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Le Totalitarisme fasciste

Affiche fasciste.

Par Stéphane François

Durant longtemps, les chercheurs spécialistes de la Seconde Guerre mondiale considéraient le régime fasciste comme un totalitarisme inabouti, du fait des résistances de la population italienne et du catholicisme. Ainsi, Hannah Arendt soutenait dans Les Origines du totalitarisme qu’il n’existait que deux vrais totalitarismes : celui de l’URSS stalinienne et celui de l’Allemagne national-socialiste. Cela a permis la réécriture après-guerre d’un fascisme modéré, qui envoyait ses opposants en relégation dans les îles. Cette banalisation du fascisme, voire parfois sa réhabilitation, fit qu’on s’intéressa peu à ses pratiques totalitaires. Cette violence moindre désintéressa les universitaires qui en minimisèrent l’antisémitisme, tel Léon Poliakov. Pourtant, le terme « totalitarisme » est italien et aurait été forgé en 1923 pour définir le parti fasciste. Initialement utilisé par les antifascistes pour disqualifier le PNF, le terme fut retourné dès 1925 par les fascistes pour se définir. Benito Mussolini en fit un terme positif, pour définir la société qu’il appelait de ses vœux.

S’il fut moins criminel (le tribunal spécial pour la défense de l’État ne prononça que 42 peines capitales entre 1926 et 1943, sans compter les exécutions sauvages) que les deux autres régimes totalitaires (le nombre de mort est très inférieur à la répression nazie ou soviétique), le livre de Marie-Anne Matard-Bonucci, Totalitarisme fasciste (Paris, CNRS Éditions, 2018) rétablit les faits : non seulement l’ouvrage montre en quoi l’Italie fasciste est un système totalitaire, mais il montre aussi que la violence, à l’instar de l’URSS et de l’Allemagne national-socialiste, est au cœur du l’idéologie du régime. Les différences résident principalement dans l’aspect terroriste, dans le sens d’usage de la terreur, poussé à son paroxysme dans les deux premiers, et dans la volonté génocidaire, inexistante dans le fascisme. Cependant, la violence est quotidienne, à la fois dans l’imaginaire (il faut créer un peuple guerrier) et dans la pratique, en étant valorisée. L’auteur voit les origines de cette violence totalitaire dans la volonté fasciste de créer un empire colonial. Selon elle, le tournant est à chercher dans la colonisation de l’Éthiopie. En effet, c’est à partir de ce moment que les fascistes réfléchissent à une politique raciale qui se concrétisera en 1938 avec les lois raciales antisémites.

Pour asseoir sa démonstration, l’auteur associe un plan thématique à une réflexion historiographique qui revient sur les avancées de la recherche historique. L’ouvrage est composé de 12 chapitres, plus une introduction, une bibliographie et un index. Ceux-ci sont répartis en trois grandes parties : « La culture de la violence » (chapitres 1-3) ; « Culture et société au pas romain » (chapitres 4-7) ; et enfin « Racisme et antisémitisme » (chapitres 8-12).

Dans la première, l’auteur s’intéresse aux différentes formes de violence, en particulier aux violences coloniales et aux violences durant la Seconde Guerre mondiale. Dans la deuxième, elle montre comment le régime a voulu façonner la population italienne, en voulant modifier les règles grammaticale des formules de politesse et en contrôlant l’humour (un grand classique d’ailleurs des régimes totalitaires, le rire étant subversif). Dans la dernière, Marie-Anne Matard-Bonucci s’intéresse aux questions sensibles du racisme et de l’antisémitisme. Ces derniers chapitres sont très intéressants car ils montrent comment le fascisme, idéologie peu marquée par l’antisémitisme -761 Juifs italiens étaient membres du PNF avant 1923 et près de 10 000 avant la promulgation des lois raciales, sans parler de Margherita Sarfatti, maîtresse juive de Benito Mussolini- a développé une politique raciale, indépendamment du rapprochement avec l’Allemagne nazie, influencée par les spéculations raciales et antisémites de Julius Evola. Ce dernier n’était pas un fasciste, mais un compagnon de route de celui-ci, ayant surtout des liens avec les théoriciens de la Révolution conservatrice allemande et avec la SS.

Marie-Anne Matard-Bonucci nous offre une excellente synthèse historiographique de la problématique du totalitarisme à l’italienne, qui se lit aisément. Un gros bémol néanmoins, lié à l’éditeur : il est pénible de jongler avec des notes qui se trouvent en fin d’ouvrage. Il serait plus judicieux de les mettre en bas de page.

Marie-Anne Matard-Bonucci, Totalitarisme fasciste, Paris, CNRS Éditions, 2018.

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