l’enclavement géopolitique imposé aux marges orientales par les centres européens et russes antagonistes. C’est donc autour de cette quête de « sentiments communs » à l’Intermarium, et dans une démarche allant à contre-courant des anciennes dynamiques impérialistes historiques que certaines élites politiques conservatrices d’Europe Centrale et Orientale se rassemblent autour du Corps National d’Azov et se mobilisent aujourd’hui lors de différentes conférences comme l’Ethnofuture Conference à Tallin en 2019. Reconnu comme théoricien de l’Intermarium par Olena Semenyaka[54], Guillaume Faye offrirait avec sa vision de l’Archéofuturisme un tremplin à la vers une « quatrième révolution industrielle » en Europe orientale fondée sur l’archê  et les nouvelles technologies que l’édification d’une alter-Europe identitaire.

Guillaume Faye fut donc, depuis son retour dans le militantisme politique, un théoricien important de la pensée identitaire. Son décès a été accueilli avec tristesse par la nébuleuse identitaire française (Jean-Yves Le Gallou, Les Identitaires, Boris Le Lay, TV Libertés, Riposte Laïque, Richard Roudier, etc.) et anglo-saxonne qui l’a beaucoup traduit, en particulier la mouvance Alt-Right (Arktos Medias, Greg Johnson, etc.). Même le blog de la revue Éléments, pourtant proche d’Alain de Benoist, lui rendit hommage, au travers de témoignages de certains de ses anciens camarades[55].

Son rejet de l’islam et de l’immigration arabo-musulmane a rencontré un public favorable aux États-Unis, dont l’extrême droite est sensible à cette question à la suite du 11 septembre 2001. En outre, il est important de prendre en compte que les théoriciens de la Nouvelle droite française (Alain de Benoist, Guillaume Faye) lisent les penseurs américains (par exemple Paul Gottfried, Raymond Cattell, Arthur Jensen, Donald Swan, Wesley George, Roger Pearson, Kevin MacDonald, Robert Griffin, Samuel Francis, Jared Taylor, Michael O’Meara[56], etc.) depuis la création du GRECE en 1968, malgré l’anti-américanisme affiché de celui-ci. Ces lectures ont donné naissance à un échange réciproque de références intellectuelles et de discussions. Depuis les années 2000, l’extrême droite américaine découvre ces penseurs européens dont elle s’approprie les thèses.


Notes

[1] Guillaume Faye, L’Archéofuturisme, Paris : L’Æncre, 1998, pp. 42-43.

[2] Pierre-André Taguieff, Sur la Nouvelle Droite. Jalons d’une analyse critique, Paris, Descartes & Cie, 1994, p. 205.

[3] Guillaume Faye, « Les Titans et les Dieux. Entretien avec G. Faye », Antaïos, n°16, 2001, p. 116.

[4] Il avait déjà eu une expérience d’animateur radio entre 1983 et 1986, en participant à la radio libre La Voix du Lézard, ancêtre de Skyrock.

[5] Guillaume Faye, Avant-guerre, Paris, Carrère, 1985.

[6] Guillaume Faye, Chirac contre les fachos, Paris, GFA, 2002.

[7] Stéphane François, Les Paganismes et la Nouvelle Droite. Pour une autre approche, Milan, Archè, 2008 ; Pierre Verdrager, L’Enfant interdit. Comment la pédophilie est devenue scandaleuse, Paris, Armand Colin, 2013.

[8] Jean-Yves Le Gallou, « Yvan Blot et Guillaume Faye : deux sentinelles aux frontières », Polémia, https://www.polemia.com/yvan-blot-guillaume-faye-sentinelles-frontieres/. Consulté le 09/05/2019.

[9] Guillaume Faye, La Nouvelle question juive, Chevaigné : Le Lore, 2007.

[10] Guillaume Faye, L’Archéofuturisme, op. cit., pp. 10-11.

[11] Ibid., p. 66.

[12] Ibid., p. 168.

[13] Guillaume Faye, Sexe et idéologie, Paris, Le Labyrinthe, 1983, p. 25.

[14] Guillaume Faye, L’Archéofuturisme, op. cit., p. 103.

[15] Guillaume Faye, « Pour en finir avec la civilisation occidentale », Éléments pour la civilisation européenne, n°34, 1980, pp. 5-11 ; Le Système à tuer les peuples, Paris, Copernic, 1981 ; La NSC, la nouvelle société de consommation, Paris, Le Labyrinthe, 1984 ; L’Occident comme déclin, Paris, Le Labyrinthe, 1984 ; Nouveau discours à la nation européenne, Paris, Albatros, 1985.

