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Quand « se faire justice » dépend de son genre

Charles Bronson dans Un justicier dans la ville (Death Wish, Michael Winner, 1974) et Betsy Palmer dans Vendredi 13 (Friday the 13th, Sean S. Cunningham, 1980)

Par Marc Gauchée

En 1974 avec Un justicier dans la ville (Death Wish, Michael Winner), Charles Bronson inaugure une série de films où il incarne un architecte, Paul Kersey, qui passe ses nuits à traquer et à éliminer les criminels qui s’en sont pris à ses proches. C’est ainsi qu’il tue les violeurs et assassins de sa femme (Hope Lange) et les agresseurs de sa fille (Kathleen Tolan) dans Un justicier dans la ville ; les violeurs et assassins de sa fille (Robin Sherwood) et de Rosaria (Silvana Gallardo), sa gouvernante, dans Un justicier dans la ville 2 (Death Wish 2, Michael Winner, 1982) ; les trafiquants de drogue responsables de la mort d’Erica (Dana Barron), la fille de sa nouvelle compagne dans Le Justicier braque les dealers (Death Wish 4: The Crackdown, J. Lee Thompson, 1987) et l’assassin d’Olivia (Lesley-Anne Down) sa nouvelle (nouvelle) compagne dans Le Justicier : L’Ultime combat (Death Wish 5: The Face of Death, Allan A. Goldstein, 1994). La version féminine figure dans un film de 1980 qui donne également lieu à une série : Betsy Palmer incarne Pamela Voorhees, une mère de famille dans Vendredi 13 (Friday the 13th, Sean S. Cunningham) qui se « fait justice » en éliminant toutes celles et ceux qui fréquentent le camp de vacances de Crystal Lake où s’est noyé son fils il y a vingt ans. Vendredi 13 connaît 11 autres films, jusqu’en 2009.

Même s’il ne fait pas bon être la conjointe de Paul, et même si ce dernier n’est pas un père qui arrive à protéger sa famille décimée à chaque nouvel opus de la saga, le protagoniste de la série du Justicier parvient toujours à retrouver les responsables des crimes et les exécute sans commettre de bavures, ni se tromper de cible. Il est bien un héros, comme le cow-boy solitaire des westerns qui vient rétablir l’ordre dans l’Ouest sauvage à coups de pistolet. Ses meurtres obéissent à une certaine rationalité, ancrée dans une idéologie de l’autodéfense et une mise en œuvre du droit des citoyens à se défendre sous couvert d’une lecture très « républicaine » du deuxième amendement de la Constitution américaine (1791) : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, il ne sera pas porté atteinte au droit du peuple de détenir et de porter des armes ». D’autant plus que Paul se retrouve face à une police et une justice présentées comme corrompues, trop procédurières, incompétentes ou inefficaces. Il est bien cet homme et ce père blessé et meurtri.

En revanche, s’il y a aussi beaucoup de meurtres dans Vendredi 13 et s’il y a aussi un parent dévasté par la mort de son enfant, en passant du père à la mère, la psychopathe a remplacé le justicier et les meurtres en série ont succédé aux meurtres ciblés. Pour Pamela, son fils s’est noyé faute de surveillance par les monitrices et moniteurs et cela justifie son entreprise meurtrière qui transforme le camp de Crystal Lake en lieu maudit. Dans Vendredi 13, toute l’équipe qui entreprenait de rouvrir le camp est décimée par Pamela. La folie de Pamela ne fait aucun doute : elle est véritablement possédée par son fils puisqu’elle prend sa voix lorsqu’elle tente d’occire Alice Hardy (Adrienne King), la dernière monitrice survivante : « Tue-la, maman ! ». D’ailleurs, elle finit par perdre réellement la tête puisqu’Alice la décapite d’un coup de machette. À la différence de Paul, Pamela tue des innocents et sa folie meurtrière n’a pas de fin.

Les autres films qui suivent Vendredi 13 ne mettent plus en scène Pamela, éliminée, mais son fils qui ne s’est finalement pas noyé, mais a survécu dans les bois et poursuit l’œuvre macabre de sa mère…  Même le motif de la vengeance de la mère est donc disqualifié ! En revanche, dès le deuxième opus de la série (Vendredi 13 : Chapitre 2 de Steve Miner, 1981), Jason, lui, sait se venger du meurtre de sa mère et tue Alice ! Que ce soit dans la série du Justicier comme dans celle de Vendredi 13, ce sont toujours les jeunes femmes qui sont poursuivies, subissant agressions, viols jusqu’à l’assassinat.

Ces jeunes femmes victimes ont une longue histoire dans le cinéma américain. Cet archétype de personnage a été surnommé scream queen (« reine du cri ») par un jeu de mots sur l’expression initiale screen queen (« reine de l’écran »). La future victime est effrayée par son pourchasseur (avant d’être rattrapée) et pousse donc de nombreux cris stridents. La première scream queen fut Fay Wray dans King Kong (Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, 1933) … capturée par un immense gorille amoureux d’elle.

Dans les années 1970 et 1980, les scream queens ne sont pas seulement violentées, elles sont tuées comme pour distiller l’idée qu’il est toujours dangereux pour une jeune femme de s’aventurer dans l’espace public ou de rester seule sans un mâle protecteur. Des films français en mal d’audience dupliquent d’ailleurs ce schéma narratif. Parole de flic (José Pinheiro, 1984) reprend la trame d’Un justicier dans la ville, puisque l’ancien policier Daniel (Alain Delon) s’est retiré en Afrique à la suite du non-lieu dont a bénéficié le meurtrier de sa femme et c’est l’assassinat de sa fille Mylène (Aurélie Doazan) qui le fait revenir en France pour traquer les coupables. Dans L’Exécutrice (Michel Caputo, 1986), l’inspectrice de police Martine (Brigitte Lahaie) ne peut empêcher l’assassinat de sa jeune sœur enlevée par des proxénètes.

Une mère présentée comme hystérique et schizophrène, là où le père est méthodique et rationnel. Quant aux jeunes femmes, elles sont maintenues à leur place par la peur. Tout le monde est ainsi assigné aux pires stéréotypes de son genre.

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