Traboules et néofascisme
Propos de Stéphane François, entretien préparatoire à Laurent Burlet, "Exclus du FN, les « néofascistes » manifestent à Lyon", Rue89Lyon, 15 janvier 2012.
-Peut-on dire que les jeunesses nationalistes est un groupuscule néonazi ? Plus globalement, comment décrire leur idéologie ?
Stéphane François : Non. Les Jeunesses nationalistes n’est pas un groupuscule néonazi : il n’y a pas de référence explicite à Hitler, au nazisme, au IIIème Reich. Il y a bien eu l’ « affaire » Alexandre Gabriac qui fut photographié le bras tendu devant un drapeau nazi, mais leur esthétique relève plutôt du néofascisme.
En effet, ses membres ne portent pas de runes, ne font pas référence à des codes néonazis (HH, 88, 14 words, etc.). Ce groupuscule relève plutôt du mouvement néofasciste. Ils font preuve d’un nationalisme exacerbé, antidémocratique et viril, le tout accompagné d’une foi chrétienne et d’une xénophobie typique de ces milieux. Ils se sentent proche de groupuscules néofascistes comme la Maison Pound en Italie (la « CasaPound »). Ils se réfèrent aussi à la Phalange espagnole, qui, une fois les dirigeants exécutés par les Républicains, fut transformée en un mouvement satellite du franquisme. Ce nationalisme est assorti d’un anti-américanisme virulent. Nous retrouvons dans leur discours, la position typique économique de ces mouvements néofascistes : ni droite, ni gauche, anticapitalisme et éloge d’une économie organique. Nous retrouvons enfin, chez eux, l’idée typique du néofascisme d’un nationalisme européen. Leur emblème est à ce niveau explicite : il s’agit de l’aigle fasciste dont les serres tiennent un faisceau.
– La Maison Pound en Italie : Comment peut-on présenter ce mouvement en quelques mots ?
Stéphane François : La CasaPound est un squat néofasciste situé dans la banlieue de Rome, qui pratique une stratégie culturelle et sociale. Elle est née en 2008 lors du squat d’un bâtiment administratif abandonné. Son discours est très nationaliste-révolutionnaire : ses animateurs reprennent à la fois des éléments du guévarisme et du fascisme, mais surtout la CasaPound reprend et réutilise des éléments de la contre-culture, en particulier symboliques, d’extrême gauche. Cette expérience a été copiée à Lyon.
-Quelles différences idéologiques avec les Identitaires ?
Stéphane François : La principale différence avec les Identitaires se situe au niveau du nationalisme : le premier est jacobin alors que les Identitaires sont ethnorégionalistes. Les premiers se sentent proches du christianisme alors que les seconds sont des païens militants. Il y a donc vraiment une grande différence entre les deux : les premiers sont plutôt issus de l’extrême droite classique, voire du maurrassisme, alors que les seconds sont les héritiers de l’ethnodifférencialisme de la Nouvelle Droite. Toute la différence est précisée dans leur premier point de leur charte : « La nation est la réalisation collective d’un destin particulier ; c’est un sol, un peuple, une langue et une civilisation, rendus unis par l’histoire. C’est le passé vécu ensemble et la certitude de vivre un avenir commun ».
-Vous parlez de Maurras. Peut-on dire que les Jeunesses Nationalistes sont pétainistes ?
Stéphane François : Oui. Il y a une très nette sympathie chez leurs responsables pour le pétainisme. Il ne faut pas oublier qu’Yvan Benedetti fut pendant plusieurs années un membre de L’Œuvre française de Pierre Sidos, un néofasciste nostalgique de Vichy, régime que Benedetti soutient également.
-Par contre dans leurs modes d’actions, ils ont l’air plus proches. Qu’en pensez-vous ?
Stéphane François : Les stratégies identitaires sont efficaces, comme l’a montré la marche des cochons, le « coup » de la Goutte d’Or ou l’opération « apéro pinard-saucisson ». Il est donc logique qu’elles soient imitées.