[16] Guillaume Faye, Pourquoi nous combattons. Manifeste de la résistance européenne, Paris, L’Æncre, 2001, p. 73.

[17] Guillaume Faye, Nouveau discours à la nation européenne, Paris, Albatros 1985, p. 106.

[18] Guillaume Faye, Pourquoi nous combattons, op. cit., p. 113.

[19] Ibid., p. 117.

[20] Ibid., p. 76.

[21] Ibid., p. 118.

[22] Ibid., p. 78.

[23] Ibid., pp. 20-21.

[24] Ibid., pp. 55-56.

[25] Ibid., p. 57.

[26] Guillaume Corvus, La Convergence des catastrophes, Paris, Diffusion International Éditions, 2004.

[27] Guillaume Faye, Pourquoi nous combattons, op. cit. p. 69.

[28] Guillaume Corvus, La Convergence des catastrophes, op. cit., p. 201.

[29] Guillaume Faye, Le Système à tuer les peuples, Paris, Copernic, 1981. Traduit en italien : 1/Il sistema per uccidere i popoli, Milan, Edizioni dell’uomo libero, 1983 ; 2/Il sistema per uccidere i popoli, Milan, Società editrice Barbarossa, 1997 ; Guillaume Faye, La NSC, la nouvelle société de consommation, Paris, Le Labyrinthe, 1984. Traduction en italien : La Nuova Societa dei consumi, Milan, Edizioni dell’uomo libero, 1985 ; Guillaume Faye, Nouveau discours à la nation européenne, Paris, Albatros, 1985. Traduit en allemand : Rede an die europäische Nation, Tübingen, Hohenrain, 1990 ; Guillaume Faye, Les Nouveaux enjeux idéologiques, Paris, Le Labyrinthe, 1985. Traduit en allemand : Die neuen ideologischen Herausforderung, en Mut zur Identität: Alternativen zum Prinzip der Gleichheit, Struckum, Verlag für ganzheitliche Forschung und Kultur, 1988 ; Guillaume Faye, Pierre Freson & Robert Steuckers, Petit lexique du partisan européen, Esneux, Eurograf, 1985. Traduit en espagnol : 1/Pequeno lexico del militante europeo, Valence, Iskander, 1996 ; 2/Pequeno lexico del partisano europeo, Barcelona, Nueva Republica, 2012.

[30] Stéphane François, Au-delà des vents du Nord. L’extrême droite française, le pôle nord et les Indo-Européens, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2014, pp. 233-245.

[31] Guillaume Faye, Pourquoi nous combattons, op. cit., p. 119.

[32] Ibid., p. 128.

[33]Greg Johnson, « Project Septentrion: The last line of defense », 2010, http://www.counter-currents.com/2010/08/project-septentrion/ Consulté le 11 juillet 2017.

[34] http://library.flawlesslogic.com/french.htm. Consulté le 08 août 2017.

[35] Guillaume Faye, Archeofuturism, Londres, Arktos Media, 2010 ; Why we fight. Manifesto of European Resistance, Londres, Arktos Media, 2011 ; Convergences of Catastrophes, Londres, Arktos Media, 2012 ; Sex & Deviance, Londres, Arktos Media, 2014 ; The Colonisation of Europe, Londres, Arktos Media, 2016 ; Archeofuturism 2.0, Londres, Arktos Media, 2016 ; Understanding Islam, Londres, Arktos Media, 2017.

[36] Ainsi, L’Archéofuturisme a été traduit en espagnol : El Arqueofuturismo, Barcelone, Titania, 2008 et en italien : L’Archeofuturismo, Milan, Società editrice Barbarossa, 2000 ; Pourquoi nous combattons a été traduit en allemand : Wofür wir kämpfen : Manifest des europäischen Widerstandes ; das metapolitische Hand- und Wörterbuch der kulturellen Revolution zur Neugeburt Europas, Kassel, Ahnenrad der Moderne, 2006 et en tchèque : Pročbojujeme : manifest evropského odporu : metapolitický slovník, Prague, Delsky potapěč, 2016.

[37] Guillaume Faye, La Guerre civile raciale, Harfleur, Éditions Petit Jean, 2019.

