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La Révolution française vue de droite

saint-just noir-rouge-blancPar Nicolas Lebourg

L’une des particularités de la société française est de sempiternellement réinitialiser l’histoire de ses conflits. A chaque conflit social, à chaque débat polémique, surgissent les représentations de la Révolution Française, de la Résistance, 1936, 1968, etc. Le socle des usages sociaux de notre Histoire demeure l’événement qui fonde l’ère contemporaine, la Révolution ; la campagne présidentielle 2007 vit ainsi François Bayrou faire campagne « au nom du Tiers-Etat » quand Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal s’arrachaient La Marseillaise et le drapeau français. Dans le cadre politique français, toute utopie et toute référence historique ne peuvent ainsi se saisir qu’en précisant d’abord quel est le positionnement choisi par rapport à la Révolution française. Au-delà de la problématique référentielle, l’enjeu s’explique par la modalité française de gestion des crises de l’Etat. Ce signe est si essentiel qu’il a mené jusqu’aux fascistes français à adopter une position originale vis-à-vis d’une période unanimement exécrée par leurs homologues étrangers. Il permet dès lors de comprendre les modalités des tentatives de modernisation du fascisme, en particulier dans le cadre du nationalisme-révolutionnaire.

Pourquoi la Révolution ?

Entre 1789 et 1875 la France a connu plus d’une quinzaine de régimes politiques. Après 1789, en quelques années, toutes les formes d’organisation de l’Etat ont été ainsi utilisées (monarchie constitutionnelle, république, dictature, etc.). Or, les grands changements institutionnels proviennent en France de graves crises : la chute de l’Empire mène à la Restauration, la chute du Second Empire à la TroisièmeRépublique, la Libération amène la Quatrième, la guerre d’Algérie provoque la création de la Cinquième…

A son instauration chaque nouveau régime se définit en opposition à celui qui l’a précédé et dont il veut abolir les tares. Par delà, c’est toujours en référence à la Révolution française que se situe chaque nouvelle constitution. L’évocation de la « Grande Révolution » peut même se faire pour mieux la contenir. Pour imposer son pouvoir, Bonaparte promulgue la constitution de l’an VIII dont le préambule assène : « Citoyens ! La révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée. Elle est finie. » Ainsi si le régime de Vichy s’instaure en contraire de la IIIè République, il se proclame Etat de la « Révolution nationale », abolissant la Révolution française. Et quand à Vichy succède la IVè République, celle-ci prend soin d’avoir pour premier acte de proclamer : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et les libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.»

Ce retour permanent à l’époque révolutionnaire, comme le souligne Philippe Burrin, s’explique entre autres précisément par cette multiplicité des formes institutionnelles de cette période, une expérience qui allait faire « de la culture politique française une culture historiquement conflictuelle, c’est-à-dire pensant historiquement ses conflits et conflictuellement son histoire »[1]. C’est peut-être d’ailleurs, au-delà du présentisme induit par un manque de formation culturelle, parce que la Révolution est conflictuelle que Nicolas Sarkozy, accusé de dresser les Français les uns contre les autres par ses détracteurs, est le Premier président à l’effacer de son discours au profit d’une Résistance présentée comme un bloc unanime.

La Révolution vue par les fascistes

A l’extrême droite, longtemps le point de vue conspirationniste de l’abbé Barruel sur la Révolution fut hégémonique ; œuvre des francs-maçons, œuvre des juifs, la révolution devait être effacée de l’Histoire. L’extrême droite réactionnaire ne variera guère de ces fondamentaux, et la Révolution Nationale de Vichy est d’abord une contre-Révolution française.

Quoique le fascisme puisse devoir à la Révolution dan sa conception du rapport entre masses et Etat, Etat et Nation, il en vomit le libéralisme. Mussolini considérait que le fascisme était « l’antithèse nette, catégorique, définitive (…) de tout le monde des éternels principes de 1789 ». Le 14 juillet 1940 l’organe du parti nazi annonçait « la fin de la Révolution française », thème du discours fait en ce jour par Rosenberg au Palais Bourbon. Toutefois, ce n’est pas là la tradition du fascisme français, tout au contraire. Si on y condamne les libertés formelles de la démocratie bourgeoise, c’est pour positionner le fascisme dans la continuité de 1789 (Drieu La Rochelle), en affirmant que la République a trahi la Révolution, et que le fascisme comme « seconde révolution française » est l’aboutissement, et non l’annulation, de 1789.