– Quels rapports avec le GUD ?
Stéphane François : Les rapports sont plutôt proches. Les différents sites/blogs des deux parlent de l’autre comme d’« amis ». En outre, les positions idéologiques des uns et des autres sont très proches. Toutefois, il faut garder à l’esprit que nous parlons d’un « néo-GUD ». Donc ce rapprochement doit être vu comme une alliance entre deux groupes marginaux, qui peinent à trouver une légitimité.
– Les JN ont-elles une implantation nationale ?
Stéphane François : Leur implantation nationale est minime et se résume au Lyonnais. Par conséquent, pour l’instant, ils relèvent plus du groupuscule local. La naissance des Jeunesses nationalistes est encore trop récente. Il faut attendre un peu pour voir son évolution. Toutefois, il faut être réaliste : ce groupe ne se développera guère.
– Pourquoi organisent-ils une manifestation demandant le retrait des troupes françaises en Afghanistan ? Veulent-ils envoyer les soldats dans les banlieues ?
Stéphane François : Leur discours est à la fois neutraliste, anti-américain et anti-musulman. Cela signifie tout à la fois qu’ils sont contre la politique étrangère américaine, et contre une implication de la France dans ce domaine parce que cela risquerait d’amener une réaction islamiste en France. Enfin, il faut prendre en compte qu’un certain nombre de militants d’extrême droite se sont engagés dans l’armée. D’autres, non militants à l’origine, reviennent de ce pays écoeurés et islamophobes. Ils sont des cibles de choix pour ce groupuscule qui, persuadé de l’imminence d’une guerre ethnique en France, surfent sur la stigmatisation d’une partie de la population de notre pays. Le refus de l’islamisation de la France est devenu aujourd’hui un dénominateur commun important de l’extrême droite française. Ce discours peut aussi attirer les mercenaires, très présents à l’extrême droite, milieu dont fit partie le neveu de Pierre Sidos.
– Pourquoi dites vous qu’ils sont « contre une implication de la France dans ce domaine parce que cela risque d’amener une réaction islamiste en France » ? Mais en même temps ne cherchent-ils pas à hâter cette réaction pour « déclencher une guerre ethnique » ?
Stéphane François : Effectivement, c’est un peu paradoxal. Mais il faut prendre en compte leur « antisionisme » et leur refus de la politique étrangère américaine : cette guerre ne regarde pas la France. En ce sens, ils refusent une importation en France d’un conflit qui ne nous regarde pas, déclenché par les « américano-sionistes ». Il ne faut pas sous-estimer cet « antisionisme » dans leur vision géopolitique.
– Est-ce que ce mouvement est formé des exclus du Front National ? Quel est leur recrutement ?
Stéphane François : Oui, ce mouvement est formé de quelques exclus, très radicaux, du Front national : Yvan Benedetti, Olivier Wyssa et Alexandre Gabriac sont proches de Bruno Gollnisch et avaient un double encartement : Front national et L’Œuvre française. Ce mouvement est aussi composé de jeunes gens qui gravitent dans les milieux de l’extrême droite musclée. Ils recrutent principalement chez des jeunes précarisés, venant de milieux ouvrier ou d’employés, qui sont déçus de la politique de « dédiabolisation », toute relative d’ailleurs, de ce parti, comme certains hooligans, voire des skinheads. Enfin, ils « piochent » dans un autre groupuscule, L’Œuvre française, dont furent (sont ?) membres Yvan Benedetti et Alexandre Gabriac. En outre, Benedetti anime un autre groupuscule Jeune Nation, qui doit être vu comme une organisation connexe à l’Œuvre française. Nous pouvons penser que ce groupe a pour objectif de rajeunir le mouvement de Sidos. Ils recrutent enfin parmi les éléments les plus radicaux.