L’Ecologie : un pessimisme actif ?

Peinture d’Alfons Mucha
L’écologie politique peut-elle être assimilée à la nostalgie ? Parfois, oui, surtout chez les adeptes de la décroissance et de l’écologie profonde. Dans ce cas, il y a un discours ouvertement nostalgique, de type rousseauiste, parfois une volonté de restauration d’une nature vierge des excès des hommes. Il y également dans cette version radicale, une nostalgie des communautés organiques paysannes, des patries charnelles, détruites par la Révolution française.
Ce discours est discernable chez les écologistes radicaux qui se piquent d’anthropologie. Chez d’autres, cette nostalgie n’existe pas ou dans une proportion moindre, comme chez les promoteurs du développement durable par exemple. Ici, il s’agit surtout d’éviter la destruction de la biodiversité sans pour autant développer une misanthropie, mais ces promoteurs sont fréquemment considérés comme de faux écologistes par les premiers.
Comme le premier type de discours porte en lui des éléments ouvertement conservateur, il s’articule très bien avec les discours réactionnaires. C’est pour cette raison que j’ai fait la distinction dans mon livre ( L’écologie politique. Une vision du monde réactionnaire ? , Cerf, 2011) entre une idée à gauche et une idée de gauche : l’écologie actuellement se positionne sur l’échiquier politique à gauche, mais ses discours et ses mythes relèvent d’un imaginaire de droite. De ce fait, l’écologie peut être aisément récupérée par certains courants réactionnaires,
En revanche, cette forme d’écologie n’est pas décliniste au sens utilisé pour définir une droite pessimiste. Au contraire, le déclin économique, voire l’effondrement économique et civilisationnel, permettrait l’avènement d’une société tribale, régionaliste, décroissante, presque survivaliste qu’ils appellent de leur vœux. Pour eux, il s’agit de tourner le dos au modèle civilisationnel issu des Lumière et de la Révolution française.
Dès son apparition en Occident à la fin du XIXe siècle, l’écologie recouvre une diversité de courants politiques, allant de groupes révolutionnaires (comme Blanqui en France) à des formations ouvertement réactionnaires, comme les völkischen en Allemagne. Le seul point commun à ces groupes divers est un rejet de la société industrielle naissante et une défense et de la nature et des communautés traditionnelles. Il s’agit d’une conception romantique du monde rejetant le rationalisme et le technicisme des Lumières. Il s’agit d’une défiance vis-à-vis du progrès, associée à une défense de la « wilderness », c’est-à-dire de la nature vierge de l’action humaine. Le combat pour la préservation des espèces viendra un peu plus tard (sauf chez Blanqui) : on pense à l’époque que la nature peut se renouveler, qu’il n’y aura pas d’extinctions. On massacre et on gaspille allègrement…
Avec le passage du « mouvement » aux partis, le positionnement politique des partis verts n’est donc pas univoque. Depuis leur apparition, ils tournent surtout autour des 2/6% des suffrages exprimés suivants les élections. En France, la seule fois où les Verts ont flirté avec les 16%, ce fut lorsque Daniel Cohn-Bendit était tête de liste : or il est culturellement un libéral. En ce sens, ils ne sont pas des forces majeures. Les partis socialistes des différents pays européens leur donnent une importance artificielle (sans le PS, il n’y aurait pas eu de sénateurs Verts). Mais il est vrai que les thématiques vertes sont devenues des passages obligés des politiques des différents partis de gouvernement, voire d’opposition. Même le Front National s’y est mis – à sa façon, évidemment.
Ainsi, il y a une écologie de gauche, réellement progressiste (au sens propre du terme, c’est-à-dire faisant la promotion de l’idée du progrès), qu’on trouve surtout chez les promoteurs du développement durable ; et il y a une écologie conservatrice, voire réactionnaire (à prendre également au sens propre, c’est-à-dire de nature contre-révolutionnaire et romantique), faisant la promotion du localisme, du régionalisme, de l’autarcie, d’une conception rousseauiste de la nature, des communautés organiques, etc.
Au sein de l’écologie conservatrice, on trouve une pluralité de préoccupations, avec une promotion importante de thèmes « primitivistes » : localisme et défense des circuits courts ; décroissance ; régionalisme (avec comme corollaire, la défense des langues régionales et la décentralisation) ; rejet de l’Etat-providence ; éloge de l’identité et de l’enracinement ; technophobie ; éloge de la sobriété ; différencialisme et promotion des traditions locales ; éloge des communautés organiques et des corps intermédiaires ; autarcie ; agriculture « bio » ; défense de l’artisanat ; médecines alternatives (avec parfois la promotion des politiques antivaccins), etc.
Mais la conception conservatrice se trouve aussi parmi les groupes issus de l’ultragauche, souvent informels tels que les groupes d’activistes zadistes (Notre-dame-des-landes ; Sivens, etc.), car ces groupes ont pour point commun un rejet des Lumières et du libéralisme (politique, économique, philosophique) et de la technologie (ce sont des mouvements néo-luddistes pour la plupart). Numériquement, ils sont très minoritaires, mais très actifs sur le terrain, sur le Web et à travers les maisons d’édition.