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La Main rouge : complots, terrorismes et appareils d’État

Par Nicolas Lebourg, « La Main rouge : complots, terrorismes et appareils d’État », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 139-142, n°1-4, 2021, pp. 8-15.

Les décennies d’après-guerre donnent lieu à de nombreuses tentatives de construction d’internationales néofascistes qui ont souvent été lues de manière conspirative, et, en France, à divers complots d’extrême droite plus ou moins sérieux. Entre les deux, la Main Rouge présente un cas complexe. C’est à l’occasion d’attentats et assassinats en République fédérale d’Allemagne (RFA) puis en Belgique en 1956-1960 que le nom trouve la célébrité. Néanmoins la Main Rouge apparaît aussi pour des affaires situées en Algérie, en Espagne, en Italie, au Liban, au Maroc, en Suisse et en Tunisie. La thèse initiale est qu’il s’agit d’une organisation terroriste d’extrême droite. Il se complexifie avec l’apparition d’une seconde organisation : la Catena (Comité Anti-Terroriste Nord-Africain). Ensuite, journalistes d’investigation puis chercheurs ont considéré que la Main Rouge et la Catena étaient des faux-nez du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) qui, en utilisant des hommes du 11è Choc, aurait mis en place une structure de liquidation  des soutiens logistiques du Front de libération nationale (FLN).  La situation devient confuse, tant et si bien que les accusations visant les autorités françaises paraissent bientôt n’être que saugrenu conspirationnisme, tandis que les enquêtes ultérieures affirment que les informations distillées dans la presse sur la Main Rouge et la Catena l’ont été par la structure issue du SDECE.. Le service aurait cherché à rendre illisible une politique d’exécutions extra-judiciaires en territoires amis, et, malgré cela, provoqua de vives tensions entre Paris et Bonn.

Coordinateur des services de renseignement auprès du Premier ministre de 1959 à 1962, Constantin Melnik, à travers ouvrages et témoignages, a considérablement contribué à cette thèse de la manipulation d’État. Il a argué qu’« au cours de la seule année 1960, cent trente-cinq personnes ont été envoyées ad patres pendant des opérations “Homo” du service Action du SDECE, six bateaux coulés et deux avions détruits »[1]. Du côté des journalistes, diverses hypothèses ont été présentées après la mise à jour du réseau italien Gladio : Catena serait une branche de la Main Rouge reconvertie en réseau européen de propagande anti-communiste articulé aux stay behinds[2], ou bien les organisations Main Rouge et Catena auraient été fondées dans les années 1940 pour assurer la lutte anti-communiste avant d’être reconverties dans le combat contre le FLN[3]. Enfin, Albert Spaggiari, une fois arrêté après le « casse du siècle » (1976), déclara aux policiers que le butin devait servir à financer une Catena qu’il présente comme « une organisation de récupération des nationalistes dirigée par d’anciens SS et qui veut regrouper toutes les forces pour combattre le communisme et rétablir un certain ordre hitlérien… »  La confusion nourrit le mythe et, depuis quelques années, le récit de la Main Rouge a trouvé sa place dans la pop-culture (bandes dessinées, cinéma).

Le présent article ne prétend pas liquider tous les mystères de la Main Rouge, mais on voudra ici mettre en avant l’hypothèse que non seulement la Main Rouge d’extrême droite et celle du SDECE s’articulent, mais aussi que, par le biais de l’irrationalité des agents sociaux, la Main Rouge eut encore d’autres aspects. Elle doit être à la fois comprise dans les actions violentes qui lui sont attribuées (1), dans leurs interactions avec la fabrique des récits qui en furent faits (2), et dans l’enquête demeurée secrète qui la révèle (3).

Les Mains en actions

La Main Rouge apparaît en Tunisie en 1952, d’abord sur des tracts menaçant les indépendantistes, puis lors d’attentats, enfin avec l’assassinat du leader syndicaliste Farhat Hached le 5 décembre 1952. En métropole, le camp anti-colonial accuse les autorités françaises d’être derrière la MR1, et la presse anti-indépendantiste évoque la possibilité d’un montage communiste[4]. En fait, l’assassinat d’Hached a été réalisé par des policiers français sur ordre de leur hiérarchie, amenant le Président François Hollande a présenté à sa veuve les excuses de la France en 2013. La MR tunisienne a un recrutement hybride : lorsque sept de ses membres sont jugés en 1961 deux sont des policiers affirmant avoir reçu du Deuxième bureau de l’armée la consigne de monter ce groupe contre-terroriste[5].

En 1955, l’assassinat de Jacques Lemaigre-Dubreuil, ancien cagoulard et résistant ayant épousé la cause marocaine, est également attribué à une MR locale mêlant policiers et militants d’extrême droite. Selon la Direction des renseignements généraux (DRG), les contre-terroristes au Maroc sont issus du milieu criminel et de la police. Après l’indépendance du pays, ils se replient en Métropole où ils se lient à des officiers militaires, souvent déjà révoqués. Criminels, policiers et (ex-)militaires deviennent activistes des mouvements d’extrême droite, voire participent parfois à des actions terroristes de type mitraillage de cafés fréquentés par des Nord-africains[6].

La plupart des auteurs ont présenté les Mains Rouges tunisiennes et marocaines comme authentiquement composées de colons et ayant donné l’idée au SDECE, avec l’accord du gouvernement, de mettre en place leur propre structure dotée du même nom en 1956. Pour Antoine Méléro, policier impliqué dès l’origine dans la Main Rouge, la structure a été coproduite en 1952 par le SDECE et la Direction de la sûreté du territoire (DST), ce que confirme les archives travaillées par Gérard Arboit, en précisant qu’elle eut d’abord été nommée Catena puis Main Rouge[7]. Dès 1959, la Main Rouge frappe en métropole avec, précédés de courriers de menaces, l’assassinats d’avocats du FLN dont l’officier Raymond Muelle (11è Choc) a assumé la responsabilité. En 1960 des libraires toulousains reçoivent un courrier signé de l’organisation leur ordonnant de retirer les œuvres des écrivains signataires du « manifeste des 121 »[8].