Georges Valois dessine en cela un plan de l’histoire très « fasciste de gauche » : la Révolution et la République sont bourgeoises mais ont eu le mérite de détruire un Etat parasite. Face à l’oppression de classe, l’élite ouvrière prend le même chemin, et, par le fascisme, instaure l’Etat qui fera connaître à la nation toute entière une « prodigieuse renaissance ». La Révolution ne serait donc pas terminée et ne s’achèverait vraiment que par la proclamation de l’Etat fasciste qui serait l’aboutissement de 1793 alors que la IIIèRépublique serait l’aboutissement de 1789. Marcel Déat, quant à lui, emprunte aux S.A. le thème de la « seconde révolution » devant dépasser la révolution nationaliste qu’était la prise du pouvoir par le N.S.D.A.P., et il l’acclimate au cadre français en vantant l’avènement de la « seconde révolution française ». Il appelle à redécouvrir en Rousseau le premier prophète du totalitarisme, et considère dans le journal francophone de la Waffen SS que 1793 est le premier Etat « totalitaire » et les soldats de l’An II construisant l’Europe contre le despotisme les racines de la « Waffen SS française »[2].

Ambiguïtés

L’après-guerre voit un changement de ton subtil se produire. Dans les années 1950, Jeune Nation, durant les années 1960 Occident, se définissent tous deux comme « le Parti de la seconde révolution française ». Mais au-delà du slogan il ne s’agit plus pour les nationalistes de continuité radicalisée de la première. Ainsi, jusqu’aux Groupes Nationalistes-Révolutionnaires (1976-1978) inclus, en passant par L’Action nationaliste ou L’Elite européenne, le substrat contre-révolutionnaire reste le plus fort et la Révolution comme la République sont rejetés en bloc : l’expression de « Seconde révolution française » y est toujours considérée comme faisant référence à une contre-révolution effaçant la première  : « il faut une seconde révolution française qui supprime les effets néfastes de la première »[3].  Il s’agirait donc plus, en fait, d’une seconde « Révolution nationale ».

Ce sont les adeptes de la pureté raciale, qui cherchent une modernité en s’accrochant au mouvement de mai 68, qui retrouvent les premiers les chemins de leurs pères. Dans la nébuleuse « socialiste-européenne », völkisch, on loue un « Mai vu de droite », « début d’une explosion de violence indispensable » face au vieux monde et entraînant l’accélération du temps politique : « Ces idées progresseront, même s’il n’y a plus de barricades. C’est cela la Révolution, la révolution dans les esprits sans laquelle aucune révolution n’est possible. (…) Nous sommes peut-être en train de vivre la seconde révolution française »[4]. C’est une inattendue postérité de Jeune Nation qui transparaît, Mai 68 remplaçant ici le coup de force militaire dans l’avènement de la « seconde révolution française » (ce qui ne signifie pas que le mouvement de gauche est perçu comme pouvant la réaliser mais comme pouvant y mener, distinguo considérable). C’est donc bien plus le signe d’une modernisation intellectuelle et d’une rupture avec les marqueurs réactionnaires dont il est question, passant par la volonté de se mettre à l’école des révolutionnaires de gauche, que de l’établissement d’une voie socialiste nouvelle. Cela est néanmoins capital pour une nébuleuse nationaliste qui se cherche. A compter de la fondation du Mouvement Nationaliste-révolutionnaire (1979) le référent révolutionnaire ne va donc cesser d’occuper une place grandissante.