[38] Voir, par exemple, pour un livre traduit en français, Jared Taylor, L’Amérique de la diversité. Du mythe à la réalité, Paris, L’Aencre, 2016. Sur les thèses de Taylor, voir Russell Nieli, « Jared Taylor and White Identity », in Mark Sedgwick (dir.), Key Thinkers of the Radical Right. Behind the New Threat to Liberal Democracy, New York, Oxford University Press, 2019, pp. 137-154. Jared Taylor est une figure à part dans la mouvance de l’Alt-Right car il n’est pas antisémite. Plusieurs auteurs conservateurs juifs sont d’ailleurs intervenus dans le cadre des conférences d’American Renaissance.

[39] Atheney, « Gijom Faj v Rossi », 2006, http://ateney.ru/old/rus/hronika/FayeInRussia.htm/ Consulté le 16 mai 2019.

[40] Ibid.

[41] Atheney « Kruglyj stol s učastien Gijoma Faâ », 2012, http://ateney.ru/old/20121019.htm/ Consulté le 17 mai 2019

[42] Guillaume Faye, Euro-Russie : Bases concrètes d’une future confédération impériale », 2007,  http://ateney.ru/old/frans/fr022.htm/ Consulté le 17 mai 2019

[43] Ibid.

[44] Guillaume Faye, « La Russie de Poutine : notre seul allié sérieux », J’ai tout compris. Blog de Guillaume Faye, http://www.gfaye.com/la-russie-de-poutine-notre-seul-allie-serieux/. Consulté le 09/05/2019.

[45] Cf., Nicolas Lebourg, Les Extrêmes droites françaises dans le champ magnétique de la Russie, Carnegie Council/Foundation Open Society Institute, 2018.

[46] Guillaume Faye, « La russophobie : stratégie US contre la France et l’Europe », J’ai tout compris. Blog de Guillaume Faye,  http://www.gfaye.com/la-russophobie-strategie-us-contre-la-france-et-leurope/ Consulté le 21/05/19

[47] Pour exemples, Hélène Carrère d’Encausse Le Général de Gaulle et la Russie Paris, Fayard, 2017 ; Frédéric Pons  Poutine. Au cœur des secrets de la Russie moderne », Calmann-Lévy, 2014 ; Yannick Jaffré Vladimir Bonaparte Poutine,  Ed. Perspectives Libres,  2014.

[48] Guillaume Faye, « Poutine : le De Gaulle russe ? », J’ai tout compris. Blog de Guillaume Faye, http://www.gfaye.com/poutine-le-de-gaulle-russe/. Consulté le 09/05/2019.

[49] Guillaume Faye, « Pourquoi la Russie a raison », J’ai tout compris. Blog de Guillaume Faye, http://www.gfaye.com/pourquoi-la-russie-a-raison/. Consulté le 22/05/2019.

[50] RIA Novosti « Gijom Faj: predstavlâtʹ Rossiû kak opasnostʹ – absurdnaâ ložʹ », https://ria.ru/20150112/1042166591.html/. Consulté le 16 mai 2019

[51] Guillaume Faye, « Pour le rattachement de la Crimée à la Russie ? », « La Russie de Poutine : notre seul allié sérieux », J’ai tout compris. Blog de Guillaume Faye, http://www.gfaye.com/pour-le-rattachement-de-la-crimee-a-la-russie/. Consulté le 09/05/2019.

[52] Créé le 16 octobre 2014 sur la base du régiment ultra-nationaliste Azov, le Corps National est un parti ultra-nationaliste revendiquant environs 10 000 adhérents. Dirigé par l’ancien chef du groupe paramilitaire Patriote d’Ukraine, Andriy Biletskiy, le Corps National se déploie aujourd’hui dans la société ukrainienne à travers différentes initiatives : camp d’entrainements (Azovets), milice (Natsional’ny Druzhiny), club métapolitiques et culturels (Plomin)…

[53] Olena Semenyaka, « Intermarium as a Laboratory of European Archeofuturism », http://intermariumnc.org/?p=317/. Consulté le 21mai 2014

[54] Saratus, « Interview with Olena Semenyaka », http://intermariumnc.org/?p=930/. Consulté le 20 mai 2019

[55] « Guillaume Faye par ceux qui l’ont connu », blog éléments pour la civilisation européenne, https://blogelements.typepad.fr/blog/2019/03/guillaume-faye-par-ceux-qui-lont-connu.html. Consulté le 29/03/2019.

[56] Pseudonyme de Michael Torigian, qui lui consacra en 2013 un petit ouvrage : Guillaume Faye and the Battle of Europe, Arktos Media, 2013.