La première action européenne retentissante a lieu à Hambourg le 28 septembre 1956 : un attentat blesse sérieusement le marchand d’armes d’Otto Schlüter et tue un de ses collègues. Schlüter a reçu des menaces, mais son activité est forte : il livre des armes au Koweït, au Yémen, à Djibouti, en Irak, au Liban, et en Tripolitaine. Les policiers allemands travaillent sur sept hypothèses, parmi lesquelles celles de colons ou des services secrets français, mais penchent pour l’action d’un concurrent allemand souhaitant récupérer des parts du marché d’approvisionnement du FLN. Schlüter continue à recevoir des menaces et le 3 juin 1957, sa voiture explose, tuant son épouse et le blessant ainsi que sa fille. À Hambourg encore, dans la nuit du premier octobre 1958, un attentat à la bombe coule partiellement le cargo Atlas. Le même type de bombe que contre Schlüter est utilisé pour tuer le marchand d’armes Georg Puchert en 1959, dont divers bateaux ont été antérieurement sabotés par la Main Rouge du SDECE, tandis que l’assassinat à la sarbacane empoisonnée de Marcel Léopold, marchand d’armes suisse, auquel elle procède, amène en 1960 à un nouvel interrogatoire de Schlüter par la police. Le double miraculé avoue avoir rencontré à Paris Claus Jacobi, un journaliste du Spiegel, qui lui a assuré s’être rendu au quartier général de la Main Rouge, où son chef, un colonel manchot, lui a révélé que son nom en interne était Catena et qu’elle était à l’origine de l’élimination des trafiquants d’armes[9]. La presse se passionne en 1960 pour l’assassinat à Munich de l’ancien Obersturmbannfuhrer SS et criminel de guerre Wilhelm Beisner, en poste à Tunis en 1941 et ayant lié des relations avec le grand mufti de Jérusalem, devenu trafiquant d’armes pour le FLN via la Syrie et l’Egypte (la CIA le soupçonnant d’être lié aux services de renseignement de ce pays et aux français[10]).

En Belgique également une série d’attentats et assassinats est attribuée à la Main Rouge. En 1959, un cargo saute dans le port d’Ostende, l’année suivante deux universitaires sont victimes de l’envoi d’un livre piégé, dont l’un en décède. La presse pointe du doigt le rôle très ambigu joué par l’activiste Pierre Joly, animateur de Jeunesses Nationalistes inspirées du néofasciste Jeune Nation (JN) français, bénéficiant, selon certains journaux belges, de l’appui de l’ex-Waffen SS Jean-Robert Debbaudt, animateur de la section belge de l’internationale néonazie Nouvel ordre européen[11].

Sur le territoire italien, plusieurs actions sont imputées à la Main Rouge en 1959, des tentatives d’assassinat de Franz Fanon à un attentat à la voiture piégée contre un responsable du FLN causant la mort d’un enfant. En Suisse, l’affaire est devenue assez sensible pour que, lorsque le leader camerounais Félix Moumié y est empoisonné au thallium, il ait juste le temps de lâcher : « J’ai été empoisonné par la Main Rouge ». Le nom de l’assassin est vite dévoilé à la police suisse, qui découvre, chez ce retraité du SDECE ayant agi sur ordre du général Paul Grossin directeur du service, des traces de thallium et des documents sur la surveillance de cadres du FLN et de militants anticolonialistes[12].

Les indépendantistes intègrent la présence de la Main Rouge. Quand, en mars 1960, l’ex-légionnaire d’origine allemande Winfried Müller, devenu officier de l’Armée de libération nationale (ALN) sous le nom de Si Mustapha Müller, est victime d’une tentative d’attentat, ce responsable du service de rapatriement des légionnaires de Tétouan (Maroc) accuse des officiers français dont il dit qu’ils appartiennent à la Catena, à laquelle appartiendrait aussi le journaliste de Paris presse divulguant l’affaire trois jours plus tard[13]. La Main Rouge paraît bien osciller entre réalité opérationnelle et récit conspirationniste.

Le bruit, la fureur et les idiots

Dans le contexte post-Indochine, la « guerre psychologique » est fondamentale. En tant que contre-terrorisme, la Main Rouge a un but d’impact moral, mais elle va être prise dans le maelstrom de la massification de l’information. Lors d’une conférence de presse en avril 1959, le procureur d’Hambourg allume la mèche : il accuse la Main Rouge d’avoir attaqué Puchert et Schlüter ainsi qu’un Algérien indépendantiste assassiné ; il livre les noms de trois terroristes non-appréhendés : Christian Durieux, Jean Viary, Jean-Baptiste van Cottem. Aux demandes d’explication des autorités allemandes, les françaises répondent que la Main Rouge est un mythe utilisé par le FLN. Ce dernier aurait réutilisé l’image de la Main Rouge tunisienne pour inventer une organisation mythique servant à discréditer la France, la Sûreté Nationale (SN) assurant ses homologues germaniques que l’histoire d’une vrai-fausse organisation terroriste dissimulant un complot du SDECE est « absurde »[14].

Le 27 novembre 1959, le britannique Daily mail fait sensation en publiant une interview de Durieux qui confirme la pratique des assassinats par la Main Rouge. Le 3 décembre, France Observateur révèle que la Main Rouge est impliquée dans l’affaire de l’attentat de l’Observatoire. Début 1960, la presse européenne rivalise de révélations. L’Express s’interroge en janvier sur l’identité de Durieux, observant qu’un diplomate français à Hambourg porte ce patronyme (l’ambassadeur répond qu’il se prénomme Henri), puis, en février, révèle que la Catena est l’organisation secrète derrière la Main Rouge, qu’elle a pénétré les plus hauts niveaux de l’État, et qu’elle est fermement décidée à instaurer son Ordre nouveau. Le journal précise aussi son histoire :

« Catena est née en 1945, au sein de l’armée française d’occupation. Les fondateurs de l’organisation entendaient lutter contre le noyautage communiste à l’intérieur de l’armée française en RFA. Très rapidement, certains hommes des services secrets vinrent structurer l’organisation afin de la transformer en un organisme de renseignements qui devait devenir, bien plus tard, un réseau d’action ».