Leader du néo-fascisme français de la création du M.N.R. à la disparition de Troisième Voie (1991), Jean-Gilles Malliarakis a toutefois quelque gêne à gérer l’épisode révolutionnaire. En particulier, il revient très souvent, lorsqu’il évoque cette question dans sa prose, sur la personne du comte de Chambord, toujours avec la même admiration. Chambord, par son refus d’accepter le drapeau tricolore comme symbole de l’unité nationale – épisode qui n’est jamais spécifié – représente fort peu la Révolution, la nation des nationalistes, ou le sens de la realpolitik dont se targuent les N.R… Pourtant, Jeune Nation Solidariste intègre une image au corpus iconographique N.R. dont l’impact ne saurait être sous-estimé : celle de Marianne. Seins nus sous un blouson de cuir, elle dresse le poing gauche, bras plié tels les communistes, brandissant de la main droite le drapeau français frappé du sigle « M.N.R. »[5].

Vive la Révolution !

L’illustration est reprise diverses fois et à travers ses modifications de légende se perçoit une évolution des N.R. Auto-proclamée « national-bolchevique », Nouvelle Résistance la reprend en couverture de son organe, en frappant l’étendard de son étoile à cinq branches, et sous l’inscription « 1793-1993, un même combat pour la Libération Nationale et Sociale du Peuple ». La République est ainsi liée à l’un des slogans phares des N.R., mais, derrière le slogan, repris du Parti Communiste Allemand de 1931, il ne s’agit plus de 1789 : Nouvelle Résistance fustige le discours de François Furet et d’autres intellectuels français qui glorifient 1789 à l’encontre de 1793, elle dit se revendiquer de la Révolution populaire et non de la bourgeoise et dresse un portrait plus que flatteur de Saint Just[6].

A l’épisode terroriste, le mouvement tient à ajouter des éléments qui témoignent d’une intégration au mouvement du peuple et non aux convulsions des élites. Ses militants se veulent « les héritiers des bras-nus de 93 » et il proclame sa directe filiation avec Babeuf : « comme la révolution de 1793, la conjuration des Egaux et son chef appartiennent à l’archéologie du nationalisme-révolutionnaire »[7]. La référence à Babeuf était un élément neuf chez les N.R., la première référence faite y étant implicite, le slogan « Pour une société des égaux » figurant sur les affiches électorales du célèbre skinhead Serge Ayoub en 1987, au temps où il oeuvrait avec Troisième Voie. Les skinheads étant une extrême droite prolétarienne, c’est donc en signe de mouvement populaire combattant les privilèges qu’est intégrée la Révolution, qui est aussi un esthétisme de l’action[8].

Le sens de l’usage de l’Histoire

Ce n’est donc pas tant la Révolution française qui importe que l’affirmation de son propre caractère révolutionnaire d’une part, d’autre part de s’afficher comme participant à la modernité. Si la Révolution est dissociée de la République, il n’empêche que la louer permet de se dissocier de l’image contre-révolutionnaire contre-productive en matière de propagande. Les néo-fascistes reconnaissent implicitement qu’il n’est pas possible en France de s’exprimer politiquement sans se référer positivement à l’élément républicain. Ils retrouvent ainsi le raisonnement de Drieu et Valois, de Pétain même en 1944 lors de sa dernière tentative de réalisation d’une Constitution où il en revenait à la forme républicaine, du Club De l’Horloge de Jean-Yves Le Gallou, Yvan Blot et Bruno Mégret, qui, encore membres des droites républicaines, conseillaient à celles-ci d’user d’un « langage enraciné dans la tradition républicaine », précisant qu’il est de bon ton de citer Danton ou Robespierre, car cela permet de « toucher le cœur des Français »[9]. Toutefois, au temps où, Bicentenaire aidant, domine massivement une représentation qui loue 1789 et rejette 1793, ils débordent naturellement de ce dernier côté en signe de radicalité, et marquent leur différence vis-à-vis d’une extrême droite largement engagée dans la contre-commémoration et le mythe vendéen.

