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Le Nationalisme blanc : une radicalité globalisée

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Source inconnue

Propos de Nicolas Lebourg recueillis par Christophe Penaguin, entretien paru sur Bruit blanc magazine, 24 juin 2019.

BBM : Si on s’intéresse à la « radicalité de droite », le premier problème qui se pose est sémantique. Il existe des groupes nazis, fascistes, pétainistes, nationalistes, antisémites, royalistes…, les étiquettes sont très variables et parfois énigmatiques. Comment nommer ce phénomène et existe-t-il des critères objectifs permettant de rattacher telle ou telle organisation à cette « radicalité de droite » ?

Pour ma part, je définis toujours les termes employés. En ce qui concerne  le fascisme je pense qu’il faut utiliser le terme pour des partis-milices qui veulent créer un homme nouveau par un État totalitaire à l’intérieur et une guerre impérialiste à l’extérieur. Ce désir de défaire l’homme du libéralisme tel qu’issu du XIXe fait que le fascisme participe de la sous-famille de « l’extrême droite radicale » apparue après 1918. Elle conserve le point commun qu’ont tous les courants d’extrême droite : une conception organiciste de la communauté qu’ils disent vouloir régénérer. A cet angle historique s’en ajoute un juridique car la radicalité est forcément désignée par la norme. C’est donc l’ancienne loi de 1936 définissant les motifs de dissolution qui, là, permet de définir les items – et force est de constater que l’extrême droite radicale tend à cocher toutes les cases des motifs : atteinte à la forme républicaine de gouvernement, incitation à la discrimination, etc.

BBM : Existe-t-il une cohérence idéologique et des contacts concrets entre les militants américains de la suprématie de la race blanche et les groupes de droite radicale européens ?

Depuis un siècle, il y a toujours eu des échanges entre les nationalistes d’Europe et des Amériques. C’étaient d’abord plutôt des échanges intellectuels puis après 1945 organisationnels – les moyens de communication s’étant accélérés. Il y a aussi tous les emprunts esthétiques : la radicalité américaine aime bien les runes de la SS, y compris chez des groupes qui relèvent plutôt de la tradition sudiste du pays. Tout cela a contribué à redessiner idéologiquement le néo-nazisme : pour les nazis les Slaves étaient des sous-hommes, pour le néo-nazisme le problème premier c’est l’unité de la race blanche. Dans les expériences intéressantes, il y a la fondation à Londres de la World Union of National Socialists fondée en 1962, dont le chef est le leader de l’American Nazi Party. Fondé aux États-Unis, le NSDAP-AO (le « parti nazi en exil ») est devenu une sorte d’Amazon du néo-nazisme mais il a des liens avec les néo-nazis français dès 1979. Aujourd’hui vous pouvez trouver sur les sites des radicaux américains des textes traduits en Anglais tant du russe Alexandre Douguine que du Français récemment décédé Guillaume Faye qui, à la fin de sa vie, défendait un projet d’union de la race blanche après avoir été très anti-américain.

BBM : Peut-on encore repérer des passerelles entre les groupes fascistes ou nazis et les partis qualifiés d’extrême droite comme le Rassemblement National (RN) en France ou la Ligue (Lega) en Italie ?

Lorsque des militants de CasaPound frappent des manifestants de gauche opposés à la politique de la Lega il y a une articulation de facto. Le poids de ce qu’on a surnommé le « Gud Business » ou la « Gud connexion » dans et autour du parti de Marine Le Pen est patent, mais est aujourd’hui plus une affaire pour la Justice que pour la science politique car il n’y a plus comme jadis au FN des courants organisés à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du parti, tel par exemple Terre et Peuple qui dans les années 1990 rassemblait les racialistes. Il n’y a plus de courant constitué visible, mais un fin entrelacement.

