L’Humanité et ses mythes
Jean-Loïc Le Quellec vient de publier Avant nous le Déluge ! L’humanité et ses mythes aux éditions du Détour. Vous pouvez réécouter ci-dessous l’émission La Grande table (France culture) qui était consacrée à l’ouvrage le 29 décembre dernier :
Pour une première approche des enjeux sociaux de ces travaux, on peut également lire cet extrait l’entretien paru dans L’Humanité le 22 mai 2015 : « Jean-Loïc Le Quellec : « Le concept de religion est une construction chrétienne récente » »
Jean-Loïc Le Quellec Parler de la religion ou du fait religieux semble relever de l’évidence. En fait, cela soulève des problèmes de fond. Il ne s’agit pas de phénomènes évidents dans l’histoire, qui auraient existé de tout temps, dans toutes les cultures… Le mot religion lui-même a changé de sens à plusieurs reprises. Au début, sa racine romaine désignait un scrupule. Par extension, le scrupule a glissé vers le respect scrupuleux des interdits. Puis ce sont les auteurs chrétiens qui ont refait une étymologie en faisant appel au latin religare, relier. Cela montre que le concept de religion est une construction chrétienne récente, occidentale et donc provinciale à l’échelle du monde. La religion, la religiosité, le sacré sont des vocables chrétiens. Rien ne justifie a priori leur prétention à l’universalité. Dans les langues africaines, le mot religion n’existe pas ! On utilise une périphrase, et cela est également vrai dans de nombreuses régions du monde où le vocabulaire de la religion a été introduit ou forgée par les missionnaires. Lorsqu’on prétend parler d’un fait religieux universel, valable pour tous, en réalité, on fait de l’ethnocentrisme.
Faire de l’ethnocentrisme avec la religion…De quoi s’agit-il ?

Jean-Loïc Le Quellec Si on raisonne en termes de religion, on oublie d’immenses régions du monde ! On fait comme si les Aborigènes n’existaient pas, ni des milliers d’autres peuples d’Afrique, d’Amérique, d’Asie, d’Océanie… Les trois monothéismes sont peut-être dominants du point de vue numérique, mais cela ne signifie aucunement qu’il n’existerait pas d’autres croyances. Comment le monde a-t-il été créé ? Qui l’a créé ? Pourquoi ? A-t-il seulement été créé ? Que se passe-t-il à notre mort ? Il existe beaucoup de façons de répondre à ces questions immenses. Elles sont extrêmement variées, suscitant des milliers d’explications différentes, et je plaide pour que nous nous attachions aux récits inhérents à ces explications variées du monde. Dans chaque culture prédomine un récit sur le monde, auquel on peut adhérer ou non. Où que nous soyons, nous héritons de ces récits sur le monde, avec lesquels chacun se bricole une identité. On peut les transcrire, les examiner, les comparer, sans toucher à la croyance elle-même. On peut aussi en faire l’histoire. Quand apparaît tel récit ? A-t-il reçu des influences ? Peut-on y repérer des emprunts à d’autres récits antérieurs ou voisins ? Sa structure est-elle proche de tel autre ? Bien souvent, si l’on procède ainsi, on se surprend à trouver des ressemblances inattendues entre des récits qu’on aurait pourtant bien crus complètement différents.
Pouvez-vous nous donner un exemple de ces récits qui se croisent ?
Jean-Loïc Le Quellec Prenons le récit biblique et coranique de la conception virginale du Christ et de ses variantes comme la virginité perpétuelle de Marie. On peut y croire ou non : à chacun d’en décider, mais ce qui m’intéresse en tant qu’anthropologue, c’est le récit lui-même qui nous parle de la conception et de la naissance miraculeuses d’un être hors du commun, auréolé d’une gloire divine. Il se trouve qu’il s’agit là de l’un des motifs les plus répandus dans le monde. On le connaît dans de nombreuses cultures anciennes n’ayant rien à voir avec le christianisme ou l’islam, par exemple en Chine, en Inde et en Grèce anciennes, comme aussi chez les Aztèques, au Japon ou en Océanie. De même, les Amérindiens connaissent d’innombrables récits exposant qu’un dieu céleste a fécondé miraculeusement une femme ordinaire, qui en conçut un fils glorieux. Ce que disent au fond tous ces mythes, c’est qu’un héros, et a fortiori un être divin, ne peut être conçu de façon ordinaire.
Description de l’ouvrage par l’éditeur :
Une déambulation dans les mythes qui accompagnent l’humanité. Comment ils émergent, se partagent, circulent. Un émerveillement de récits, dans le monde entier, depuis nos origines.

Depuis le début de l’humanité, nous inventons des récits, les mythes, pour mieux comprendre notre
monde. Jean-Loïc Le Quellec les collecte, les étudie, les compare, à toute époque même la plus reculée, dans tout peuple, dans autant de langues que possible.
On explique l’universalité des mythes aujourd’hui par une transmission au fil des migrations. Cette diffusion n’est pas systématique, elle se fait ou pas, ou de différentes manières, dessinant ainsi les évolutions des peuples en une fabuleuse cartographie historique du monde.
Mythes cosmogniques ou héroïques, animaux mythiques (jusqu’à notre pangolin)… L’auteur nous emmène dans une histoire infinie, poétique, puissante, pour réfléchir au rôle des mythes dans notre humanité.
Ce tour du monde nous invite à nous détacher de notre perception européano-centrée, à revoir nos certitudes (mythiques elles aussi ?). Une lecture jouissive et éblouissante.