La presse allemande met en cause le colonel Marcel Mercier (SDECE), en poste dans le pays après que la révélation de ses activités d’espionnage en Suisse aient contrait à son départ[15].

En mars 1960, Spiegel réussit un coup avec une série d’articles intitulée « La mort vient par la poste ». Il en ressort que la Main Rouge serait composée de « cinq doigts » : « le « deuxième bureau (SDECE et DST) » qui « décide et coordonne les actions terroristes » ; des groupes métropolitains d’extrême droite qui envoient les menaces ; des ultras d’Algérie ; le Mouvement national algérien (MNA), exécutant les attentats en RFA pour déstabiliser le FLN ; le « doigt majeur » : la Catena, crée en Allemagne en 1945, centralisée depuis Versailles par un colonel manchot nommé Condé, dit de Sainte-Croix. Le journal conclue : « le mois dernier, la Sûreté Nationale a transmis au général de Gaulle un plan de la Main rouge qui tendait à attenter à la vie du président de la République ». En octobre 1960, le journaliste Jacobi finit par avouer à des policiers allemands qu’il tient ses informations d’une bande magnétique qu’il a acheté 1500 deutschemarks (DM) à Weisseman, qui travaille pour le Spiegel à Paris – les policiers copient la bande au passage[16].

L’helvète Die Woche confirme les informations de L’Express mais ajoute que la Suisse, dans la ville de Payerne, vient d’accueillir une rencontre au sommet entre la Main Rouge et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Durieux est dit se nommer Roger, alias Christian, être l’agent de liaison entre France et RFA, ressemblé à Napoléon, et avoir été membre de la SN. Il serait arrivé à la rencontre en arborant une broche nazie[17]. Les enquêtes sur cet enseignant le placeront au cœur de la Main Rouge  jusqu’aux années 1970, ainsi d’un livre classique sur la stratégie de la tension qui décrit la Main Rouge comme liée en France à JN et précise que Durieux « se charge de nouer avec les organisations d’extrême droite européenne les contacts nécessaires à l’installation d’antennes nationales »[18].

Enfin, en juin 1960, paraît La main rouge de Pierre Genève aux éditions Nord-Sud : une enquête basée sur des entretiens avec les chefs de la Main Rouge, dont Durieux, déterminés à continuer leur entreprise terroriste néofasciste. L’ouvrage reprend des éléments déjà connus et en ajoute de nouveaux. Les enquêtes publiées depuis quarante ans exposent que si Nord-Sud n’a publié que ce seul livre d’un auteur sous pseudonyme c’est en fait car il s’agit un coup du SDECE qui a entièrement monté l’opération d’intoxication. Si l’auteur du livre est suisse, c’est parce que l’éditeur, Jacques Latour, est un officier réserviste français, recruté pour se faire par le colonel Mercier. Quant à Durieux, il est un collaborateur du SDECE. Pour Melnik,

« La Main rouge est une des plus belles intoxications de l’histoire des services secrets », inventée par un journaliste parisien proche du SDECE et véritable auteur de l’ouvrage de 1960. Le général Paul Grossin a affirmé à des journalistes spécialisés : « Nous avons téléguidé cette affaire de bout en bout. (…) Un commandant du service, “le Manchot”, avait ouvert un bureau à Versailles, au grand jour. Et à chaque fois qu’un journal demandait un entretien à la Main rouge, c’était préalablement rédigé ».

L’officier Raymond Muelle a reconnu avoir organisé plusieurs exécutions signées de la Main Rouge. Il affirme que les ordres venaient de Matignon via Jacques Foccart, et que parfois le SDECE lui faisait des propositions. S’Il valide que le livre de Genève a été écrit directement par les services du SDECE, il précise également que ce dernier n’a pas toujours joué franc jeu et que des civils ont été recrutés pour des opérations en leur faisant croire qu’ils rejoignaient bien une organisation ultra[19].

L’histoire de la Main du SDECE s’est ainsi faite grâce aux témoignages de ceux qui y avaient joué un rôle, son aura s’intensifiant au fur et à mesure que Melnik s’exprimait de plus en plus. L’un des derniers documentaristes à l’avoir contacté fut Joseph Beauregard, pour un projet de documentaire sur la manipulation entreprise par le SDECE. Or, Melnik lui répond que ses livres sont des « romans », basés à 45% sur son imagination, à 45% sur la bibliographie qu’il a lue, et à 10% sur des témoignages d’anciens des services qu’il considère pour grande part faux. Il lui expose n’avoir aucune idée de comment fonctionnait réellement la Main Rouge: celui qui en est présenté comme le donneur d’ordres dans pléthore d’ouvrages dit ne même pas avoir été témoin. Il ajoute toutefois : « Il y a un épisode vrai sur la Main Rouge dans La mort était leur mission, c’est l’histoire de ce gars qui s’est présenté comme un exécutant de la Main Rouge »[20]. Durieux, ici aussi présenté comme un « honorable correspondant », serait ainsi le fil d’Ariane permettant de se guider dans le labyrinthe des récits.