BBM : Le RN de Marine Le Pen est devenu résolument pro-israélien et se veut le grand défenseur des Français juifs. Certains groupes d’extrême droite considèrent Israël comme une citadelle de l’Occident tandis que d’autres (par exemple la nébuleuse Soral) continuent à faire des Juifs leur cible principale. La question de l’antisémitisme est-elle désormais une ligne de fracture au sein de la droite radicale ?

Il y a un très net affaiblissement intellectuel de l’extrême droite, y compris chez ceux qui se prennent pour des penseurs qui sont souvent aux chevilles des théoriciens des années 1950-1960. Soyons honnêtes : la dévitalisation théorique ne frappe pas que cet espace politique. Mais ici c’est vrai que l’obsession altérophobe a fini par simplifier les choses à l’extrême : êtes-vous « avec les Arabes » ou « avec les Juifs » ? Ce sont des lignes de fracture : les groupuscules néofascistes n’ont ainsi pas appelé à voter aux élections européennes pour la liste dite contre « le Grand remplacement » en considérant que Renaud Camus ne disait pas que ce sont les juifs qui l’organiseraient. 

BBM : Ce qui frappe dans votre livre « Les nazis ont-ils survécu ? », c’est l’extrême atomisation du milieu du « fascisme européen » depuis la fin de la seconde guerre mondiale : multiplicité des groupuscules, scissions incessantes, querelles inexpiables entre personnalités. Existe-t-il un lien entre cette incapacité à se fédérer et l’idéologie de ce milieu ?

Redoutable question. Leur racisme est de conservation, il s’agit de « défendre la race blanche » et non, comme les nazis, de conquérir le monde et de créer un homme nouveau ressuscitant l’Aryen mythologique. Ce repli a sans doute à voir avec leur marginalité sociale. Leur morcellement en petits groupes avec en même temps pléthore d’Internationales plus unitaires les unes que les autres éclairent en fait très bien ce qu’est la phase de la globalisation ouverte ces dernières décennies : certes le monde est à plat, mais divisé en niches. Je trouve très révélateur que le Nouvel ordre européen, une Internationale fondée après-guerre par d’ex-collaborationnistes et Waffen-SS, ait adopté à chacun de ses congrès une déclaration nommée d’après la ville où il se tenait. C’est donc un monde transnational où les nations s’effacent au profit de villes-mondes interconnectées : c’est très conforme à notre structure économique en fait. C’est pourquoi le livre est écrit de telle manière qu’un lecteur attentif se rendra compte qu’il est aussi en partie une histoire de la globalisation à travers l’histoire des nationalismes radicaux. 

BBM : Vous indiquez dans votre livre qu’être radical implique d’avoir « un rapport spécifique à la mort ». N’est-ce pas à la fois la force et la faiblesse du fanatisme idéologique ?

Cela dépend des périodes. Prendre le risque de mourir en se portant volontaire pour aller combattre loin de chez soi, dans l’Espagne de la Guerre civile, sur le front de l’Est, a un sens. C’est un moment de guerre, où tuer devient par définition une activité moralement normalisée. En période de paix en revanche l’exaltation de la violence attire beaucoup plus de cas sociaux ou psychiatriques. C’est assez net d’ailleurs dans les transformations du recrutement entre les années 1960 et 1990. Au départ, vous avez des gens qui sont des petits-bourgeois déclassés socialement ou moralement par la décolonisation, et puis vous évoluez vers des jeunes prolétaires déclassés par la désindustrialisation. Les premiers ont besoin de beaucoup d’élaboration doctrinale pour justifier leur engagement, et se déplacent à travers le monde, les seconds le vivent à leur échelle territoriale dans la confrontation directe. Mais sur le plan esthétique il y a une certaine jouissance d’être dans la marge et à la fois dans le virilisme du « j’assume les risques » et quelque chose qui a à voir avec la jouissance de l’auto-destruction. Il ne faut pas psychologiser la radicalité : les radicaux sont des gens qui font un choix politique aussi conscient que les autres, mais oui il y a des structures anthropologiques.