La référence à la Révolution est ainsi un signe quant à la participation au fascisme-mouvement, plus précisément à ce qui est perçu comme l’aile progressiste du fascisme. Volonté d’action et de justice sociale : nous voici en fait bien plus proche du sens que Röhm donnait à la formule de « Seconde révolution ». « Révolutionnaire », en cette optique, est un mot positif, il est lié aux images de la Grande Révolution, de la Commune, d’Octobre, certains gauchistes se complaisent à penser avoir eux-mêmes participé à une « révolution » en Mai 68 – quand les nationalistes n’ont que des échecs à présenter[10]. Le mot « Révolution » véhicule une image de changement héroïque contre un ancien régime caduc, et sous-entend une libération sociale. Il offre, à peu de frais, un fond acceptable (progrès) à une forme condamnée (autoritarisme) par l’essentiel de la population française. Il permet de faire des pulsions contradictoires des NR vers le chaos comme vers l’ordre un tout dialectique, plus peut-être que nombre de leurs textes théoriques.

Notes

[1] P. Burrin, Fascisme, Nazisme et autoritarisme, Le Seuil, Paris, 2001, p.284.

[2] G. Valois, La Nation fasciste et le peuple ouvrier, Ars Magna, Nantes, 2003, pp.6-7 ; Devenir, février 1944 ; Résistance, septembre 2003 (ce dernier titre reproduit l’article sur Rousseau ; organe des nationalistes-révolutionnaires groupés autour du site voxnr.com il s’agit bien de formation militante destinée à éviter la contamination réactionnaire). On trouve sur ce site un texte présentant Déat et Valois : Nicolas Lebourg, « Fascisme français : trois portraits ».

[3]Occident-Université, 15 octobre 1965.

[4] Socialisme européen, mai-juin 1968 ; idem, juillet-août 1968.

[5] Sous le titre « 1981 : le dégel », couverture de Jeune Nation Solidariste, 8 janvier 1981.

[6] Lutte du peuple, avril 1993. Unité Radicale reprend le dessin en autocollant avec le slogan « Pour la Cause du Peuple et de la Nation », slogan culte du nationalisme-révolutionnaire depuis Weimar, forgé par une citation de Lénine.

[7] Lutte du peuple, avril-mai 1996 ; Pour la Cause du peuple, s.p.

[8] Provenant, comme S. Ayoub, de la jeunesse skinhead de Troisième Voie, Fabrice Robert, cadre de Nouvelle résistance puis d’Unité Radicale, leader du Bloc Identitaire, voit dans les racines du nationalisme-révolutionnaire les figures de Babeuf, Blanqui et Marat (F. Robert, « Aux origines du nationalisme-révolutionnaire : Marat ou l’ami du peuple », La Voix du peuple, pp.9-1). L’article s’achève sur ces mots : « Souvent oubliée dans nos rangs, parfois condamnée au nom de références à Evola ou – pire – à des auteurs réactionnaires qui n’ont rien à faire dans notre panthéon, la révolution française est à redécouvrir par les militants NR. Ils y trouveront au niveau de la radicalité, de la pureté, du comportement religieux, de l’enracinement volontaire dans notre passé européen (les contre-révolutionnaires font référence au monothéisme et au Dieu de la Bible ; les révolutionnaires au passé gréco-romain et aux héros…) de l’éthique, beaucoup de blé à moudre. Nous ressassons trop souvent nos racines allemandes, espagnoles, italiennes, etc. Souvenons nous que les plus profondes sont françaises ! ».

[9] Yvan  Blot et Michel Leroy, La Bataille des mots. Pour un nouveau langage politique de l’opposition, Lettre d’information, quatrième trimestre 1982.

[10] On note que, précisément, les N.R. ont tenté de se rattacher à ces quatre moments : cf. sur ce site  Jean-Yves Camus, « La Nouvelle droite française et son rapport avec Mai 68 » et Nicolas Lebourg  » Nazi-maoïsme? Gauchistes d’extrême droite? Mythe et réalités de l’oscillation idéologique après Mai 68« . De plus, révolutionnarisme et emprunts des codes gauchistes permettent aux néo-fascistes de pouvoir sortir de l’ombre accusatrice d’Auschitwz, à laquelle les media ne cessent de les ramener.

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