Pourtant deux témoignages doivent encore être pris en compte. Le premier émane de Durieux, le second de Genève. Un mois après s’être présenté comme un tueur au Daily mail, Durieux écrit au journal français Aux écoutes. Il confesse que tout n’est qu’un « canular » qui lui a échappé : « Ainsi il était donc si simple de “créer” l’événement, de fabuler et d’être cru, de provoquer une “émotion” dans la presse, et par la presse, dans le public »[21]. Cet épisode n’est jamais cité, il est vrai qu’on peut n’y voir qu’une énième manipulation – le 7 août 1959 L’Humanité avait publié des révélations sur un complot d’extrême droite : il ne fut pas long pour démontrer que le journal avait été victime d’un opposant plaisantin[22]. Cependant, Durieux, connu au quartier latin sous le surnom de Napoléon, a été arrêté lors d’une réunion de l’ex-JN en octobre 1959. Par ailleurs, le commissaire Roger Poiblanc l’a interrogé car il était dans une voiture présente lors de l’attentat de l’Observatoire – sans doute est-ce une fuite de ce fait qui explique le lien fait par France Observateur à la suite. Poiblanc a eu le sentiment d’avoir affaire à un mythomane[23]. Enfin, la ligne du canular potache est exactement celle que suivent en 1960 les jeunes membres d’un réseau JN interrogés par Poiblanc : mythomanie effrénée, affirmation de la non-existence de structures précédemment citées etc.[24]

« Genève », de son vrai nom Marc Schweitzer, a publié avant de mourir ses mémoires, sous la forme d’un blog tenu par un de ses amis en 2016. Il affirme que son ami Durieux est parti à Hambourg suite aux remous provoqués par ses relations sexuelles avec une lycéenne dans les toilettes de son établissement. Quand le procureur donne son nom, Durieux entame un canular qui va finir par l’amener à rencontrer secrètement le FLN en Suisse : « Nous eûmes beau dévoiler le pot aux roses, avouer le canular, on ne nous crut pas. On ne nous crut jamais. » En outre, il spécifie que Latour ne renonça nullement à l’édition et publia encore une douzaine de livres, surtout de littérature érotique[25]. Le blog est authentique : il est le seul document publié à préciser que Schweitzer s’est fait aider par Durieux mais aussi par Martin de Hauteclaire, informations corroborées par un rapport de la Sous-direction des affaires criminelles (SDAC)[26]. La présence du dernier n’est pas anodine. Martin de Hauteclaire a obtenu le Prix Vérité en 1949 pour son livre Toute la Terre à nous, où il contait ses exploits d’aviateur parmi les Français libres (FFL). Mais la médiatisation du succès mène un commissaire de la SN à reconnaître dans son journal le visage de Christian Couderc, jeune collaborateur toulousain condamné à mort par contumace[27]. Le document du SDAC considère Schweitzer, Couderc et Durieux comme trois huluberlus, et précise que Durieux a obtenu 15 000 francs du Daily mail.

Le comportement de Durieux est plus conforme à celui auquel les membres de JN ont été manifestement formés qu’à celui d’un collaborateur du SDECE. Peut-être fut-il lié au SDECE mais ses actions appointées paraissent relever de l’initiative individuelle, tout comme le livre ne saurait se limiter à une production du SDECE. Le chaos permet l’autonomie des actions, mais est peut-être moins saisissable que la représentation d’un complot pyramidal. C’est ce que va mettre à jour l’enquête d’un officier du SDAC et proche de Poiblanc : Jacques Delarue.

Tout le monde ment

La parution du Daily mail a provoqué assez d’émoi pour que la Police judiciaire envoie Delarue en RFA, avec pour mission de savoir si existe ou non « une organisation clandestine d’extrême droite, ayant son siège en France et des filiales à l’étranger »[28]. La coopération avec ses homologues allemands n’est pas aisée, mais il parvient à obtenir des éléments d’enquête. Celui sur l’attentat contre L’Atlas révèle que la méthode des terroristes est celle que l’armée anglaise enseigna à la résistance française, tandis que le matériel correspond à ce que des techniciens allemands ont mis au point pour l’armée égyptienne. Mais si la presse a directement lié cette action à la Main Rouge et les policiers travaillé sur cette piste il s’avère que nul ne sait pourquoi, aucune preuve existant pour relier ainsi Main Rouge et Atlas… Les documents laissent comprendre les aléas de l’enquête, ainsi des portraits des suspects nommés par le procureur. Jean Viary inspecteur de police d’origine corse, a été en poste au Maroc ; le rapport le décrit de manière abracadabrante : « ressemblance frappante avec Elvis Presley (…) marche en se dandinant-allure martiale ». Il affirme aussi que le Christian Durieux recherché ne doit pas être confondu avec son homonyme « dit Napoléon né le 11 mai1929 » dans le département d’Oran. Ce sont là pourtant exactement les informations qui le concernent dans le fichier de JN élaboré par la SN après la tentative de coup d’État d’avril 1961… Pour les enquêteurs, le complot est mené par « une organisation d’extrême droite se faisant appeler “la Cagoule”. Cette organisation serait dirigée par un nommé : docteur Martin à Paris. On affirme que la Cagoule serait en France ce que le Klu Klux Klan est en Amérique. Elle aurait des activités semblables »[29].

Delarue s’étonne de la fixation sur Durieux. On lui répond que c’est parce qu’il a fait son service militaire en RFA, or l’enquête a montré que c’était parmi ces soldats français qu’était née l’organisation, et que cette piste a été légitimée par l’entretien au Daily mail. Le policer français rétorque qu’il ne voit en ce dernier qu’une récitation d’articles de Rivarol ou de Jeune nation. C’est là que son enquête bascule. Ses collègues lui avouent que les propos de Durieux recoupent une bande magnétique où est interrogé le colonel français chef de Catena. C’est une interview effectuée par un journaliste, le colonel ayant souhaité influencer les journalistes allemands pour qu’ils orientent l’opinion contre le FLN. La police a copié la bande l’été passé et a averti l’ambassade de France[30]. Delarue se la fait diffuser.

