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Droitisation : les causes d’un échec

Par Nicolas Lebourg

Sous l'influence de Patrick Buisson, l'UMP a adopté une ligne de droitisation. Nicolas Sarkozy estimait que c'était déjà grâce à elle qu'il avait gagné les élections de 2007. La promesse « travailler plus pour gagner plus » a en fait entraîné un report de voix, puis son échec le rebond du FN – chez les travailleurs indépendants le vote FN a été de 22% en 2002, 9% en 2007, 17% en 2012 ; chez les chômeurs il fut de 20% en 2002, 11% en 2007, 18% en 2012. Sont en jeu des valeurs culturelles de droite et des valeurs sociales de gauche. C'est le vœu d'un ordre social à la hiérarchie légitime, où le travailleur déclassé n’aurait pas au dessus l’obscénité des profits, et en dessous des immigrés censés jouir de toutes les aides. L'offensive de Nicolas Sarkozy sur le premier mai 2012 et le « vrai travail » se comprend quant à ce point. Mais, pour l'électorat FN, la notion de sécurité est à la fois nationale et sociale. La « préférence nationale », parfois rebaptisée « protectionnisme social » par Marine Le Pen, demeure la clef de voûte de l'adhésion. Elle permet de réguler le marché libre par un discriminant extérieur au corps électoral, et donc d'agréger des clientèles très diverses. La France rêvée aujourd'hui par le FN est celle de l'ère industrielle, avec la mythification d'une solidarité des petits et d'une hiérarchie méritocratique.

Ce culte unitaire explique les échecs de la stratégie de droitisation. Partout en Europe, le néo-populisme assure qu’il y a un lien de causalité entre insécurité et origine ethnico-religieuse. Dans le cadre post 11 septembre, la stigmatisation de l’islam a permis d’intégrer l’altérophobie à la défense des valeurs libérales. Avec la droitisation (par exemple les provocations de Claude Guéant), s’est opérée à l’encontre des résidents d’origine arabo-musulmane la jonction d’une altérophobie élitaire, soucieuse de leur contrôle politique et suspicieuse de leur assimilabilité ethno-culturelle, et d’une altérophobie populaire, inquiète face à leur concurrence de travail et de culture.

Cependant, Nicolas Sarkozy n’a pas su durant son mandat allier la sécurité de l’unité nationale à celle de l’ordre social. Face à la crainte suscitée par la puissance de la financiarisation de l’économie, sa stratégie a été la mise en avant de l’axe « Merkozy ». Or, la France de Marine Le Pen doute que le politique puisse agir : le vote Le Pen et l’abstention se recoupent (selon les premières données, les primo-votants se sont abstenus à 27% et on voté FN à 22%, les plus de 60 ans se sont abstenus à 14% et ont voté FN à 11%). Elle se méfie de l’Union Européenne, dont les tenants les plus fervents ne représentent que 11% des voix. Puisque l’État n’était pas au rendez-vous de la crise de 2008, la stratégie autoritaire s’est réfugiée dans l’excitation de la demande altérophobe depuis le discours de Grenoble en 2010.

La droite a déplacé le curseur national et social sur le champ sociétal, avec les nomades et la loi sur la Burqa hier, la mise en avant de la proposition socialiste de droit de vote des immigrés aujourd’hui. Ce comportement a en fait toujours légitimé le transfert de suffrages de l’UMP au FN, en surmobilisant la gauche en retour. L’insécurité culturelle affirmée correspondait bien mieux aux schémas de réponse unitariste du national-populisme qu’au bougisme sarkozyste. Par ailleurs, les questions sociétales ne servent plus que dans le domaine du combat culturel construisant le vote, mais non dans la production directe du vote. Preuve en est : Eva Joly ayant fait campagne sur cet angle obtient 2%, Marine Le Pen, longtemps engluée dans une thématique anti-IVG obsolète, réussit, pour la première fois de l’histoire de l’extrême droite, à obtenir un vote féminin à hauteur du vote masculin. La menace d’un déremboursement des IVG a été moins structurante que le fait que les femmes représentent 85% des temps partiels dans le tertiaire et 75% dans l’industrie. Le sociétal est en enjeu moins déterminant pour le vote que le social. Chercher le clivage à droite sur ces questions est donc revenu soit à avaliser la vision du monde frontiste, soit à tirer une cartouche à blanc.

La péjoration frontiste de l’immigration et de l’islam recouvre en fait une dénonciation de la société post-moderne, atomisée socialement, culturellement, urbanistiquement. Or, sur le thème du communautarisme, Nicolas Sarkozy évoluait d’un posture positive (préfet « musulman », réforme de la loi de 1905, refus des repentances), à son admonestation conjointe à celle du multiculturalisme, tout en étant le premier Président à se rendre au dîner du CRIF ou en soutenant une nouvelle offensive de lois mémorielles… En somme, il avalisait confusément l’idée que les individus sont assignés à une identité ethno-culturelle (voir le « d’apparence musulmane » proféré)… et que l’existence de ces identités menaçaient l’unité nationale.

Enfin, le discours de la Droite populaire contre l’immigration s’est avéré l’un des meilleurs viatiques du vote frontiste. Il faut se souvenir que, fondé en 1972, le FN encore groupusculaire ne fit campagne sur l’immigration qu’à partir de 1978. Ce fut son numéro 2 François Duprat (tué en 1978) qui en eut l’idée, en s’inspirant en particulier du cas britannique où ce sujet utilisé par la droite contre la gauche avait gonflé les scores de l’extrême droite. Il estimait que le thème du coût social de l’immigration permettrait de récupérer des voix des classes populaires et que la droite voulant les reprendre viendrait avaliser cette position, donc dédiaboliserait l’extrême droite, ce qui permettrait finalement une recomposition des droites. La stratégie a été concluante. Depuis 1980, il existe au moins 14 autre cas de pays où le champ parlementaire a tenté de contenir la montée de formations populistes en concurrençant leurs positions sur l’immigration. Systématiquement, c’est l’extrême droite qui en a profité. La ligne Buisson devait donc en toute logique mener l’UMP où elle en est, alors qu’une ligne sur la République, la méritocratie, l’industrie et la personne eût pu être opératoire.

Première parution : Nicolas Lebourg, « Inefficace « droitisation » », Le Monde, 27 avril 2012, p.21.

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