Une première voix expose qu’elle est celle d’un journaliste français, qu’il est à Versailles pour rencontrer un colonel qui a été officier des troupes d’occupation à Wiesbaden, a été fait prisonnier à Điện Biên Phủ, et a perdu son bras gauche en Algérie. Il explique être l’un des 7 membres du conseil de la Catena, dont le chef suprême ne serait pas le général Chassin, comme on a pu le prétendre, de même qu’il ne connaît pas Durieux. La Main Rouge serait un mythe, tandis que : « la Catena est une organisation qui diffère de la Main Rouge de Tunisie, de la Main noire du Maroc, du mouvement Jeune nation, du MP13, dont les idéaux sont identiques. [Avant le 13 mai] nous étions le bras séculier de cette inquisition [qu’est le Deuxième bureau] nous sommes devenus des concurrents »[31].

Delarue demande si le journaliste ne serait pas Joly, sans doute par interprétation des éléments, puisqu’il l’avait arrêté en 1958 dans le cadre du complot du Grand O, dirigé par l’ex-cagoulard docteur Martin, appuyé sur un « Conseil des sept » où Chassin est le « grand B »[32]. Mais les Allemands refusent de dévoiler l’identité de l’informateur. La piste belge se renforce au retour à Paris. Grâce à un informateur, Delarue apprend que des armes sont expédiées depuis Tournai (Belgique) vers Lille. Le réseau regrouperait ex-FFL, rapatriés du Maroc et de Tunisie et membres du corps diplomatique français en Belgique. Son plan serait de manipuler un militant d’extrême gauche pour qu’il assassine de Gaulle et permette l’instauration d’un état d’exception[33]. Moins d’un mois après, 18 personnes de la région lilloise sont arrêtées pour trafic d’armes à destination des ultras d’Algérie. En fuite, manque un cadre essentiel : l’industriel Philippe de Massey (ayant eu en outre le désir de conduire une colonne de chars sur Paris). Il recevait des consignes du docteur Martin, et était en lien avec l’ex-député de Tournai Jean-Claude Berthommier, arrêté en octobre avec des armes à feu. Si la confusion entre complots paraît possible, il s’avère que de Massey était aussi un collaborateur très actif du SDECE dans le cadre d’achat d’armes pour le FLN, afin de permettre le démantèlement de réseaux. L’ignorant, la police qui le cherche découvre qu’il est aussi en lien avec une chaîne de quincaillerie nommée « Catena », ce qui l’amène à vérifier les biographies de tous les commerçants en Europe qui lui sont liés…[34]

Comme paraît alors le livre de Genève qui cite nommément Joly, certes activiste trafiquant d’armes mais aussi lié au SDECE, Francis Balace propose l’hypothèse que de Massey et Joly aient été manœuvrés par le SDECE pour incarner la Main Rouge. C’est ce qui advint dans la presse belge, entraînant la dénonciation de Joly comme agent double par une partie des extrémistes de droite[35]. En janvier 1961, l’enquête policière considère que : « Le réseau de De Massey [s’avère] clairement comme ayant disposé de nombreux agents actifs dans le Nord, de contacts nombreux en Algérie et à l’étranger, notamment en Belgique avec Joly, de l’aide technique en France du docteur Martin, et, selon deux mentions manuscrites relevées sur son agenda, d’un lien avec une organisation dite “Catena” dont l’existence n’a été découverte que récemment »[36].

Le déclic s’opère le mois suivant, quand Delarue reçoit la visite du commissaire principal Hohn du Service fédéral de police criminelle, qui lui apporte une copie de la bande et le nom du journaliste qui fut leur source : Alain Roy, journaliste à l’Aurore de 1956 à 1960. La piste intéresse Delarue : Roy est un ancien légionnaire, proche du docteur Martin, il doit « pouvoir nous permettre d’identifier le colonel dont il a enregistré l’interview et, par ce moyen, d’arriver à la Catena » avant que celle-ci n’assassine de Gaulle[37].

Si c’est Delarue qui mène l’enquête, c’est Michel Hacq, le directeur de la Police judiciaire lui-même, qui signe le rapport final. Quand Delarue retrouve Roy, celui-ci dit avoir rencontré le colonel Condé à Hanoi en 1955. Mais le policier le prend plusieurs fois dans ses contradictions, puis, lors de la perquisition de son domicile, l’empêche de dissimuler des documents qui semblent un brouillon des déclarations contenues dans l’enregistrement. Roy finit par avouer.

Au départ, il alla voir le chef de bataillon du Deuxième bureau Michel Garder, ancien camarade de la Légion en Indochine – et Hacq finit son rapport en précisant « il est certain que M. Roy entretient des relations suivies avec les services spéciaux de l’armée auxquels il aurait appartenu. » Roy a alors dit à Garder vouloir utiliser son travail de journaliste « pour essayer d’influencer l’opinion publique allemande. Thème général : défense de la civilisation occidentale, défense de l’homme blanc, face aux menaces soviétiques et au tiers-monde ». Tout acquis aux thèses de la guerre révolutionnaire, Garder acquiesce et organise plusieurs réunions avec Roy, le général Olié et le colonel Arnaud. Garder rédige les notes du discours du vrai-faux colonel qu’un de ses subordonnés devra jouer. À Delarue, Roy explique que tout n’est pas faux : le faux colonel exprime leurs vraies idées, mais, surtout, l’armée dissimule bien une organisation contre-terroriste, avec l’aval de l’Élysée, mais sans que ce dernier ait saisi que l’organisation est prête à jouer son jeu en cas de politique algérienne indésirable du président. Il compare la chose aux corps-francs allemands utilisés par la République de Weimar contre les spartakistes mais participant aux tentatives de putsch et in fine au nazisme. La bande magnétique a suivi un chemin erratique, ajoute-t-il.

Roy essaye de la vendre 20 000 DM à plusieurs journaux. Pendant ses échecs, il demande conseil à son « ami » le docteur Martin. S’étant rendu en RFA, il reçoit la visite du commissaire Hohn qui l’interroge durant trois jours. Roy raconte la fable établie du colonel Condé. Hohn copie la bande. Roy estime qu’il a été informé par Lohde, journaliste à Paris du Stern avec qui il avait tenté de faire affaire. Comme Lohde est bavard, il en parle aussi au journaliste Jacques Duchemin, qui, résultat, part en RFA essayer de trouver la bande – le nom de Duchemin n’est pas inconnu à Delarue : il fait partie du trio, avec Durieux alors activement recherché et un autre journaliste, que les CRS du Bas-Rhin ont arrêté sur la route, découvrant un pistolet automatique chargé et des bobines de film dans leur véhicule, et qu’ils ont laissé repartir car Duchemin leur avait dit qu’ils étaient en reportage sur les activités du FLN en Suisse…[38]. Ce n’est pas Duchemin qui finalement fait l’article, mais c’est le journal pour lequel il pige, L’Express, qui publie les scoops sur la MR. Furieux de s’être fait doubler, Roy fulmine auprès de Hohn quand le Spiegel lui propose de lui acheter la bande, via Weisseman qui sert d’intermédiaire et détourne la moitié des 1500 DM[39].

La police a dissipé les écrans de fumée, mais les personnages militaires nommés complexifient la donne. Le général Olié a sa carrière liée au Maroc et à la Légion, le corps impliqué dans toutes les affaires de la Main Rouge. Promu, chef d’état-major particulier du général de Gaulle en avril 1960, il est le chef d’état-major général de la Défense nationale depuis mars 1961, et, quinze jours après le rapport Hacq, le lendemain de la tentative de putsch du 21 avril, il est promu Grand-Croix de la Légion d’honneur et nommé commandant en chef. Le 16 août, de Gaulle accepte sa démission pour de « graves raisons de santé », en tous cas opportunes. Michel Garder devint colonel et prit sa retraite en 1964. Ce russe blanc d’origine resta un « soviétologue » en lien avec l’extrême droite européenne, mais se concentra sur l’écriture, son engagement maçonnique (à l’instar de Grossin) et l’animation de l’Amicale des anciens des services spéciaux de la Défense nationale (AASDN).

Les affaires de la Main Rouge laissent place à celles de l’Organisation Armée Secrète (OAS). Des réseaux perdurèrent de l’un à l’autre, ainsi des nationalistes belges apportant leur aide aux réseaux OAS du nord et de la région parisienne – essentiellement pour fournir des planques aux activistes en fuite, car quand l’OAS fait croire au montage de commandos terroristes belges s’apprêtant à frapper en France, elle procède à une nouvelle intoxication[40]. Certains membres de la Main Rouge prirent la route du Katanga – le plus fameux étant Bob Denard. Nombre d’autres rejoignent l’OAS. Muelle tente de tuer de Gaulle : le projet de la Catena n’est plus fictif. D’autres demeurent fidèles aux autorités. Des zones de gris peuvent un temps exister : selon certains chercheurs, membres de l’OAS et du SDECE anciens de la Main Rouge se seraient côtoyés en septembre et octobre 1961 pour éliminer 120 membres supposés du FLN dans la région parisienne[41].

Côté policiers, Michel Hacq est envoyé en Algérie diriger la « mission C » de lutte contre l’OAS, tandis que Delarue et Poiblanc vont participer à ce combat en intégrant le Bureau de Liaison fondée par la DST, un organisme officieux spécialement chargé de cette tâche[42]. Méléro signale dans son auto-biographie que la dernière action réunissant des hommes de la Main Rouge fut l’enlèvement du cercueil du maréchal Pétain en 1973 ; l’enquête sur l’affaire fut confiée à Poiblanc. Il est vrai que ce dernier resta souvent sur des affaires sensibles. Impliqué dans l’affaire de Broglie, il a été entendu par la commission d’enquête parlementaire devant statuer sur le renvoi en Haute Cour de justice de l’ancien ministre de l’Intérieur Michel Poniatowski : il expliqua ses réticences à communiquer avec un de ses collègues par le fait que celui-ci soit membre du Service d’Action Civique (SAC). Delarue fut lui auditionné par la commission sur le SAC. Interrogé, sur les liens de ce dernier avec la Main Rouge il évoque le fait que le SDECE ait évacué de Massey en Suisse, ce qui mena Hacq à perquisitionner les locaux du service. Il affirme que la Main Rouge du SDECE coula L’Atlas et assassina les marchands d’armes allemands. Mais, citant un des ouvrages d’un ancien du SDECE ayant traité de la Main Rouge, il précise : « d’autres affaires ont mal tourné ainsi à Hambourg, ils ont raté un trafiquant d’armes, et ont tué la mère puis, lors d’une seconde tentative, ils ont tué la secrétaire cela, il ne le raconte pas. Les Allemands n’étaient pas contents du tout. »[43]

La tension constante de la France avec la RFA à cause de la Main Rouge, on le sait depuis peu, est une des plus réussies manipulations de l’affaire. La chancellerie allemande suit une double politique. À Tétouan, Müller est en lien avec les autorités soviétiques et allemandes. Ces dernières, en particulier le Bundesnachrichtendienst (BND), le service fédéral de renseignement, apportent leur soutien à la désertion des légionnaires français (plus de 4 000) et à la logistique du FLN. Des archives démontrent que le SDECE, sous couvert de la Main Rouge et avec l’aval de Foccart, ont effectivement tenté l’élimination des responsables dont Müller. Cependant, en Europe, les agents du BND n’hésitent pas à coopérer avec le SDECE pour soutenir les efforts de la Main Rouge afin d’éliminer le FLN du sol allemand[44]. La Main Rouge était une providence pour la RFA, lui permettant d’échouer à appréhender les contre-terroristes œuvrant sur son sol, de conserver son image anti-colonialiste, et d’être néanmoins débarrassé des agents pro-FLN sur son territoire.

Conclusion

Le complot de la Main Rouge s’inscrit tant dans l’ère décoloniale que dans cette « société du spectacle » bientôt désignée par Debord : « un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images »[45]. Toute l’affaire découle de l’autonomie des récits qui circulent, s’imbriquent, ne s’annulent jamais mais se croisent et créent des synergies. Les acteurs agissent tous par rapport aux représentations dont ils disposent sur les autres, et viennent conséquemment nourrir le roman de la Main Rouge.

Si la police a pu dévoiler l’implication des plus hautes autorités militaires, c’est que, comme le montrent les carrières de Delarue et Poiblanc, elle avait développé une spécialisation anti-subversive de certains de ses officiers, pendant que le SDECE optait pour une ligne contre-subversive. Encore cet axe ne suffit-il pas à judiciariser les conclusions de l’enquête, les rapports émis rivalisant de tampons « secret », « très secret », « secret très signalé », mais aussi de l’annotation « vu par le secrétaire d’État ».

Les propos des anciens membres de l’appareil d’État, tels que ceux de Grossin et Melnik, relèvent pour grande part de l’auto-intoxication. Si la France avait bien mis en place un vrai-faux complot terroriste, on ne saurait dire que l’action ait été absolument maîtrisée et qu’il n’y ait pas eu force improvisations dues aux actions autonomes individuelles. Comme en témoignent parfaitement la production et la circulation de la bande magnétique on ne saurait considérer que le SDECE ait fait montre de l’ingénierie performante dont ses cadres se sont targués. La manipulation des uns n’a pas empêché les canulars et le goût de l’argent des autres, et la Main Rouge « redoutable machine à tuer » selon les mots de Melnik est autant un mythe que les complots de la Main Rouge en tant qu’internationale néofasciste ou stay-behind.

De même, les déclarations de Delarue ou les révélations sur le BND démontrent que ces anciens surestiment ce que furent leurs capacités opérationnelles. Les éléments de l’enquête du SDAC établissent par ailleurs que si le mythe de la Main Rouge a pu prendre c’est que, d’une part, y furent agrégés les traces des complots frappant tous azimuts à cette période, en particulier ceux du docteur Martin, d’autre part que la Main Rouge s’avère effectivement incorporer des éléments d’extrême droite, fussent-ils militaires ou honorables correspondants. La Main du SDECE, instrument étatique pur, est aussi mythique que la Main purement néofasciste.

Dans la Main Rouge, membres de l’Exécutif, militaires et civils nationalistes ont en partage le mépris de l’état de droit et le sentiment d’urgence provoquée par l’assimilation entre décolonisation et communisme international. Mais si les agents sociaux démontrent en cette histoire conserver leur part d’autonomie participant à la dynamique générale, les structures s’avèrent en interrelations. Défait de l’état de droit, l’appareil d’État s’avère incapable de demeurer étanche aux marges radicales. L’hétéronomie à l’œuvre sur le camp activiste extrême droitier est particulièrement significative. Elle opère alors qu’il est à son acmé : les services estiment que les « militants de choc » des extrêmes droites et rapatriés nationalistes s’élèvent à 7 500 personnes, avec un total militant de 179 530 individus[46]. Incapables de se fédérer, inaptes à la construction d’un rapport de forces réaliste, leur goût pour l’action clandestine relève plus de l’escapisme que de la discipline terroriste. Ce sont les défauts qu’ils vont redéployer dans l’OAS.


Notes

[1] Constantin Melnik, La mort était leur mission. Le service Action pendant la guerre d’Algérie, Paris, Plon, 1996, p. 7.

[2] Dans les années 1990 s’est imposé une imagerie des Stay Behind en faisant des « armées secrètes de l’OTAN » largement appuyés sur les extrémistes de droite des divers pays européens. En fait ces réseaux anticommunistes et antisoviétiques de surveillance, exfiltration et action furent déployés sous l’égide des services britanniques. En France son cadre le plus connu fut François de Grossouvre (Gérald Arboit, « Quelles “ armées secrètes ” de l’OTAN ? », Centre français de recherche sur le renseignement, rapport de recherche n°18, 2016).

[3]Jan Willens dir., Gladio, Bruxelles, EPO, 1991 ; Jean-François Brozzu-Gentile, L’Affaire Gladio, Paris, Albin Michel, 1994.

[4] Paris presse, 12 décembre 1952.

[5] L’Humanité, 25 janvier 1961.

[6]DRG, « A/S des groupements d’extrême droite », 10 mai 1958, pp. 5-12, Archives nationales (AN) /15645.

[7] Antoine Méléro, La Main rouge. L’armée secrète de la République, Monaco, Le Rocher, 1997, p. 30 ; Gérard Arboit, Des services secrets pour la France. Du dépôt de guerre à la DGSE 1856-2013, Paris, CNRS éditions, 2014, p. 305.

[8] Vincent Nouzille, Les tueurs de la République, Paris, Fayard, 2015, p. 43 ; La Dépêche du midi,14 octobre 1960.

[9] L’officier de police judiciaire Jacques Delarue au commissaire divisionnaire chef de la 4ème section des affaires criminelles (SDAC 4), « A/S du nommé Christian Durieux », 1er mars 1960, pp. 5-6 ; Sûreté nationale (SN), « Attentat par explosif commis le 31 décembre 1959 à Francfort S/M », 31 mars 1961 (AN/19880206/19): Roger Faligot, Jean Guisnel, Rémi Kauffer, Histoire politique des services secrets français de la seconde guerre mondiale à nos jours, Paris, La Découverte, 2013, p. 242.

[10] Central Intelligence Agency, 3 août 1964, FOIA 519a6b2f993294098d51213a ; id., 14 février 1966, FOIA 519a6b2f993294098d5120e0

[11] Cri du peuple, 17 octobre 1959.

[12] Pascal Airaut et Jean-Pierre Bat, Françafrique. Opération secrètes et affaires d’État, Paris, Tallandier, 2015 ; Libération, 3 novembre 1960.

[13] Document de la police allemande, « A/s Winfried Muller alias Si mustapha », AN/19880206/19.

[14]Mathilde Von Bülow, « Myth or Reality? The Red Hand and French Covert Action in Federal Germany during the Algerian War, 1956–61 », Intelligence and National Security, vol. 22, 2007, pp. 787-820. 

[15] Nassima Bougherara, Les rapports franco-allemands à l’épreuve de la question algérienne (1955-1963), Bern, Peter Lang, 2006 ; L’Express, 4 février 1960.

[16] Traduction du rapport d’interrogatoire de Jacobi par la police allemande en date du 5 octobre 1960, AN/19880206/19.

[17] Traductions dans DRG, « Note de renseignements », 9 mars 1960, 6 p. et « La main rouge », 18 mars 1960, 3 p., AN/19880206/19.

[18] Frédéric Laurent, L’Orchestre noir, Stock, Paris, 1978, p.73.

[19] Raymond Muelle, « Le 11è choc pendant la guerre d’Algérie », Cahiers du Centre d’études d’histoire de la défense, n°E1 (32), 2007, pp. 151-156 ; Libération, 18 juillet 2001 ; Roger Faligot, Jean Guisnel, Rémi Kauffer, Histoire politique…, op. cit., pp. 243-244 ; Constantin Melnik, La mort…, op. cit., p. 141.

[20] Transcription de l’entretien, 18 février 2004 (très aimablement communiqué par l’auteur).

[21] Lettre de Durieux, 5 décembre 1959, AN/19880206/19.

[22] Le Monde, 17 octobre 1960.

[23] Le DCRG au DGSN « A/s d’une interview d’un nommé Christian Durieux par le Daily mail sur la Main rouge », 4 décembre 59, 4 p, AN/19880206/19.

[24] Voir la biographie que nous avons consacré à Duprat, dont Poiblanc était l’agent traitant mais que nous avions alors anonymisé puisqu’il était en vie : Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, François Duprat, l’homme qui inventa le Front national, Paris, Denoël, 2012.

[25] http://marcschweizer.blogspot.com/2016/12/21-quai-des-orfevres-36.html et http://marcschweizer.blogspot.com/2016/12/21-autobiographie, consultés le 19 avril 2021.

[26] SDAC 4, « A/s d’un livre intitulé la main rouge », 23/ septembre 1961, 2 p., AN/19880206/19.

[27] Feuille d’avis de Neuchâtel, 1er avril 1952.

[28] DPJ au DGSN, 7 janvier 1960, sous tampon 2 p., AN/19880206/19.

[29] Documents de la police allemande remis à Delarue et traduits, AN/19880206/19 ; fichier de JN dans AN/15186.

[30] SDAC 4, « affaire Durieux christian, organisation clandestine dite la Main rouge », 13 p, 5 janvier 1960, AN/19880206/19.

[31] « Annexe I – reconstitution d’une itw enregistrée sur bande magnétique d’après la copie datée du 7 juillet 1959 », 5 p., AN/19880206/19.

[32] Jacques Delarue, L’OAS contre de Gaulle, Paris, Fayard, 2014 ; Olivier Dard, « L’extrême droite et les milieux ultras, 1957-1958 », Jean-Paul Thomas et al, dir., Mai 1958 : Le retour du général de Gaulle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010. pp. 69-82.

[33] SDAC 4, « affaire Durieux christian, organisation clandestine dite la Main rouge », p. 9, 5 janvier 1960, AN/19880206/19.

[34] SDAC 4, « Note à l’attention de monsieur le Directeur de la police judiciaire », 30 juin 1960, AN/19880206/19.

[35]Francis Balace, « Pierre Joly, le passeur d’illusions : faux activiste ou vrai barbouze ? », Olivier Dard dir., Doctrinaires, vulgarisateurs et passeurs des droites radicales au XXe siècle (Europe-Amériques), Berne, Peter Lang, 2013, pp. 41-80.

[36]DPJ, « Note au sujet des résultats obtenus par la 4ème section de la sous-direction des affaires criminelles dans la lutte contre les mouvements subversifs dits “activistes” et d’extrême droite pendant l’année 1960 », 31 janvier 1961, pp. 1-7, AN/F/7/15646.

[37] SDAC 4, « A/s de l’organisation Catena », 6 février 1961, 3 p., AN/19880206/19.

[38] CRS n°101 détachement de Saint Louis au commissaire principal chef du secteur frontière du Haut Rhin », 22 février 1960, 2 p., AN/19880206/19.

[39] Le DPJ au DGSN, « Affaire Catena Main rouge », 6 avril 1961, 6 p., AN/19880206/19.

[40]DRG, « Secret, étude sur le mouvement clandestin OAS, période du 1er octobre 1961 au 10 janvier 1962 », pp. 54-59, AN/F/7/15645.

[41]Thomas Riegler, « The State as a Terrorist: France and the Red Hand », Perspectives on Terrorism, vol. 6, n°6, décembre 2012, p. 26.

[42] La participation de Poiblanc est attestée par les archives (Archives de la préfecture de police H2B2), celle de Delarue affirmée par les journalistes ayant travaillé sur le sujet.

[43] Le Monde, 10 octobre 1980 ; Rapport d’enquête sur les activités du Service d’action civique SAC, Paris, Alain Moreau, 1985, pp. 775-777.

[44] https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/09/05/enquete-sur-un-permis-de-tuer-signe-jacques-foccart_5181120_1653578.html, consulté le 2 mai 2021.

[45] Guy Debord, La Société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992, fragment n°4.

[46]DRG, « A/S des groupements d’extrême droite », 10 mai 1958, p. 32-33, AN/F/7/15645.

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